Intervention de Pascal Saint-Amans

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 5 mai 2021 à 9h35
Mise en oeuvre du plan relatif à l'érosion de la base d'imposition et au transfert de bénéfices dit beps » et négociations pour répondre aux défis fiscaux soulevés par la numérisation de l'économie — Audition de M. Pascal Saint-amans directeur du centre de politique et d'administration fiscale de l'ocde

Pascal Saint-Amans, directeur du centre de politique et d'administration fiscale de l'OCDE :

Le président Raynal m'interrogeait sur les motivations américaines. Les États-Unis ont, je crois, compris, comme tous les pays du monde et malgré le lobbying de leurs entreprises, que le modèle économique fondé sur le reaganisme et le thatchérisme était épuisé. La crise de 2008 a montré que l'effacement des frontières sans régulation avait accru les inégalités et n'était plus soutenable. Le changement de doctrine de l'OCDE et du Fonds monétaire international (FMI) illustre cette évolution.

Dans ce contexte, l'administration Biden agit dans le prolongement de la réforme intervenue en 2017 s'agissant des bases fiscales, et qui reprenait des actions de BEPS. Sa motivation est politique pour ce qui concerne le pilier 2 et l'idée de remonter le taux d'impôt sur les sociétés à 28 %, de fixer un impôt minimum à 21 % et d'instaurer une appréciation pays par pays. En revanche, le cadre d'un impôt minimum est bipartisan. La proposition américaine sur le champ d'application du pilier 1, qui ne comprendrait pas seulement les services numériques, est soutenue par les Républicains comme par les Démocrates. Du reste, le ranking member (le chef de l'opposition) de la commission des finances du Sénat n'a pas critiqué la proposition américaine sur son champ.

Je ne crois cependant pas qu'il faille nourrir des inquiétudes sur les négociations : à la différence de la récupération des informations bancaires des citoyens américains, les États-Unis ne prendront pas de mesure unilatérale sur le sujet. La secrétaire d'État au Trésor Janet Yellen comme Joe Biden souhaitent établir une paix fiscale avec leurs alliés et les pays du G20.

La proposition américaine sur le pilier 1 va au-delà de 750 millions de chiffre d'affaires puisqu'elle concerne seulement les plus grandes entreprises du monde, les plus profitables. Le seuil fait encore l'objet de négociations, mais il pourrait s'établir autour de 20 milliards d'euros de chiffre d'affaires mondial. La proposition porterait donc sur une centaine d'entreprises qui concentrent les profits réalisés à l'échelle mondiale et sont les symboles de l'hyper concentration de la richesse créée par la mondialisation. Le pilier 1 ne concernerait donc que les vainqueurs de la mondialisation, soit des entreprises majoritairement américaines, mais aussi quelques entreprises françaises, allemandes, chinoises et japonaises.

L'impact budgétaire d'une telle proposition devrait être positif pour la France. Quand on regarde les entreprises qui feraient partie de ce champ, on retrouve d'ailleurs les grandes entreprises américaines du numérique - Apple, Microsoft, Google, Facebook. Aussi, la proposition américaine, bien que limitée, a du sens : pourquoi exclure des entreprises tout aussi profitables d'une réallocation de leurs profits dans les pays de marché ? Elle apparaît également plus simple, dans la mesure où son périmètre évite de segmenter les champs d'activité. En outre, les administrations fiscales sont en mesure de gérer l'imposition et les comptes d'une centaine d'entreprises ; cela serait moins aisé pour les 450 entreprises qui réalisent un chiffre d'affaires mondial supérieur à 750 millions d'euros.

S'agissant du pilier 2, aucun taux minimal n'a fait l'objet d'un accord. L'administration Biden souhaite, je le rappelle, une base pays par pays. Le taux avancé par Bruno Le Maire se fonde sur le taux minimal appliqué en Irlande - 12,5 % - alors que celui des États-Unis s'établit à 10,5 %. Si les États-Unis appliquaient un taux de 21 % avec une logique pays par pays, alors nous pourrions sûrement nous montrer plus ambitieux et un taux minimal de 12,5 % ne serait plus tabou, malgré les propos tenus par le ministre des finances irlandais.

Vous avez raison, la base d'imposition constitue un point essentiel. Nous avons travaillé, dans le cadre du blueprint, sur une base commune. Se pose effectivement la question des amortissements ou encore des crédits d'impôt : qu'exempter de l'impôt minimum ? Notre proposition exclut les actifs à l'étranger et une partie de la substance, s'il y a des vraies activités de recherche et développement dans le pays. Il faudrait prendre en compte ces activités pour que les pays puissent continuer à avoir, par exemple, un crédit d'impôt recherche. Cela répond aux préoccupations de la France et de la Chine notamment.

Un accord mondial n'est envisageable d'ici le mois d'octobre qu'en l'absence de mesure unilatérale à l'instar de la taxe numérique française. L'Union européenne travaille effectivement à une proposition de ressources propres numériques - pour un objectif de rendement d'environ 17 milliards d'euros -, mais le commissaire européen Paolo Gentiloni a conscience qu'elle ne doit pas aller à rebours des recommandations de l'OCDE. Ses déclarations me semblent rassurantes : cette taxe supplémentaire s'appliquerait avec un taux faible et une base large. Elle ne serait ainsi pas ciblée sur les entreprises américaines de services numériques, ce qui avait conduit aux mesures de rétorsion américaines en application de la section 301. Je suis convaincu que la Commission européenne ne prendrait pas le risque que les États membres rejettent sa proposition.

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