Intervention de Caroline Roose

Commission des affaires européennes — Réunion du 15 avril 2021 à 9h05
Agriculture et pêche — Table ronde sur l'actualité européenne de la pêche avec mm. virginijus sinkevicius commissaire européen à l'environnement aux océans et à la pêche françois-xavier bellamy député européen pierre karleskind président de la commission de la pêche du parlement européen et mme caroline roose députée européenne

Caroline Roose, députée européenne :

Merci Monsieur le Président, merci au commissaire Sinkevicius et à Mesdames et Messieurs les parlementaires. Il apparaît particulièrement bienvenu que le Sénat français s'intéresse au sujet, ô combien important, de la pêche européenne et que le Parlement européen puisse échanger avec vous, puisque nos deux assemblées concourent, chacune à leur niveau, à définir le cadre dans lequel les pêcheurs exercent leur activité. Le Brexit cause de nombreuses difficultés à ce secteur. Il nous rappelle aussi à quel point la Politique commune de pêche en particulier et l'Union européenne en règle générale sont précieuses pour la protection de l'économie et de l'environnement. On y retrouve ce qui nous occupe à la commission de la pêche : les politiques de protection des populations de poissons, la biodiversité et les questions de justice sociale.

Je commencerai par évoquer la question de la protection des populations de poissons, car sans populations de poissons en bon état, il n'y a pas de pêche et donc pas de pêcheurs. L'année 2020 devait permettre à l'Union européenne de retrouver un état environnemental adéquat des mers et d'exploiter tous ses stocks à un niveau durable. Depuis la réforme de la PCP en 2013, de réels progrès ont été accomplis, notamment dans la zone atlantique où la surpêche a diminué et où les pêcheurs commencent à récolter les fruits des efforts consentis depuis plusieurs années.

Cependant, comme l'a souligné M. le Commissaire tout à l'heure, la situation est très contrastée selon les zones géographiques. Ainsi, celle de la Méditerranée est plus qu'alarmante puisque plus de 80 % des stocks de poissons y sont encore surexploités. Nous plaçons de grands espoirs dans le plan pluriannuel pour la Méditerranée occidentale et il ne faudrait pas que la situation liée à la covid et au Brexit nous fasse perdre de vue nos objectifs de gestion durable des stocks. Le fait que le Conseil et donc les États membres - y compris la France ! - n'aient pas suivi les recommandations des scientifiques pourtant soutenues par la Commission européenne - et là, je tiens à remercier le commissaire, au sujet de la diminution des prises en Méditerranée occidentale - en leur préférant une demi-mesure, constitue un mauvais signal.

Nous serons particulièrement attentifs à ce que les TAC qui seront fixés dans le cadre de la négociation avec le Royaume-Uni soient conformes aux recommandations scientifiques et ne dépassent pas le RMD, autrement dit le Rendement Maximum Durable. Ces décisions ne sauraient être remises à plus tard car la bonne santé des populations de poissons est une question de résilience et de capacité d'adaptation aux chocs qui se profilent, notamment ceux liés au changement climatique. Il s'agit également d'une question de sécurité alimentaire sur le moyen et le long terme.

Dans ce contexte, la proposition issue de la Stratégie pour la biodiversité tendant à classer 30 % des eaux européennes en aires marines protégées, dont 10 % avec un haut niveau de protection, est une excellente proposition qui correspond aux recommandations des scientifiques. On peut se réjouir que la France ait repris ces objectifs à son compte, dans le cadre du One Planet Summit.

Cependant, si ces aires marines protégées ne sont pas dotées de vrais plans de gestion et de mesures de contrôle, tout cela ne sera qu'une vaste opération « d'écoblanchiment » (« greenwashing »). J'ai pu ainsi me rendre, avec un pêcheur, dans l'aire marine protégée du Cap Roux, sur la côte varoise. Alors que nous étions sur place, un chalutier est venu pêcher au beau milieu de cette aire protégée. Le constat du pêcheur, également entendu dans la bouche de nombre de ses collègues et d'associations de protection de l'environnement et qui est partagé par les ONG et les scientifiques est le suivant : beaucoup des aires marines européennes ne sont protégées que sur le papier. Elles ne font l'objet d'aucune surveillance ni d'aucun plan de gestion complet. On se targue d'avoir protégé 10 % des eaux européennes, mais moins de 2 % le sont effectivement. Un pourcentage de 30 % d'aires marines protégées ne signifie pas que les pêcheurs ne puissent pas pêcher dans ces zones. Dans les 10 % qui bénéficieront de fortes protections, il faudra qu'il y ait des zones où toute capture et activité économique soient interdites. Mais, dans la majorité des aires marines protégées, ce sont seulement les techniques de pêche les plus néfastes qui doivent être limitées en fonction des caractéristiques locales et selon les saisons. Au-delà, on nous annonce un plan de ressources maritimes et des mesures sur les engins de pêche de fond, que nous attendons avec impatience.

