Intervention de Pierre Karleskind

Commission des affaires européennes — Réunion du 15 avril 2021 à 9h05
Agriculture et pêche — Table ronde sur l'actualité européenne de la pêche avec mm. virginijus sinkevicius commissaire européen à l'environnement aux océans et à la pêche françois-xavier bellamy député européen pierre karleskind président de la commission de la pêche du parlement européen et mme caroline roose députée européenne

Pierre Karleskind, président de la commission de la pêche du Parlement européen :

Merci Monsieur le Président, et merci à Monsieur le Commissaire d'avoir présenté ces différents éléments. Beaucoup de choses ont été dites. Effectivement, nous sommes dans les premiers mois d'application provisoire de l'Accord de commerce et de coopération intervenu entre l'Union européenne et le Royaume-Uni, lequel est venu s'ajouter aux dispositions de l'accord de retrait conclu entre les deux parties. Cela rend d'autant plus complexe la gestion de la relation avec un partenaire qui lui-même, visiblement, n'était pas préparé à la décision qu'il avait prise il y a déjà plusieurs années. Lorsque j'ai eu l'occasion de rencontrer le ministre britannique en charge de la pêche, je lui ai indiqué qu'à un moment donné il allait bien falloir envoyer certains messages aux Européens : je lui ai ainsi fait valoir que le gouvernement britannique doit mettre en oeuvre réellement, honnêtement et complètement cet accord.

Concernant la question de la délivrance des licences, que M. le Commissaire a évoquée et sur laquelle le président Rapin est revenu, il faut comprendre que si ces négociations sont longues et compliquées, c'est parce que l'Union européenne tient ferme sur ses positions, d'autant plus que celles qui ont lieu cette année, évidemment, feront jurisprudence à l'avenir. Nous avons un intérêt certain, en Europe, à nous assurer que les conditions de mise en oeuvre de cet accord soient, dès cette année, dans le droit fil de ce que nous pouvons exiger, étant donné que toute concession que nous pourrions faire à présent serait considérée comme un acquis par les Britanniques. Je pense notamment aux négociations sur les navires remplaçants et sur la question de l'accès aux 6/12 milles pour les bateaux de moins de 12 mètres, sujets ô combien importants pour la région des Hauts-de-France. Le désaccord est flagrant : nous estimons qu'il n'y a pas de lien entre ce que les Britanniques demandent et ce qui est écrit dans l'Accord. Si, dans cette zone, les navires moins de 12 mètres ne sont effectivement pas géolocalisés, les journaux de pêche peuvent tout de même attester des activités qui s'y déroulent.

Le Royaume-Uni et l'Union européenne discutent, par ailleurs, de plusieurs sujets connexes, dont les espèces hors quota, elles-mêmes soumises à des conditions un peu particulières, puisque l'on a accepté la mise en place de plafonds. Il ne faudrait cependant pas que ce dispositif devienne de facto des quotas. En traînant en longueur, ces discussions pénalisent aujourd'hui les pêcheurs - et j'en ai parfaitement conscience -, mais elles vont nous éviter de regretter, à l'avenir, de ne pas avoir été assez fermes sur la mise en oeuvre de l'Accord de commerce et de coopération.

Concernant les négociations spécifiques sur les TAC et les quotas pour l'année 2021, M. le Commissaire l'a dit, c'est un changement total du paradigme qui prévalait au sein de l'Union européenne, notamment en ce qui concerne la principale zone de pêche européenne, c'est-à-dire l'Atlantique Nord-Est. On est passé d'une négociation qui se déroulait à 28 en présence de la Commission - c'était le conseil de fin décembre -, à une négociation bilatérale, Commission-gouvernement britannique, où la Commission européenne intervient avec un mandat de négociation émanant du Conseil. S'y ajoute la redéfinition des accords de pêche, en tout cas la modification du sens des négociations puisqu'avant, nous avions, pour prendre deux exemples, un accord entre l'Union européenne et la Norvège, un autre entre l'Union-Européenne et le Groenland, alors que maintenant nous avons des accords bilatéraux, (Union européenne-Norvège, Union européenne-Royaume-Uni), voire trilatéraux (Union européenne-Royaume-Uni-Norvège). Avec le Groenland, la situation est un peu similaire, ce qui rend les choses plus complexes. Malheureusement, nous en payons le prix.

La difficulté est claire : cela fait maintenant quatre ou cinq ans que nos pêcheurs disposent au maximum d'un an de visibilité, en raison des incertitudes liées aux conditions du Brexit. Depuis 2016, la filière a donc mis en attente un certain nombre d'investissements. En outre, depuis le début de cette année, c'est encore pire puisque, faute d'être parvenus à un accord sur les TAC et les quotas en 2021, ceux-ci sont reconduits tous les trois mois sur une base provisoire, ce qui réduit d'autant la visibilité des pêcheurs. Cette situation sera amenée à perdurer jusqu'à fin juillet, sachant que les Britanniques, je l'ai appris hier, ont pris une décision de leur côté. Il nous faut donc continuer à être vigilants !

