Le Conseil des ministres a adopté, le 14 avril dernier, le projet de programme de stabilité pour les années 2021 à 2027. Celui-ci présente la trajectoire budgétaire retenue par le Gouvernement ainsi que le scénario macroéconomique sous-jacent.
Ce projet revêt cette année une importance toute particulière, dans un contexte marqué par le prolongement des contraintes sanitaires et une hausse inédite de l'endettement public. Il lève par ailleurs en partie le voile sur la stratégie budgétaire de la majorité pour le prochain quinquennat, à la suite de la remise du rapport de la commission sur l'avenir des finances publiques.
En dépit de la suspension de nos travaux, je vous ai transmis une analyse de ce projet sous la forme d'une communication, que vous avez reçue mardi 20 avril dernier. Je vais vous en résumer ce matin les principaux éléments. Nous pourrons également aborder dans nos échanges le plan national pour la reprise et la résilience que nous avons reçu depuis.
Le PNRR n'apporte presque rien de nouveau par rapport au plan de relance que nous avons examiné à l'automne dernier. Ses priorités sont celles du plan de relance. Les montants sont différents parce que le PNRR indique, pour chaque ligne budgétaire, la part qui sera cofinancée par l'Europe via la facilité pour la reprise et la résilience. Toutefois, le véritable enjeu sera plutôt la rapidité de mise en oeuvre des projets, et ce dans l'ensemble des territoires. Le rythme est actuellement insuffisant, comme j'ai pu le constater en rencontrant des entrepreneurs et leurs représentants.
Le PNRR prévoit aussi des réformes, qui là encore ne sont pas nouvelles puisqu'il s'agit de dispositifs déjà votés et mis en oeuvre, ou en tout cas prévus dans des projets de loi en cours ou annoncés.
Il n'y a pas eu, contrairement à ce qui s'est passé dans d'autres pays, de véritable consultation du Parlement, des collectivités et des acteurs économiques sur le PNRR lui-même. Celui-ci dresse ainsi une liste des consultations de collectivités et d'acteurs économiques mais il s'agit plutôt des modalités de mise en oeuvre du plan de relance que de sa définition et des montants budgétaires, qui étaient arrêtés dès le mois de septembre. Je le regrette.
Venons-en maintenant au programme de stabilité. Celui-ci est marqué par une révision à la baisse de l'hypothèse de croissance pour 2021, ramenée de 6 % à 5 %. Il s'agit d'un scénario raisonnable au regard des dernières prévisions publiées depuis le resserrement des contraintes sanitaires. En dépit de la prolongation de la crise, le montant consacré au plan de relance n'est pas modifié. La stratégie française - et plus globalement européenne - diverge sur ce point de la stratégie américaine, marquée par une forte hausse du soutien budgétaire.
Cela peut conduire à s'interroger sur le risque d'un décrochage européen. Par exemple, le FMI estime désormais que la crise se traduira par une perte durable de capacité productive de l'ordre de 2,5 % du PIB en France, tandis que les États-Unis dépasseraient dès 2022 le niveau de production anticipé avant la crise !
Cela n'est sans doute pas étranger à l'annonce d'un « deuxième temps de la relance » par le Président de la République vendredi dernier dans la presse. Cette annonce aux contours encore imprécis laisse penser que le projet de programme de stabilité pourrait déjà être obsolète... En tout état de cause et comme je viens de le dire, il est impératif que la montée en charge des mesures déjà adoptées soit aussi rapide que possible.
Passons maintenant à la trajectoire budgétaire 2022-2027 proposée par le Gouvernement, qui constitue la véritable nouveauté de ce programme de stabilité.
Au cours du prochain quinquennat, la normalisation de la situation économique et sanitaire conduirait à amorcer un redressement des comptes publics, dans l'objectif de ramener le déficit public sous le seuil de 3 % du PIB en 2027.
Si le seuil de déficit public de 3 % du PIB ne doit pas constituer un « totem » sur le plan politique, il s'agit du niveau qui garantit de stabiliser l'endettement dans les principaux scénarios macroéconomiques élaborés pour la France par les grandes institutions internationales et les instituts de conjoncture. Il me semble donc pertinent.
Ce redressement reposerait exclusivement sur un effort de maîtrise de la dépense. La croissance de la dépense publique primaire - c'est-à-dire hors charge de la dette - devrait être contenue à 0,4 % par an, ce qui n'a été réalisé qu'à deux reprises en 20 ans. Concrètement, les économies à réaliser au cours du prochain quinquennat pour respecter la trajectoire gouvernementale atteindraient 65 milliards d'euros.
Il peut être noté que cette estimation est toutefois entourée d'incertitudes importantes.
