Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, les débats sur des sujets comme la souveraineté économique – et je tiens à remercier votre groupe, monsieur Babary, d’avoir mis ce thème à l’ordre du jour – sont à mener avec pragmatisme et mesure, au-delà du nécessaire temps des constats.
Ces constats portent sur les conséquences de la mondialisation et l’émergence de nouvelles superpuissances, que nous pensions, hier, simples ateliers du monde, ou d’entreprises numériques représentant des capitalisations pharaoniques. Ils portent aussi sur les conséquences des choix stratégiques nationaux de ces trente dernières années, négligeant malheureusement des pans entiers de notre économie, notamment l’industrie.
Équilibre : c’est le mot qui doit caractériser notre débat de cet après-midi.
Ne tombons pas dans l’anathème, dans la caricature ! L’heure est bien trop grave pour chercher des responsabilités individuelles face à la destruction d’un million d’emplois industriels en vingt ans, pour s’étonner du déclassement de l’industrie pharmaceutique française en l’espace de deux décennies – cette dernière est passée de la première à la quatrième place et a perdu la moitié de sa part de marché mondiale – ou pour regretter des fermetures d’usines qui ont dévitalisé nos territoires.
Le temps est venu, désormais, de travailler ensemble à la reconquête de notre souveraineté économique, et c’est tout le sens de la politique menée depuis le début du quinquennat par le Président de la République et la majorité présidentielle.
L’impérieuse urgence de cette reconquête a été mise en exergue par la crise sanitaire sans précédent que nous traversons.
Mais cette crise ne fait que révéler un état de fait, provoquant un effet de loupe sur des défaillances profondément ancrées dans notre pays depuis des décennies. Les difficultés d’approvisionnement en masques sanitaires, en médicaments, en matières premières stratégiques ou encore en intrants critiques essentiels, comme les semi-conducteurs, ont mis en lumière nos dépendances manifestes vis-à-vis d’autres continents. Le sujet n’est pas uniquement français ; il est européen. La crise est le révélateur profond d’enjeux de souveraineté trop longtemps négligés.
Soulignons que dans cette crise, et face à ces difficultés, nos industriels ont fait montre d’une formidable capacité d’adaptation, de souplesse, d’ingéniosité. Je tiens ici à les en remercier. Ils ont agi en lien étroit avec l’État et les collectivités locales, souvent en improvisant des partenariats inédits. Cela démontre la force de l’intelligence collective et du collectif, et c’est probablement sur ce type de modèles que nous devrions avancer.
L’équilibre que j’évoquais précédemment doit aussi résider dans les solutions que nous avons à apporter, en nous méfiant des raccourcis et des amalgames. La souveraineté économique n’est pas le nationalisme mortifère ; la mondialisation et ses échanges sont, non pas des ennemis, mais des espaces dans lesquels nous devons inscrire notre action sans naïveté ; l’Europe n’est pas un handicap, bien au contraire, mais elle doit devenir notre principal atout et notre échelle de réflexion face aux puissances chinoise et américaine – pour ne citer qu’elles.
Dès le début du quinquennat, sous l’impulsion du Président de la République, nous avons avec Bruno Le Maire engagé un mouvement de reconquête industrielle, d’investissement dans les compétences et les technologies de demain, de modernisation, de digitalisation de notre outil productif, pour que la France retrouve sa place parmi les grandes nations industrielles.
Ce sont des premières mesures de refondation de notre économie qui ont été engagées, comme l’allégement de la fiscalité sur les investissements productifs, la suppression de cotisations sociales afin d’augmenter de façon directe, et non détournée, les salaires tout en baissant le coût du travail, la réforme des ordonnances Travail, qui facilite l’accès à l’emploi pour les plus vulnérables. Par ailleurs, la loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite Pacte, a renforcé le contrôle des investissements étrangers prédateurs pour protéger nos actifs stratégiques.
Nous avons voulu rompre avec ce fatalisme qui consistait à faire de la France un pays d’économie post-industrielle, uniquement positionnée sur les services et qui jugeait notre industrie dépassée, polluante et incapable d’être compétitive. Nous voulons au contraire bâtir une industrie forte, innovante, décarbonée, participant à sa manière à la souveraineté des territoires et à leur continuité.
