À la suite des événements d'Aubagne, la commission des affaires économiques a décidé, à l'initiative de notre collègue Bruno Gilles, de se pencher sur ce sujet très sensible du logement insalubre. Le rapport de notre commission a été confié à notre collègue Dominique Estrosi Sassone. Plusieurs visites de terrain ont été effectuées dans ce cadre. Nous avons souhaité étendre la réflexion aux zones rurales et aux outre-mer, qui n'ont pas été le centre originel du sujet mais un élément constitutif des travaux menés.
Ces travaux n'étaient guère éloignés de l'adoption de la loi ELAN et nos préconisations ont concerné les outre-mer comme le territoire métropolitain, à l'exception de l'Aide personnalisée au logement (APL) Accession. Le logement insalubre est souvent invisible et des investigations sont souvent nécessaires pour en prendre la mesure. S'il existe de nombreux logements insalubres dans l'espace rural, nous avons été impressionnés par leur ampleur dans les outre-mer. Nous avons fait ce constat en Martinique et en Guadeloupe mais il aurait sans doute été le même ailleurs. Un immense travail est devant nous, avec des problématiques spécifiques.
Notre commission a fait adopter une proposition de loi mettant en avant cinq priorités pour lutter contre le logement insalubre.
Il faut d'abord renforcer la détection et la prévention. Cela passe notamment par la libéralisation du diagnostic technique global que nous souhaitons rendre obligatoire dans les copropriétés de plus de 15 ans et par la possibilité pour les syndics professionnels de pouvoir faire un signalement sans être accusés de rompre le secret professionnel. Cette mesure permet d'élargir le cercle de ceux qui sont en capacité de faire des signalements. Lors d'une visite à Aubervilliers, nous avons vu des façades remises en état qui masquaient en réalité une situation effarante à l'intérieur de l'immeuble.
Ensuite, il faut simplifier et accélérer l'ensemble des procédures et créer une police unique de l'habitat indigne. Nous n'avions pas moins de treize polices différentes intervenant dans le processus relatif à l'habitat indigne à différents niveaux. Cette police serait confiée aux présidents d'Établissement public de coopération intercommunale (EPCI), sauf si un maire veut garder sa police. Nous n'avons pas pu aller jusqu'au bout. Une nouvelle ordonnance est en application après la loi ELAN, consacrant deux polices : celle de la sécurité sous compétences du maire et celle de santé relevant du préfet, réunies dans un même code.
Il faut également accorder de nouveaux pouvoirs aux maires. Nous proposons que les maires puissent bénéficier des biens expropriés en vue de réaliser des travaux de réhabilitation, et mettre en place un droit de préemption spécifique dans les zones d'habitat indigne.
La proposition de loi suggère de renforcer les sanctions contre les marchands de sommeil car ceux-ci ne sont pas suffisamment poursuivis. Nous avions demandé que les communes bénéficient des amendes et que les associations puissent plus facilement aller en justice, sans nécessiter le concours des victimes qui en général ne déposent pas plainte, car il en va de leur habitat.
Enfin, il faut mobiliser davantage de moyens. La suppression de l'APL Accession en 2018 a entraîné de nombreux problèmes et ralenti voire arrêté les programmes de réhabilitation et de lutte contre l'habitat indigne. Tous les services de l'État sur place nous en ont fait part. Heureusement, dans le projet loi de finances (PLF) pour 2020, suite à notre rapport, à la pression de l'ensemble des élus d'outre-mer et aux services de l'État sur place, l'APL Accession a été rétablie. Ce n'est pas encore le Revenu universel d'activité (RUA), mais en attendant ce rétablissement est essentiel.
Avec Dominique Estrosi Sassone et grâce au concours de Catherine Conconne, nous avons visité en Martinique des programmes exemplaires de réhabilitation. Une difficulté tient à ce que certains habitants vivent dans ces quartiers depuis si longtemps qu'ils y sont attachés et que les déplacer, même pour intégrer un habitat digne, est très compliqué. Développer des programmes qui ne ressemblent pas à leur habitat actuel, par exemple en remplaçant des maisons par des immeubles, n'est pas possible. Une autre difficulté concerne les copropriétés et des indivisions. La loi Letchimy a commencé à régler certains aspects problématiques mais il faudra aller plus loin.
Les points saillants à garder à l'esprit sont donc l'acceptation par les populations, le relogement et la qualité du logement proposé, l'exigence de rester dans l'esprit du quartier existant et à proximité et enfin, les moyens alloués par l'État. Le chantier est colossal et demande une politique extrêmement ambitieuse mais j'espère que le Plan de relance qui a été lancé par le Gouvernement en sera l'occasion.