Il me revient de vous présenter, dans le cadre de notre mission de contrôle de l'action du Gouvernement, le bilan annuel de l'application des lois relevant de notre champ de compétence.
La bonne exécution de la loi suppose une vigilance permanente de notre part - c'est peu de le dire. Nous adoptons des lois, mais encore faut-il qu'elles soient appliquées, à travers des mesures réglementaires prises en temps et en heure.
Primordial, ce suivi est également délicat, car, au-delà de la dimension quantitative, il suppose une analyse qualitative des textes réglementaires : il s'agit d'apprécier s'ils répondent aux attentes que nous avons formulées dans les lois votées.
Le rapport établi cette année porte sur quatorze lois promulguées entre 2015 et le 30 septembre 2020. Quatre sont applicables en totalité. Une n'est pas applicable à ce jour. Les taux d'application des neuf lois partiellement applicables varient de 70 à 97 %, avec une moyenne de 87 %.
Ces chiffres ne rendent pas entièrement compte de la mise en oeuvre effective des lois. Car il y a décret et décret : parfois, l'absence d'un seul suffit à rendre inapplicable tout un pan de loi - nos collègues Dominique Estrosi Sassone et Valérie Létard le savent bien. Sans compter qu'une loi postérieure peut modifier les textes réglementaires attendus, rendant obsolètes certaines dispositions. Le cas des mesures à entrée en vigueur différée peut également fausser le calcul.
Reste que, en moyenne, plus de 10 % des dispositions que nous votons ne sont pas applicables six mois après leur adoption.
Je ne me livrerai pas à un inventaire exhaustif ; je me concentrerai plutôt sur quelques problématiques particulières, liées aux textes les plus récents.
S'agissant de la loi Énergie-climat, qui entre pour la première année dans le champ de ce bilan, Daniel Gremillet nous présentera dans quelques instants un rapport détaillé sur sa mise en application, conformément à la réforme de notre Règlement adoptée sur l'initiative de Franck Montaugé, qui confie au rapporteur d'un texte le soin d'en assurer le suivi.
La loi du 10 juin 2020 relative à la transparence de l'information sur les produits agricoles et alimentaires, issue de la proposition de loi dite « Étiquetage », n'est quasiment pas applicable, du fait de la non-publication des décrets d'application. Or ce texte a été adopté au terme d'un travail mené en étroite collaboration entre l'Assemblée nationale et le Sénat et salué par le Gouvernement. Le ministre avait d'ailleurs promis devant notre assemblée que le Gouvernement publierait les décrets d'application nécessaires, après consultation des acteurs concernés.
La notification préalable à la Commission européenne des mesures réglementaires intervenant dans des domaines où l'harmonisation européenne est maximale nécessite un temps supplémentaire qui peut, dans certains cas, justifier ces délais. Pour autant, il semblerait que le retard pris dans la mise en application de cette loi puisse être également lié à l'appréciation du Gouvernement selon laquelle ses dispositions ne relèveraient pas du domaine de la loi, ce qui justifierait leur délégalisation.
Nous sommes ici confrontés à une lecture constitutionnelle juridique pure, mais qui pose de grandes difficultés pratiques. Le Gouvernement refusait, dans bien des cas, de proposer des évolutions sur l'étiquetage de l'origine - souvenons-nous des longs débats en séance sur le miel - ou la mention « fermier » pour les fromages affinés en dehors de leur exploitation, malgré le vote unanime des deux chambres sur le sujet, avec l'accord du ministre.
Le Parlement avait d'abord adopté ces mesures dans la loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous (Égalim), mais le Conseil constitutionnel les avait censurées faute d'un lien, même indirect, avec les dispositions initiales. Avec le plein soutien du Gouvernement, députés et sénateurs ont adopté quelques mois plus tard la proposition de loi que j'ai mentionnée, pour faire bouger les lignes. Aujourd'hui, le Gouvernement pourrait revenir par la fenêtre, après un an de débats parlementaires, pour délégaliser les mesures adoptées et les modifier à sa guise - ou ne rien faire...
Si le texte de la Constitution l'autorise, la délégalisation méconnaît son esprit et justifie une inaction incomprise de nous-mêmes comme des Français. Pourquoi ne pas avoir plutôt cherché à garantir la sécurité juridique et la bonne applicabilité du dispositif voté par le Parlement ?
La pratique gouvernementale de pérennisation des expérimentations avant leur évaluation mérite également d'être abordée. Je prendrai trois exemples intervenus dans le champ agricole ces dernières années.
La loi relative à la lutte contre l'accaparement des terres agricoles et au développement du biocontrôle a institué, en mars 2017, un dispositif expérimental de certificats d'économie de produits phytopharmaceutiques pour la période 2018-2022, une évaluation devant intervenir en 2020. Or, le Gouvernement a proposé la pérennisation de ce dispositif dès la fin de février 2018, par voie d'ordonnance dans la loi Égalim, sans aucune évaluation ni étude d'impact.
De même, l'article 125 de la loi d'accélération et de simplification de l'action publique a pérennisé l'expérimentation, prévue par la loi Égalim, du relèvement de 10 % du seuil de revente à perte et de l'encadrement des promotions avant la remise du rapport d'évaluation de l'expérimentation.
