Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, notre pays est frappé depuis maintenant plus d’un an par une crise sanitaire, sociale et économique sans précédent. Les mesures de restriction visant à réfréner l’épidémie ont pesé et pèsent encore sur la santé économique de nos entreprises.
À l’heure actuelle, notre économie est sous cloche. Malgré des trous dans la raquette, les mesures d’aide remplissent leur mission. Le nombre de liquidations judiciaires a même reculé de 37 % en 2020.
Cependant, ne nous méprenons pas, les effets de ces mesures ne sont que temporaires et artificiels. Nous repoussons l’inévitable. Une fois la perfusion arrachée, il est vraisemblable que de nombreuses entreprises fermeront ou licencieront des salariés.
L’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) explique ainsi que 175 000 emplois pourraient disparaître à cause des faillites à venir. Pire, selon une étude conduite avec des économistes du cabinet Asterès, le nombre de faillites pourrait augmenter en 2021 dans une fourchette comprise entre 2, 3 % et 12, 1 %. On parlerait ainsi de 250 000 emplois menacés.
Voilà le drame humain que nous devons anticiper, si nous voulons mieux accompagner et protéger ces Français qui perdront leur travail. Au lieu de cela, le ministère de la justice a d’autres projets en tête. Sûrement l’art du timing…
Dans ce contexte si singulier, le Gouvernement a trouvé judicieux de mettre sur la table un projet d’ordonnance, qui prévoit de modifier l’ordre des créanciers privilégiés en cas de liquidation judiciaire d’une entreprise, faisant passer les salariés après les administrateurs et les mandataires judiciaires.
Quel sens des priorités ! Aberrant, mais cohérent pour un exécutif qui compte faire appliquer son inacceptable réforme de l’assurance chômage en pleine crise économique.
Avec ce projet d’ordonnance, le Gouvernement réussit l’exploit de réunir l’ensemble des syndicats contre lui : salariés et patronat sont résolument contre. Pour reprendre leurs mots, l’AGS « remplit un rôle d’amortisseur social » ; ils estiment qu’une rétrogradation de rang mettrait le régime en difficulté, alors qu’il est aujourd’hui équilibré, et conduirait des milliers de salariés dans des situations de détresse financière.
C’est d’une seule voix qu’ils demandent le retrait de ce projet d’ordonnance, inopportun et inapproprié dans cette période.
Notre régime de garantie des salaires est parmi les plus protecteurs en Europe. Depuis 2010, plus de 2, 4 millions de salariés en ont bénéficié, selon le dernier rapport annuel d’activité de l’AGS. Nous avons le devoir de conserver ce régime, et même de l’améliorer.
Le superprivilège dont bénéficie le paiement des salaires est plus que jamais nécessaire. Le supprimer reviendrait à amputer les ressources de l’AGS d’environ 35 %, chiffre de l’année 2019. Or le régime est financé par les cotisations patronales et par la réalisation des actifs des sociétés en liquidation.
Sa rétrogradation entraînera donc nécessairement un déséquilibre qui ne pourra être résolu que par deux moyens : la dégradation de la prise en charge des salaires par l’AGS et/ou l’augmentation des cotisations versées par les entreprises. En temps de covid, ces deux options ne sont pas envisageables !
D’un côté, nos entreprises sont aujourd’hui fragiles et il ne semble pas raisonnable de leur demander un effort supplémentaire. Pour compenser, les cotisations patronales devraient augmenter d’environ 300 % !
De l’autre, il serait inadmissible de toucher à la prise en charge des rémunérations des salariés licenciés en ces temps de crise qui rendent la recherche d’emploi particulièrement difficile.
Enfin, selon les syndicats, rien dans la directive européenne sur la restructuration et l’insolvabilité ne fonde cette modification de la hiérarchie des créanciers.
Le rapport commandé par Matignon le 8 mars dernier et remis le 21 avril confirme nos craintes. René Ricol y conclut que le projet d’ordonnance rétrograderait l’AGS derrière les frais de justice en cas de liquidation judiciaire. Il appelle d’ailleurs à clarifier les règles existantes concernant l’ordre de priorité des créanciers. Il appelle aussi à conserver l’état actuel du droit en cas de liquidation judiciaire, à savoir des créances salariales superprivilégiées, puis le paiement des frais de justice postérieurs au jugement d’ouverture.
C’est tout l’objet de la proposition de résolution que nous examinons aujourd’hui.
Parce qu’il partage les craintes des salariés et des chefs d’entreprise et qu’il est conscient des réalités de terrain et des difficultés que subissent salariés et entrepreneurs, le groupe socialiste est en accord avec cette proposition de résolution et il la votera.
Ce texte va plus loin, en envisageant l’ouverture d’une protection spécifique de garantie des rémunérations pour les indépendants, durement éprouvés par la crise.
Nous espérons que l’ordonnance qui sera promulguée cet été s’appuiera, comme promis dans le communiqué de Matignon, sur les recommandations du rapport et qu’elle permettra d’engager des travaux sur les pistes de réforme proposées à plus ou moins long terme.
Pour conclure, nous souhaitons attirer l’attention du Gouvernement sur la gestion de l’AGS. Cette dernière est qualifiée par les syndicats de salariés de « boîte noire » dont le patronat fait ce qu’il veut. L’opacité qui l’entoure pose question. Les administrateurs de l’AGS doivent mieux rendre compte de son activité devant le conseil d’administration de l’Unédic. En d’autres termes, il faut plus de transparence et une meilleure prise en considération des syndicats de salariés.
Madame la ministre, mes chers collègues, à l’heure où la colère sociale se lève contre la calamiteuse réforme de l’assurance chômage, envoyer le signal d’une telle rétrogradation serait une faute politique.