Intervention de Pascale Gruny

Réunion du 4 mai 2021 à 14h30
Avenir du régime de garantie des salaires — Adoption d'une proposition de résolution

Photo de Pascale GrunyPascale Gruny :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous examinons cet après-midi la proposition de résolution portée par notre collègue Bruno Retailleau et le groupe Les Républicains relative à l’avenir du régime de garantie des salaires, dit AGS (Association pour la gestion du régime de garantie des créances des salariés).

Créée en 1973 sur l’initiative du Président Georges Pompidou, l’AGS est un dispositif unique en Europe : elle intervient lorsqu’une entreprise, placée en procédure collective, n’a plus les ressources suffisantes pour verser aux employés leurs salaires ; l’AGS se substitue alors à l’entreprise pour avancer et verser les rémunérations des salariés.

L’AGS bénéficie aujourd’hui d’un superprivilège, lui permettant de figurer en haut de la liste des créanciers de l’entreprise et d’obtenir ainsi une garantie sur le remboursement de ses créances, ensuite reversées aux salariés.

Or ce système vertueux est aujourd’hui menacé par un projet d’ordonnance, en cours d’élaboration au ministère de la justice, visant à transposer la directive européenne Restructuration et insolvabilité de 2019. Ce projet prévoit de rétrograder le superprivilège du troisième au sixième rang dans l’ordre des créanciers, en faisant passer l’AGS après les banques et les mandataires de justice.

C’est inacceptable ! Quand on est élu de la République, on ne s’en prend pas aux plus fragiles ; au contraire, on les protège ! Or, avec cette réforme, le Gouvernement fait exactement l’inverse, en plaçant les banquiers et les mandataires avant les salariés.

Le risque à moyen terme est que l’AGS ne soit plus en mesure de récupérer l’intégralité de ses créances et ne soit donc plus en capacité de verser aux salariés l’intégralité des salaires. Pour remédier à cela, elle serait contrainte de réduire le taux de couverture des salariés ou d’augmenter le taux de cotisation.

Rappelons que l’AGS est financée, d’une part, par une cotisation patronale, d’autre part, par la créance que l’AGS prend sur l’entreprise à la place des salariés, provenant notamment de la trésorerie ou de la vente des actifs.

Finalement, le Gouvernement prétend qu’il diminue les impôts et les taxes des entreprises, mais, au détour d’une réforme, il augmente leurs charges sans être directement concerné, puisqu’il s’agit de cotisations qui n’entrent pas dans les caisses de l’État…

C’est la raison pour laquelle la proposition de résolution que nous défendons aujourd’hui s’oppose vigoureusement à l’évolution envisagée par le Gouvernement et propose de préserver le régime actuel de l’AGS.

Tout d’abord, la période critique que nous traversons, liée à la pandémie de covid-19, va inévitablement conduire à des faillites d’entreprises, d’autant que le Gouvernement a annoncé, ce qui est logique, la fin progressive des aides pour soutenir l’économie et la fin du fameux « quoi qu’il en coûte ».

L’ampleur du « mur des faillites » reste encore incertaine, mais elle pourrait être d’autant plus importante que les aides publiques ont aussi favorisé la survie artificielle de certaines structures qui étaient déjà en mauvaise posture avant la pandémie.

À Saint-Quentin, dans l’Aisne, le tribunal de commerce connaît une forte baisse d’activité depuis un an, mais, lorsque l’on interroge les agents et les juges, on ressent leur inquiétude : tous redoutent le moment où les entreprises cesseront d’être sous perfusion.

En 2008, avec la crise des subprimes, l’avalanche de défaillances avait mis à mal le régime de l’AGS, qui avait dû doubler le taux de cotisation des entreprises pour le porter à 0, 4 %. La situation pourrait être bien pire avec la pandémie de covid-19, car, malgré une baisse de 33 % du nombre d’affaires ouvertes en 2020, les comptes se sont dégradés du fait d’une baisse des cotisations de 9 %, liée principalement au chômage partiel.

Pour faire face au pic de faillites, que tout le monde anticipe, sans avoir à augmenter le taux de cotisation, l’AGS a d’ailleurs déjà contracté trois emprunts représentant un droit de tirage total de 1, 5 milliard d’euros à rembourser en 2023.

C’est pour cela qu’il est nécessaire de ne pas fragiliser davantage un système qui joue pleinement son rôle d’amortisseur social et de soutien aux salariés en difficulté.

Le calendrier choisi par le Gouvernement est incompréhensible : il était peu opportun de s’atteler à ce dossier en pleine crise sanitaire et économique. Vous nous dites que la loi Pacte impose un délai pour l’ordonnance, mais, une fois de plus, vous auriez dû laisser la main au débat parlementaire !

Les différents interlocuteurs semblent avoir été peu écoutés et tout le monde s’accorde à dire que rétrograder le privilège de l’AGS est un mauvais coup porté aux salariés et à la garantie de leurs droits.

La situation d’un salarié qui gagne le SMIC n’est pas du tout comparable à celle d’une banque. Ce salarié a fourni un travail, pour lequel il doit être rémunéré à tout prix. C’est pourquoi l’AGS doit rester superprivilégiée.

La proposition de résolution réaffirme justement le caractère fondamental et inamovible du superprivilège de l’AGS. Elle prévoit un élargissement de son champ d’intervention à des mesures de reclassement des salariés et invite le Gouvernement à envisager l’ouverture d’une protection spécifique pour les indépendants.

Notre proposition de résolution veut aussi en appeler au bon sens. Pourquoi, alors que le système est ingénieux, protecteur et utile, a-t-on besoin de le changer ? On n’entend jamais parler de l’AGS ; c’est donc qu’il fonctionne bien ! En outre, c’est un dispositif privé qui n’impacte pas les finances publiques. Le président de l’AGS a bien résumé la situation, en regrettant que « l’on déstabilise un régime socialement généreux et financièrement vertueux ».

Pour tenter d’apaiser la situation, le Premier ministre a commandé un rapport à René Ricol. Il vient d’être rendu public : il confirme que la réforme envisagée rétrograde l’AGS derrière les frais de justice et les banques, et il recommande de maintenir le superprivilège des salariés et de maintenir leur protection en cas de faillite.

Vous avez indiqué, madame la ministre, que le projet d’ordonnance serait promulgué d’ici à l’été, sur la base des recommandations du rapport. Je veux croire que vous suivrez sa proposition concernant le maintien du superprivilège des salariés.

En conclusion mes chers collègues, avec cette proposition de résolution, nous souhaitons envoyer un signal fort de soutien aux salariés de notre pays, touchés durement par la crise sanitaire et ses conséquences économiques, dont nous ne connaissons pas encore toute l’ampleur.

Nous souhaitons également adresser un signal d’alerte au Gouvernement, pour qu’il ne dénature pas le régime actuel et garantisse le droit des salariés à bénéficier du paiement de leurs salaires jusqu’à la fin des procédures collectives.

C’est pourquoi, avec la quasi-totalité de nos collègues, nous voterons cette proposition de résolution et nous invitons le Gouvernement à nous entendre !

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