Enfin, l'article 24 de la loi Égalim prévoyait l'expérimentation de menus végétariens hebdomadaires dans la restauration scolaire des collectivités territoriales volontaires. Or, il est déjà proposé, dans le projet de loi Climat-Résilience, de pérenniser cette expérimentation, dont l'évaluation devait être remise samedi 1er mai.
L'expérimentation est un outil pertinent pour améliorer l'efficacité de nos politiques publiques. Afin qu'il ne se transforme pas en outil politique visant à obtenir un accord sceptique et temporaire des parlementaires à une date donnée, il conviendrait sans doute de rendre obligatoire la publication des résultats d'une expérimentation avant sa prolongation ou sa pérennisation, à tout le moins de prévoir une durée d'expérimentation suffisamment longue pour n'avoir pas à décider d'une pérennisation dans la précipitation.
Par ailleurs, des lacunes récurrentes sont à déplorer dans la remise des rapports au Parlement.
Ainsi, notre commission a reçu communication, en mars dernier, du rapport du Gouvernement relatif à la procédure de contrôle des investissements étrangers en France pour 2019-2020. La première édition de ce rapport, qui a vocation à être annuel, nous a donc été transmise deux ans après la promulgation de la loi relative à la croissance et la transformation des entreprises (Pacte). Ce retard n'est pas admissible, alors que la procédure de contrôle a fait l'objet de modifications d'ampleur en 2020 et 2021 et a été largement mobilisée sur cette période.
De plus, le champ de ce rapport est sensiblement plus réduit que celui prévu par la loi, qui englobe la totalité de l'action du Gouvernement en matière de protection des intérêts économiques.
Pour l'avenir, notre commission sera particulièrement vigilante à la bonne information du Parlement sur un sujet qui relève de la protection de la souveraineté de la Nation, ainsi qu'au respect par le Gouvernement de ses obligations légales.
Enfin, je voudrais vous faire part de quelques observations sur le recours aux ordonnances, même si, en volume, notre commission a été moins concernée que d'autres au cours de la session 2019-2020, du fait des très nombreuses ordonnances prises dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire.
L'ordonnance du 24 avril 2019 relative à la coopération agricole, prévue par l'article 11 de la loi Égalim, a fait l'objet d'un contentieux devant le Conseil d'État pour non-respect du champ de l'habilitation. En effet, elle soumettait les coopératives au mécanisme des prix abusivement bas sur le fondement non de l'habilitation de l'article 11, qui prévoyait un champ strictement délimité, mais de celle de l'article 17, prévoyant une mesure « balai ».
Les rapporteurs du Sénat et de l'Assemblée nationale avaient dénoncé ce procédé, qui revenait à sortir formellement du périmètre circonscrit de l'habilitation. Le Conseil d'État leur a donné raison en annulant la partie de l'ordonnance contestée. Cette décision, suffisamment rare pour être soulignée, démontre l'importance de la vigilance des parlementaires en matière de suivi des ordonnances.
On peut s'interroger sur l'opportunité d'instaurer un mécanisme ad hoc permettant d'associer véritablement les commissions parlementaires compétentes à l'élaboration des ordonnances, en vue notamment de contrôler le respect de leur champ d'habilitation.
On relève un cas similaire dans la loi Énergie-climat : l'ordonnance du 17 février 2021 relative à l'hydrogène, prise en application de l'article 52, va bien au-delà de son champ initial en abrogeant plusieurs dispositions du code de l'énergie, par exemple sur les garanties d'origine du biogaz et l'application du bilan carbone à la sélection des projets d'énergies renouvelables. L'habilitation votée par le législateur était pourtant limpide...
Par ailleurs, trois ordonnances prévues par cette même loi ne seront pas prises, selon les informations communiquées par l'administration. À l'avenir, il conviendrait que le Gouvernement anticipe mieux, pour s'abstenir de demander au Parlement des habilitations qu'il n'utilise pas in fine.
Mes chers collègues, la complète mise en application d'une loi demande souvent plusieurs mois, voire plusieurs années ; le diable se cache parfois dans les détails. En tout état de cause, la volonté du législateur doit être strictement respectée. Continuons à faire preuve d'une extrême vigilance à cet égard, dans le cadre de nos travaux de contrôle comme de nos questions écrites et orales.
Un autre aspect est évidemment primordial : la façon dont les réformes sont effectivement mises en oeuvre sur le terrain. C'est dans cette perspective que travaille la mission de Dominique Estrosi Sassone et Valérie Létard sur l'évaluation de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU), dont le rapport nous sera présenté dans quelques semaines.
Je vous engage à prendre connaissance du bilan sectoriel détaillé qui sera publié à la fin du mois, avant le débat en séance publique prévu la première semaine de juin. Notre collègue Pascale Gruny, en tant que présidente de la délégation du Bureau chargée du travail parlementaire, de la législation en commission, des votes et du contrôle, centralise les contributions des commissions en vue de rédiger un rapport global. Je la remercie par avance pour ce travail de première importance pour notre mission de contrôle.