Intervention de Matthieu Hoarau

Délégation sénatoriale aux outre-mer — Réunion du 8 avril 2021 : 1ère réunion
Étude sur le logement dans les outre-mer — Table ronde sur l'habitat indigne

Matthieu Hoarau, directeur de l'agence Île de La Réunion / océan Indien de la Fondation Abbé Pierre :

La Fondation Abbé Pierre intervient en outre-mer à travers la seule agence régionale de La Réunion, implantée depuis 1992, et qui rayonne sur l'océan Indien, notamment à Mayotte où nous subventionnerons, cette année, l'opérateur SOLIHA sur un projet de RHI. Plus largement, nous sommes en lien avec des acteurs institutionnels et associatifs sur des questions d'habitat et de logement. Nous avons aussi un programme national d'amélioration de l'habitat, qui se déploie sur des territoires avec ou sans agence. À La Réunion, nous sommes très investis dans le financement de l'auto-réhabilitation accompagnée voire l'auto-construction avec des opérateurs comme les Compagnons bâtisseurs mais aussi sur le modèle du Comité communal d'action sociale (CCAS) de Saint-Pierre qui dispose d'une équipe en régie qui peut intervenir directement auprès des habitants. Nous sommes aussi actifs dans le développement de l'accompagnement aux droits et à l'habitat. L'enjeu est la mise en place de permanences spécialisées autour de l'habitat indigne pour permettre un accompagnement dans les procédures complexes qui conduisent au découragement des ménages.

À Mayotte, les besoins dépassent de loin les faibles moyens financiers et humains existants. La grande majorité de la population vit sous le seuil de pauvreté et on dénombre près de 25 000 habitats considérés comme précaires, sous une forme proche du bidonville. Ces données ne sont pas systématiquement intégrées aux communications nationales sur le plan de résorption des bidonvilles sur le territoire hexagonal. Certains droits ne sont pas appliqués, comme le droit au logement opposable, et certains droits sociaux sont minorés ou ne sont pas effectifs (comme le RSA ou l'AL). Ce jeune département fait donc face à une iniquité d'application du droit.

Face à ces besoins colossaux se pose la question de l'étayage des acteurs, à savoir le développement d'un écosystème avec des opérateurs qui puissent accompagner les personnes, identifier les situations, contribuer à l'amélioration, à la construction ou à la reconstruction d'habitats ou de quartiers. Cette stratégie de renforcement des capacités doit être croisée avec une stratégie de résorption massive de l'habitat précaire, d'un point de vue global, et au-delà des clivages et tensions sociales existantes. Un plan d'action à un horizon de 5 à 10 ans est nécessaire.

Concernant les mauvaises conditions d'habitat à La Réunion, la tendance est à la baisse des bâtis précaires ou des logements sans eau chaude, mais près de 22 000 logements restent considérés comme précaires au sens de l'INSEE. Ainsi, l'AGORAH, l'agence d'urbanisme qui gère l'Observatoire réunionnais de l'habitat indigne, recense près de 18 000 bâtis précaires.

Sur ce territoire de 850 000 habitants, 16 % de la population sont en situation de surpeuplement et 117 000 ménages sont en situation de précarité énergétique, avec des variations de température et d'humidité et des problèmes d'aération. Cet enjeu a été sous-estimé de nombreux équipements sont inadaptés et des bâtis restent très énergivores. Pour le mettre en perspective, il faut rappeler que 4 Réunionnais sur 10 gagnent moins de 1 000 euros par mois.

Le non-recours aux droits liés à l'habitat est important, qu'il s'agisse du droit au logement opposable (DALO), des signalements traités par l'ARS ou de ceux de la CAF. Ces chiffres sont faibles comparés aux besoins évoqués. Sur 1 000 recours au DALO déposés en 2019, la moitié concerne des logements non décents ou impropres à l'habitation. La question de l'articulation entre le DALO et les dispositifs de lutte contre l'habitat indigne se pose. Concernant la Caisse d'allocations familiales (CAF), 50 % des signalements de logements non décents parmi les allocataires concernent le parc social. D'une part, des logements sociaux nécessitent une réhabilitation et d'autre part, des ménages du parc privé n'ont pas recours au dispositif de signalement par peur des représailles de la part des propriétaires. Il faut donc aller vers ces ménages pour qu'ils puissent faire valoir leurs droits, quel que soit le statut d'occupation.

Pour ce qui est des principaux outils existants, la RHI est à repenser. Au-delà de la question du périmètre, le permis de louer a été peu probant en raison d'un manque de moyens humains déployés, de la capacité à faire connaître cet outil aux propriétaires sur le terrain et à appliquer les sanctions le cas échéant. Il faut peut-être en redéfinir le périmètre mais surtout, se donner les moyens de rendre cet outil efficace.

