Intervention de Gérard Poadja

Réunion du 4 mai 2021 à 14h30
Avenir institutionnel politique et économique de la nouvelle-calédonie — Débat organisé à la demande du groupe les républicains

Photo de Gérard PoadjaGérard Poadja :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ils étaient 111 : 111 Kanaks exhibés lors de l’exposition universelle de 1931 au parc de Vincennes.

On les avait exposés, à côté des crocodiles, parce que les « sauvages » devaient être aux côtés des bêtes sauvages. La brochure disait : « Venez voir les Kanaks, car c’est une race qui va bientôt disparaître. »

Seul. Il a pris une balle seul, sur la propriété de ses parents. C’était une belle journée de janvier 1985. Il avait 17 ans et la mort a frappé, de manière aveugle. Il s’appelait Yves. James, aussi, fut tué, et tant d’autres encore.

Ils étaient 4 : 4 sous le soleil de Fayaoué, loin de leur terre natale, dans leur brigade, quand le temps s’arrêta. C’était deux jours avant le premier tour de l’élection présidentielle de 1988.

Ils étaient 2. Ils venaient pour la levée de deuil, un an après : 2 à serrer les mains, à saluer les autorités coutumières et les familles, quand ils ont été abattus par l’un des leurs. Ils s’appelaient Jean-Marie et Yéyé. C’était un 4 mai.

Si je raconte cette histoire, c’est parce que c’est la mienne. Celle d’un Kanak originaire de la tribu de Poindah, dans l’aire coutumière Paici-Camûki, en province Nord.

Si je raconte cette histoire, c’est parce que c’est celle de mon peuple, le peuple calédonien.

Si je raconte cette histoire, c’est parce que c’est la nôtre, celle de la France. C’est 170 ans d’une histoire dont nous sommes les héritiers.

Je prononce ces mots avec gravité, à la veille d’un double anniversaire hautement symbolique, celui de l’assaut de la grotte de Gossanah à Ouvéa et de la signature de l’accord de Nouméa.

Mes chers collègues, nous n’écrirons pas sur une page blanche au moment où le peuple calédonien sera appelé à décider, pour la troisième fois en quatre ans, si la Nouvelle-Calédonie doit devenir indépendante ou si elle doit demeurer au sein de la République française.

Pourtant, je crois plus que jamais au destin commun entre la France et la Nouvelle-Calédonie, un destin commun nourri par une histoire, une langue, une école et des valeurs, mais aussi par trente ans de souveraineté partagée.

Je crois plus que jamais au destin commun du peuple calédonien, lié par des sangs mêlés, une culture métissée et des mémoires entrelacées, ainsi que par une gouvernance partagée des institutions du pays, entre indépendantistes et non-indépendantistes.

C’est parce que ces destins communs sont au cœur de notre histoire que je ne veux pas d’un troisième référendum binaire : comment la moitié de la population du pays pourrait-elle imposer son choix à l’autre moitié, quand on connaît notre histoire ?

C’est pourquoi nous proposons de substituer à cette troisième consultation un référendum de rassemblement.

Construire un référendum de rassemblement, c’est admettre, pour les indépendantistes, que l’indépendance n’est pas une baguette magique face aux inégalités, à l’échec scolaire et à la délinquance qui mine notre société.

Construire un référendum de rassemblement, c’est accepter, pour les non-indépendantistes, de revisiter notre lien à la France.

Un référendum de rassemblement, c’est conjuguer ce qui nous a jusqu’alors opposés : la souveraineté et la République.

Ce sont ces deux essences que nous devrons fusionner pour poser le nouveau poteau central de la grande case du pays.

La souveraineté, parce qu’elle est nécessaire en termes de reconnaissance et de dignité pour les indépendantistes, après 170 ans d’histoire.

La République, parce qu’elle assure le lien entre toutes les communautés du pays, parce qu’elle nous protège en garantissant notre sécurité à l’intérieur comme à l’extérieur de nos frontières, parce qu’elle nous permet de bénéficier de l’un des niveaux de vie les plus élevés de la région Pacifique.

Construire un référendum de rassemblement, c’est conjuguer le oui et le non pour tisser un nouveau consensus sur un avenir partagé, comme lors des accords de Matignon et de Nouméa.

Construire un référendum de rassemblement, c’est poursuivre la trajectoire de notre émancipation, tout en restant protégé par la France.

Le dialogue prochain, sous l’autorité du Président de la République, pourrait nous offrir cette opportunité.

Soit nous sommes capables de poser les bases de ce référendum de rassemblement et son organisation en septembre 2022 fait sens, car elle nous donne le temps de finaliser un projet d’avenir partagé, soit nos échanges sont infructueux et, dans ce cas, autant organiser le troisième référendum dès la fin de l’année 2021, afin d’ouvrir le plus rapidement possible les discussions sur l’après-accord de Nouméa.

Mais attention : les discussions après le troisième référendum seront compliquées, car il y a aura alors un vainqueur électoral et un vaincu.

Les concessions réciproques pour construire un consensus sont possibles avant le troisième référendum. Après, elles seront très difficiles, voire impossibles. En cas de non, le droit à l’autodétermination devra, de toute façon, continuer à s’exercer.

Jusqu’à quand ? Avec quelles conséquences ?

Sur ce chemin, certains brandissent désormais comme solution la « partition » du pays ou ses déclinaisons – l ’hyper-provincialisation et la différenciation.

Cet apartheid géographique nous conduirait à effacer 150 ans d’histoire commune : les Kanaks avec les Kanaks, les autres avec les autres.

Croyez-moi, beaucoup de ceux qui aujourd’hui vivent en province Nord, d’où je suis originaire, sont radicalement opposés à cette perspective !

Notre réalité, c’est un pays un et indivisible, dont l’accord de Nouméa a exclu, dès l’origine, toute partition en fonction des résultats du référendum.

Notre réalité, c’est un pays qui n’a pas de frontières. Le découper, c’est l’amputer, c’est le ghettoïser.

Notre avenir, c’est de continuer à conjuguer nos deux rêves pour une même terre, et non d’affecter chaque rêve à une terre.

C’est, selon moi, le seul chemin possible pour favoriser l’émergence d’un pays rassemblé, en paix avec lui-même et confiant en sa destinée.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, vive un référendum de rassemblement avec tous les Calédoniens, vive le peuple calédonien, vive la France !

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