D'un côté, le scénario de remontée des taux du Gouvernement tend vraisemblablement à majorer les économies nécessaires. En effet, il retient l'hypothèse très prudente d'une remontée rapide des taux pour construire la trajectoire budgétaire proposée. À titre d'illustration, retenir une charge de la dette conforme aux prévisions de la Commission européenne diviserait par deux les économies nécessaires sur la dépense primaire.
D'un autre côté, les hypothèses macroéconomiques retenues par le Gouvernement pourraient, à l'inverse, minorer l'effort nécessaire. En particulier, le Gouvernement considère que la crise n'aura aucun impact sur la croissance potentielle et que la maîtrise de la dépense ne pèsera pas sur la croissance effective.
Si le scénario gouvernemental suppose la mise en oeuvre d'un effort d'économies inédit, le Gouvernement se garde bien d'indiquer comment il entend atteindre son objectif de maîtrise de la dépense, au risque de fragiliser la crédibilité de la trajectoire proposée.
Si la piste d'une réforme des retraites est évoquée, elle produirait l'essentiel de ses effets sur les finances publiques au-delà du prochain quinquennat.
Dans ce contexte, je m'interroge sur le choix du Gouvernement de se concentrer actuellement sur la réforme de la gouvernance des finances publiques, plutôt que sur la mise en place de véritables revues de dépenses. Compte tenu de l'ampleur du défi à venir, il apparaît, en effet, indispensable d'engager sans tarder les travaux nécessaires pour identifier les gisements d'économies susceptibles d'être mobilisés au début du prochain quinquennat.
Je regrette également que le programme de stabilité reste muet sur la question du financement des dépenses d'avenir. Il faut être vigilant sur ce point, car lors de la précédente crise, le redressement des comptes publics avait pesé sur les dépenses d'avenir dans les pays du sud de l'Europe, au détriment de la croissance potentielle. Réalisés dans l'urgence, les efforts d'économies entrepris avaient fragilisé l'investissement public.
Si la France n'a pas connu de baisse drastique de ses dépenses d'avenir analogue à celle observée dans l'Europe du Sud, un effet d'éviction au profit des dépenses courantes peut néanmoins être observé sur longue période. Ainsi, la part des dépenses publiques utiles à la croissance dans la richesse nationale a eu tendance à diminuer au cours des 20 dernières années, alors que la dépense publique globale suivait la trajectoire inverse.
Pour la France, le défi du prochain quinquennat sera donc de concilier maîtrise de la dépense publique courante et hausse des dépenses d'avenir, en particulier dans le domaine de la transition écologique. Car la maîtrise de la dette publique ne saurait avoir pour contrepartie une hausse de la dette climatique !
Consciente de la nécessité d'articuler ces différentes contraintes, la commission présidée par Jean Arthuis a d'ailleurs proposé que la future norme de dépenses comporte un plancher pluriannuel de dépenses d'avenir, transverse aux administrations. Je n'en retrouve malheureusement pas la trace dans ce programme de stabilité.
Quelle que soit l'option qui sera finalement retenue, il me paraît en tout état de cause indispensable d'engager, dès à présent et parallèlement aux mesures d'économies qui devront être prises, un travail de définition de la nature et de la trajectoire des dépenses d'avenir, afin de les protéger des efforts à réaliser.
Mais plutôt que d'avancer sur ce front, le Gouvernement s'obstine à imaginer un traitement spécifique pour la « dette covid ». Après avoir d'abord proposé un « cantonnement », la solution finalement retenue serait celle d'un « isolement », qui n'impliquerait pas l'affectation de recettes publiques à une caisse d'amortissement dédiée. Selon les indications du programme de stabilité, cet isolement serait assuré par la création d'un programme budgétaire ouvert sur la mission « Engagements financiers de l'État » et doté de 140 milliards d'euros d'autorisations d'engagement, en vue d'un abondement de la Caisse de la dette publique dans les années à venir. Les crédits de paiement seraient décidés année après année, en fonction de la « dynamique de la croissance ».
La création d'un programme doté uniquement d'autorisations d'engagement, tel que proposé par le Gouvernement, constituerait une pratique inhabituelle, qui soulève des interrogations fortes. Source de complexité, elle rendrait le budget de l'État difficilement lisible, puisque la mission « Engagements financiers de l'État » pourrait alors devenir la première mission du budget général en termes d'autorisations d'engagement.
Si le Gouvernement tenait absolument à trouver une solution permettant de distinguer politiquement une « dette covid » dont il ne serait pas responsable, cela pourrait prendre une forme beaucoup plus simple consistant à identifier cette dernière au sein des documents budgétaires. Pour conclure, il me semble donc que l'inventivité de Bercy gagnerait à être mise au service de projets présentant un véritable intérêt pour nos finances publiques -recherche de gisements d'économies, identification des dépenses d'avenir, etc.