Le conventionnement de l'ANAH est fait de telle manière que 35 % du coût des travaux sont couverts par l'État. Une expérimentation avec une intercommunalité est en cours pour que celle-ci vienne abonder en complément et arriver à 50 %. L'enjeu est de parvenir à 70 voire 80 % de couverture des travaux pour les propriétaires ayant peu de ressources, ce qui pose la question des capacités financières des villes ou des départements pour parvenir à un outil efficace qui puisse être déployé au bon niveau.

Certains outils n'existent pas outre-mer, comme le programme « Habiter mieux », qui vise la rénovation énergétique, alors qu'il devrait bénéficier à chacun selon les spécificités des territoires ultramarins.

Pour faire vivre ces outils, un engagement financier important de l'État est nécessaire. Or cet engagement a évolué en dents de scie. Il faut une enveloppe adaptée aux besoins, ayant pour corollaire des opérateurs en capacité de monter les dossiers et les faire avancer dans des délais raisonnables. Le modèle existant de la RHI visant à résorber les poches « de type bidonville » doit être dépassé pour conduire à la résorption de l'habitat indigne sur des zones plus petites qu'avant - de 4 ou 5 habitations -, afin de contourner les problématiques actuelles des RHI en souffrance depuis 10 ou 15 ans, qui ne se sont pas réalisées parce que le foncier n'a pas été acquis, à cause de problèmes administratifs, ou encore en raison d'une opération multisites bloquée parce que l'un d'entre eux était dans une situation difficile. Les critères liés à l'amélioration de l'habitat sont à revoir. Les critères de niveau de ressources, fixées par l'État, le département ou la région, sont trop limitatifs et empêchent des ménages hors dispositif mais en situation de logement indigne d'en sortir. Les ménages en indivision foncière sont aussi sans solution, de même que ceux qui sont sur des terrains agricoles ou à risque. Ces personnes ont passé des décennies ou leur vie entière à un endroit et ne peuvent se projeter ailleurs. Il faut des réponses innovantes et adaptées à ces réalités.

La réponse aux besoins est insuffisante malgré des dynamiques positives. Le besoin s'élève à 9 000 réhabilitations dans le parc social quand en moyenne sur la décennie, ce sont 700 logements en moyenne qui sont réhabilités chaque année. Aux 18 000 habitats indignes répondent 2 450 améliorations ou sorties d'indignité annuelles. Il faudrait entre 7 et 13 ans (pour les parcs privé et social respectivement) pour répondre aux besoins présents, sans parler des besoins futurs.

Les moyens dédiés à l'information et l'accompagnement des ménages, des propriétaires et des opérateurs pour améliorer l'habitat sont aussi en question. Aujourd'hui, il manque d'acteurs de terrain qui puissent aller voir les ménages hors dispositif pour faire un diagnostic technique et financier sur la nature des travaux à faire. C'est pourtant le préalable nécessaire pour avancer sur la nature des accompagnements à proposer. L'enjeu de l'ingénierie est donc essentiel au-delà des questions de matériaux et de coût des travaux.

Nos recommandations à cinq ou dix ans s'articulent autour de quatre axes : la fixation des objectifs de résultats pour l'État et les collectivités locales, la mise des personnes au centre de la lutte contre l'habitat indigne, le développement de réponses innovantes et adaptées aux besoins des ménages non pris en charge par les outils et dispositifs existants et la réalisation d'un suivi régulier de la stratégie LHI en prévoyant un plan de communication.

Nous avons inclus des exemples de déclinaisons plus spécifiques de ces préconisations, comme le pilotage et la mise en oeuvre d'un PDLHI ambitieux, la lutte contre les logements vacants - aujourd'hui, la taxe sur les logements vacants n'est pas praticable dans les outre-mer ; le cadre réglementaire ne permet donc pas d'utiliser des leviers applicables dans l'Hexagone -, la question du conventionnement ANAH sur le cofinancement, le renforcement des financements dédiés à l'accompagnement social des ménages et à la coordination des acteurs, certaines dispositions de la loi Letchimy qui n'ont pas encore été précisées - je pense aux délais d'application de certaines mesures - et enfin, la mise en place d'un diagnostic de performance énergétique qui n'existe pas à La Réunion alors que des outils similaires ont été mis en place en Guadeloupe et en Martinique.

Un travail parlementaire serait le bienvenu pour permettre la régularisation du statut d'occupation des locataires qui habitent depuis très longtemps sur des terrains en indivision. Cette régularisation leur donnerait accès aux dispositifs de droit commun sur l'amélioration de l'habitat. On ne sait pas aujourd'hui combien de personnes sont concernées par cette situation. L'abbé Pierre disait que « la misère ne se gère pas mais se combat » et il y a un véritable combat à mener contre l'habitat indigne, avec des moyens importants.

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