Si l'on considère toutes les questions aujourd'hui non résolues - celles des licences, des 6/12 milles, des navires remplaçants et celle des mesures techniques qui ne sont parfois pas tout à fait comprises, ainsi que l'absence d'accord sur les TAC - alors que nous sommes à quinze jours de la fin de la période d'application provisoire de l'Accord de commerce et de coopération, vous comprendrez le malaise et la difficulté qu'éprouve le Parlement européen à envisager la ratification définitive de cet accord. La question des quotas n'est évidemment pas le seul sujet sur lequel nous fonderons notre vote, mais elle alimente tout un ensemble de questions sur ce que nous allons faire dans les quinze jours qui restent.

Concernant les mesures de compensation, globalement et je l'ai dit en commission pêche lundi, nous sommes plutôt d'accord sur les mesures préconisées, même s'il existe des divergences de vues au sein de l'Union sur la clé de répartition, ainsi que le souligne le rapport présenté par notre collègue François-Xavier Bellamy. En même temps, en tant que président de la commission pêche, j'ai quand même exprimé mon insatisfaction quant à la façon dont la Commission européenne nous avait sollicités, nous parlementaires, sur le sujet. Nous avions demandé à voir le projet d'accord dès septembre 2020 et l'on nous avait alors répondu que nous devrions attendre la conclusion des négociations. Nous n'en avons donc pris connaissance qu'aux alentours du 26 décembre 2020. Il aurait été préférable de pouvoir anticiper les choses, ce qui aurait évité que nous nous retrouvions, à la mi-avril 2021, dans une situation où j'ai tout de même dû écrire, avec ma collègue Stéphanie Yon-Courtin, à la vice-présidente Margrethe Vestager, afin de demander des éclaircissements sur le régime choisi d'aides aux États.

Selon moi, le Parlement européen doit avoir son mot à dire sur la manière dont cet argent va être dépensé ; accessoirement, il s'agit de celui des contribuables européens ! Cependant, il a été décidé d'établir des plans nationaux, que la Commission européenne validerait après examen par la direction générale de la concurrence. Cette approche peut apporter de la souplesse, mais j'aimerais que la Commission s'engage à ce que, là aussi, cela avance un peu plus vite, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Trop de temps a été perdu et je me réjouis qu'en commission pêche du Parlement européen nous soyons capables de prendre nos responsabilités en exprimant notre mécontentement. En tant que parlementaires - et ce n'est pas à des sénateurs que je vais expliquer cela -, nous ne pouvons pas voter des textes sans avoir un peu de visibilité sur leurs conséquences.

En ce qui concerne le Groenland et la Norvège, nous sommes en présence d'un « effet domino » du Brexit très dommageable. Là aussi, nous devons nous montrer très fermes dans les négociations menées avec ces pays. Je profite d'ailleurs de la présence du commissaire Sinkevicius à notre table ronde pour rappeler ce point, quand bien même cela pourrait occasionner du retard. Dans ce cas de figure aussi, les négociations menées aujourd'hui auront un impact significatif au cours des années à venir. Étant donné les désaccords qui existent et la confusion qui règne entre l'Union européenne et le Royaume-Uni, le Groenland a visiblement cherché à profiter de la situation, en proposant une réduction de 30 % des possibilités de pêche alors que certains avis scientifiques préconisaient de les augmenter. Personnellement, je me félicite de l'accord qui a été trouvé in fine avec une réduction de seulement 5 % de ce niveau. Cependant, comme il y a des élections au Groenland et que cet accord n'est toujours pas signé, aucun bateau européen, à ce jour, ne peut pêcher dans ces eaux.

En Norvège, la situation est assez similaire. Ce pays profite des accords tripartites et bilatéraux, dont les résultats sont un peu décevants si l'on considère notamment la zone des eaux du Svalbard, où une réduction de 6 700 tonnes des possibilités de pêche du cabillaud arctique a été imposée de façon unilatérale sur une base juridique tout à fait contestable. Là encore, nous ne devons pas baisser la garde !

Je finirai avec quelques mots sur l'avenir des relations entre l'Union européenne et le Royaume-Uni. En réalité, cela fait des décennies et même des siècles que nous pêchons dans ces eaux, dont on remarquera qu'une bonne partie n'étaient pas britanniques jusqu'à ce que le Royaume-Uni rentre dans la Communauté économique européenne et décide, dans le courant des années 1970, d'établir des zones économiques exclusives. Contrairement à ce que les Britanniques, ou tout du moins les partisans du Brexit ont voulu faire croire lors de la campagne référendaire, nous ne sommes pas totalement des étrangers dans ces eaux. Certes, la Politique commune de pêche ne s'applique plus au Royaume-Uni, mais ce qu'a dit en creux le commissaire Sinkevicius à propos de tous ces stocks que nous gérons en commun démontre que nous sommes « pieds et poings liés » ensemble pour une bonne gestion de la ressource. Il est donc impératif que la durabilité effective soit inscrite dans les pratiques de gestion de la pêche, point crucial si l'on veut pouvoir augmenter en chiffre absolu le total de pêche admissible, aujourd'hui réduit de 25 %. Enfin, cet impératif de durabilité, nous le devons aux écosystèmes et aux pêcheurs eux-mêmes, parce que c'est comme cela que nous pourrons nous sortir par le haut de cette situation que nous n'avons pas choisie, mais que nous sommes obligés d'affronter.

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