Je souhaite également m'exprimer sur le projet de révision du règlement de contrôle des pêches, qui n'est pas complètement étranger à la discussion que nous venons d'avoir. S'il y a des avancées sur plusieurs points, je pense notamment au renforcement de la géolocalisation via le système de surveillance des navires par satellite (VMS), des reculs importants sont également constatés, par exemple sur les marges de tolérance. Face à l'urgence climatique et à celle de parvenir à une gestion durable des populations de poissons, c'est insupportable.

Le Brexit a également mis en exergue la question de la justice entre la pêche artisanale et la pêche industrielle. Les petits pêcheurs sont essentiels. Ils font vivre nos territoires côtiers. Ils pêchent des produits de qualité, qui alimentent directement les étals des marchés et les restaurants. Ils utilisent des techniques de pêche plus sélectives et respectueuses de l'environnement. Pourtant, quand je vais à leur rencontre, ils disent se sentir abandonnés. La concentration économique à l'oeuvre depuis plusieurs années se poursuit et, au coeur de cette question, se trouve celle de la répartition des quotas entre les pêcheurs.

Aujourd'hui, c'est une compétence exclusivement nationale, chaque État décidant de ces clés de répartition en fonction de divers critères. L'article 17 du règlement n° 1380/2013 du 11 décembre 2013 relatif à la politique commune de la pêche précise que ceux-ci peuvent être économiques, sociaux ou environnementaux. Malgré tout, la plupart des États membres, dont la France, ne s'appuient pas sur cet article. C'est un sujet sur lequel j'espère pouvoir travailler durant les prochains mois au Parlement européen. Et j'invite le Sénat à s'en saisir également. En distribuant une partie des quotas selon les critères de l'article 17, des choses intéressantes peuvent être faites. Ainsi, par exemple, pour le thon rouge, dont le stock se porte bien et dont les TAC augmentent, 12 % du quota français revient à la petite pêche artisanale.

Autre point important : celui des captures de dauphins dans le golfe de Gascogne. Nous pourrions faire en sorte que 10 % ou 20 % des quotas d'espèces pélagiques dans cette zone soient attribués aux pêcheurs qui ne font pas de prises accessoires de dauphins, ce qui inciterait à mettre en place des pratiques plus vertueuses.

Enfin, pour revenir à la question de la justice entre les pêcheurs, il me semble que plusieurs initiatives doivent être lancées en relation avec le Brexit. L'Accord de commerce et de coopération entre l'Union européenne et le Royaume-Uni prévoit que 25 % de la valeur des quotas de pêche jusqu'à présent alloués à des bateaux battant un pavillon de l'Union reviennent à des navires britanniques. Si l'on répercute cette baisse de façon indifférenciée sur tous les navires, des dizaines de petits pêcheurs vont cesser leur activité et l'on aura une concentration encore plus forte sur les mêmes zones de pêche. Voir la petite pêche française disparaître serait catastrophique d'un point de vue tant économique que social et environnemental. Il me semble anormal de traiter de la même façon un petit pêcheur qui fait vivre son territoire et protège l'environnement et des super-chalutiers qui ont certes un pavillon français, mais déchargent leurs prises à l'étranger, ne créent pas d'emploi dans nos territoires et dont les propriétaires vont bénéficier du Brexit puisqu'ils possèdent aussi des navires côté britannique. La France pourrait donc décider que la diminution des prises liée au Brexit soit uniquement répercutée sur les plus gros navires. Une telle décision repose entre les mains des États membres et j'invite également le Sénat à s'en saisir.

Un autre sujet d'importance est celui des licences pour l'accès aux 6/12 milles. Nous faisons pression sur la Commission, qui elle-même fait pression sur le Royaume-Uni, mais celui-ci ne les délivre qu'au compte-gouttes. Comme l'ont dit Pierre Karleskind et François-Xavier Bellamy, dans les Hauts-de-France seulement 22 navires ont obtenu cette autorisation, sur la centaine qui en ont besoin pour pouvoir continuer à travailler. Le problème est économique, mais aussi environnemental, car tous ces navires qui avaient pour habitude de pêcher dans les eaux britanniques se retrouvent concentrés dans les eaux européennes où la pression de pêche augmente, ce qui pourrait s'avérer néfaste pour certains écosystèmes.

Enfin, en ce qui concerne la définition des TAC pour 2021, ceux-ci sont encore provisoires comme l'a rappelé Pierre Karleskind, ce qui place les pêcheurs dans une situation d'incertitude inconfortable. Il faut donc trouver rapidement un accord définitif sur ce point, sinon, le risque serait grand que cela se répète chaque année, sans compter qu'envisager l'après 2026, représente un saut dans l'inconnu.

Pour conclure, je vais profiter de la présence du commissaire Sinkevicius pour évoquer un sujet important à mes yeux : la mise en oeuvre de l'interdiction de la pêche électrique. La période transitoire s'achève le 30 juin 2021 et j'espère que la Commission saura se montrer ferme pour que cette interdiction soit pleinement appliquée dès le 1er juillet 2021. Je vous remercie pour votre attention.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion