Monsieur le président, monsieur le président Serge Babary, mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai écouté attentivement les observations et inquiétudes des différents orateurs. Je souhaite y apporter quelques éléments de réponse.
Avant d’aborder l’avenir du régime de garantie des salaires, je voudrais rappeler les principales mesures de protection des entreprises et des salariés face à la crise. Depuis plus d’un an, la priorité du Gouvernement est et restera de prévenir les défaillances d’entreprises et les destructions d’emplois face au choc économique induit par la crise sanitaire. Prêts garantis par l’État, fonds de solidarité, activité partielle : ces dispositifs exceptionnels sont autant de mesures de soutien économique et de protection des emplois. Le « quoi qu’il en coûte », toutes les travées pourront en convenir, est plus qu’une formule : c’est une réalité !
S’agissant de l’activité partielle, elle bénéficiait encore, au mois de mars, à 2, 3 millions de salariés, et sans doute à plus de 3 millions au cours du mois d’avril. Voilà un an, c’est-à-dire au plus fort du premier confinement, ce dispositif de prise en charge des salaires par l’État et l’Unédic concernait 9 millions de salariés. Cette protection bénéficie tout particulièrement à certains secteurs plus touchés que d’autres par les restrictions sanitaires : l’hébergement-restauration, le commerce et le service aux entreprises. Je rappelle que nous avons consacré près de 30 milliards d’euros à ce dispositif l’an dernier, et que nous fléchons plus de 10 milliards d’euros supplémentaires cette année. Ce sont plusieurs centaines de milliers d’emplois qui sont ainsi préservés au sein des entreprises. De ce point de vue, le Gouvernement a pleinement tiré les leçons de la crise financière de 2008-2009.
Dans la perspective d’une levée progressive des restrictions sanitaires, nous menons, en compagnie de Bruno Le Maire, des concertations avec les secteurs professionnels et les partenaires sociaux sur l’évolution de ces mesures de soutien.
À cela s’ajoute l’activité partielle de longue durée, qui concerne les secteurs dont l’activité est durablement ralentie du fait de la crise. À ce jour, 52 accords de branche ont été conclus, concernant près de 5 millions de salariés. Là encore, le taux de prise en charge des salaires par l’État est élevé pour permettre aux entreprises concernées de rebondir en conservant en leur sein les compétences dont elles auront besoin pour la reprise.
Sachez que le Gouvernement prend pleinement la mesure de la situation économique, mais, malgré les mesures exceptionnelles de soutien, nous savons qu’il y aura des mauvaises nouvelles. C’est dans ce contexte qu’intervient la proposition de résolution examinée cet après-midi.
Beaucoup a déjà été dit par les orateurs des groupes. Comme il a été rappelé, le régime de garantie des salaires permet, depuis près de cinquante ans, d’assurer à tous les salariés le maintien de leur rémunération pendant les procédures collectives, sans délai d’attente ni période de carence. C’est un régime innovant et socialement protecteur, auquel le Gouvernement est fortement attaché. Il s’agit en effet d’un véritable amortisseur des soubresauts de l’activité économique et de leur impact sur les salariés. Il est financé exclusivement par des cotisations patronales et trouve son équilibre dans la possibilité de récupérer ces avances de salaires en priorité sur les actifs de l’entreprise. Ainsi, il dispose d’un superprivilège par rapport aux autres créanciers de l’entreprise.
La réforme du droit des sûretés et la transposition par voie d’ordonnance de la directive Restructuration et insolvabilité de 2019 ont suscité de fortes inquiétudes de l’AGS et des partenaires sociaux. En effet, certains ont pu craindre que le superprivilège disparaisse au profit d’autres créanciers, comme les acteurs mobilisés dans le cadre des procédures collectives : mandataires de justice, avocats, experts.
Le projet initial soumis à consultation publique prévoyait d’instituer formellement un rang de classement de priorité des créanciers, faisant redouter une rétrogradation du superprivilège de l’AGS.
Or, comme vous le savez, le régime est fragilisé financièrement, puisqu’il a dû emprunter 200 millions d’euros en 2020, du fait d’un montant d’avances net des récupérations supérieur aux cotisations en 2019, c’est-à-dire avant la crise.
Par ailleurs, l’AGS pourrait être fortement sollicitée du fait des faillites d’entreprises, qui auraient dû être en cessation de paiements en 2020 ou en 2021, mais qui, grâce aux aides, ont été préservées pendant la crise.
La question du rôle et de la survie du régime a donc légitimement été soulevée. Certains se sont émus de la priorité qui serait accordée aux frais de justice, c’est-à-dire au paiement, avant l’AGS, des administrateurs et mandataires judiciaires, ainsi que de leurs conseils, avec un risque de diminution des récupérations.
Le sujet n’est pas simple, car, si nous savons que le paiement des salaires est une priorité à l’occasion d’une procédure collective, la survie de l’entreprise en est également une. Or cela nécessite de rétribuer ceux qui travaillent pour la remettre à flot.
Dans ce contexte, le Gouvernement a tenu à répondre à l’inquiétude liée à l’évolution du régime de garantie des salaires. Début mars, le Premier ministre a confié à M. René Ricol une mission sur l’articulation de ce régime avec la rémunération des administrateurs et mandataires judiciaires dans le cadre des procédures collectives. Le 15 avril, ses conclusions étaient remises au Gouvernement. Toutes les personnes concernées ont été auditionnées, rappelant l’importance de l’AGS et de son rôle social dans les procédures collectives.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement suivra largement les recommandations de M. Ricol.
Tout d’abord, il convient clairement de réaffirmer le superprivilège de l’AGS et de maintenir son rang de créance. Si la directive a, notamment, pour objectif de simplifier et de clarifier les procédures, elle ne nous interdit pas d’exclure de la liste des créanciers certains d’entre eux, qui, de fait, n’entrent pas en concurrence avec le superprivilège. C’est le cas des administrateurs et mandataires, qui gèrent les procédures et font l’interface avec l’AGS. Pour éviter des frais de justice trop importants, notamment en raison du recours à des experts ou à des avocats, nous mettrons en place, avec le garde des sceaux, des mesures visant à rendre plus transparents lesdits frais et à mieux les contrôler, sous l’autorité des juges.
Cet encadrement, qui, de fait, est dans l’intérêt de tous, permettra à l’AGS de bénéficier d’un droit de récupération plus large. C’est pourquoi nous soutenons votre proposition de résolution sur le volet de la préservation du régime. Les partenaires sociaux devront, par ailleurs, réfléchir à l’évolution des taux de cotisation pour favoriser le retour à l’équilibre du régime.
S’agissant des deux autres pistes évoquées, à savoir donner un rôle plus important à l’AGS dans le reclassement des salariés touchés par les procédures collectives et ouvrir le régime aux indépendants, ma position est plus réservée.
Certains outils existent déjà pour faciliter le reclassement, comme le contrat de sécurisation professionnelle, qui permet aux salariés dont l’entreprise est placée en redressement ou en liquidation judiciaire de disposer d’un accompagnement renforcé en cas de licenciement pendant douze mois, avec un maintien de 75 % de la rémunération.
L’AGS peut déjà intervenir sur la base du 4° de l’article L. 3253-8 du code du travail, lequel prévoit qu’elle couvre les mesures légales du plan de sauvegarde de l’emploi (PSE). Si, dans la pratique, l’intervention de l’AGS porte uniquement sur des mesures annexes aux formations prévues dans les PSE, par exemple les frais de déplacement pour les formations, il est actuellement possible d’aller au-delà sans qu’il soit nécessaire de modifier son champ de compétences.
J’attire toutefois votre attention sur le fait que, si de nouvelles mesures d’accompagnement devaient être financées par le régime, cela pourrait avoir des répercussions financières, et donc impliquer une augmentation des cotisations.
S’agissant de l’ouverture du régime aux indépendants, cela conduirait à changer radicalement sa nature. L’AGS garantit une créance salariale et agit en substitution des salariés. Elle dispose en ce sens d’un superprivilège sur les actifs de l’entreprise. Si je comprends parfaitement la détresse de certains indépendants, qui, face aux difficultés de leur activité, se retrouvent sans ressources, le choix d’élargir le régime à cette catégorie de travailleurs conduirait à transformer la garantie salariale en une garantie pécuniaire, et donc changerait la nature du régime.
Les pertes de revenus auxquelles doivent faire face les travailleurs indépendants en cas de défaillance de leur entreprise relèvent d’autres mécanismes assurantiels. Pour autant, Alain Griset et moi-même sommes particulièrement attentifs à leur situation économique et sociale et ouverts aux propositions du Sénat pour leur permettre d’accéder à une meilleure protection.
Pour l’ensemble de ces raisons, le Gouvernement ne peut pas être favorable à cette proposition de résolution. Monsieur le président Babary, je vous le redis, je reste disponible pour venir présenter les dispositifs de protection de l’emploi et des compétences que nous mettons en œuvre devant la délégation sénatoriale aux entreprises.