Ces choix ont déjà permis de recréer des emplois industriels pour la première fois depuis 2000 – en 2017, 2018, 2019 – et de redevenir le pays d’Europe le plus attractif pour les investissements étrangers en matière industrielle en 2018 et 2019.
Au niveau européen, nous devons porter l’idée que l’Europe est un atout, tout en défendant, comme l’a fait le Président de la République, l’impératif d’une relance massive et coordonnée des économies européennes. C’est tout le sens des plans de relance européen et français, s’élevant respectivement à 250 milliards d’euros et 100 milliards d’euros, qui portent l’ambition de rebâtir une souveraineté : celle de la France, celle de l’Europe. Ainsi, 35 milliards d’euros seront destinés à soutenir notre industrie – nous faisons le pari de l’industrie !
J’ai bien noté que l’intitulé du débat n’évoque que la souveraineté économique française. Mais, à l’heure où les États-Unis et la Chine ont engagé des plans d’investissements massifs, je ne crois pas que nous rivaliserons seuls contre ces grandes puissances. La souveraineté française est indissociable de la souveraineté européenne.
Nous avons besoin de plus d’Europe, mais surtout de « mieux d’Europe ». Il nous faut une Europe industrielle, ambitieuse en matière d’innovation, de transition écologique et de transformation des compétences, une Europe qui protège du dumping fiscal et environnemental, avec la mise en place d’une taxation sur les plateformes numériques, par exemple, ou d’un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, une Europe qui impose une concurrence réellement loyale, à l’heure où des entreprises non européennes accèdent à des marchés domestiques sans contrepartie et sont fortement subventionnées. C’est pourquoi nous soutenons des mesures de réciprocité sur l’accès aux marchés publics. C’est également pourquoi nous avons soutenu des mesures additionnelles en matière de filtrage des investissements au niveau européen.
Sur le plan national, nous avons quatre objectifs.
Relocaliser et, en premier lieu, relocaliser des chaînes d’approvisionnement critiques. Je pense aux secteurs de la santé, de l’agroalimentaire, de l’électronique. Je pense aux intrants critiques, ces principes actifs chimiques ou ces éléments de métallurgie essentiels à notre industrie, mais également à la 5G – parce qu’il faut regarder devant nous – et évidemment au nucléaire. Sur ces six secteurs, nous investissons massivement, avec 273 projets de relocalisation soutenus dans le cadre du plan de relance.
Innover. Il s’agit là d’avoir le quart d’heure d’avance qui nous permettra d’être dans la cour des grandes nations industrielles en 2030, tout en nourrissant notre croissance actuelle. C’est toute l’ambition du programme d’investissements d’avenir, doté de 20 milliards d’euros, dont 11 milliards d’euros doivent être déployés dès les années 2021 et 2022. Une quinzaine de chaînes de valeurs stratégiques sont concernées. Vous avez cité la cybersécurité, monsieur Babary ; elle figure dans la liste ! Nous finançons également, dans le domaine de la santé, les bioproductions et la santé digitale, ou la filière hydrogène en matière de transition énergétique.
La recherche, que vous avez évidemment mentionnée, s’inscrit dans un continuum avec l’innovation. Recherche fondamentale, recherche appliquée, tout l’enjeu de la loi de programmation de la recherche que nous venons de voter est de doter la recherche de moyens complémentaires, mais aussi de renforcer ce continuum de recherche, de faire en sorte que des talents comme les Emmanuelle Carpentier ou les Stéphane Bancel – le patron d’AstraZeneca est plutôt un bon dirigeant, mais pas nécessairement un chercheur – restent en France et y développent leur activité. Sur ces sujets, je le rappelle, nous avons fait des avancées fondamentales.
Décarboner. La décarbonation, c’est une façon, à la fois, d’affronter la transition écologique et de construire un avantage compétitif.
Il se trouve que l’Europe est plutôt bien positionnée dans ce domaine. Nous devons donc inventer des solutions que nous pourrons ensuite développer pour les autres pays, comme nous l’avons déjà fait dans les secteurs de l’eau, des déchets ou de l’énergie, dans lesquels nous disposons de grands groupes industriels innovants. Il faut poursuivre nos efforts dans ce sens.
Il faut également travailler sur les mobilités vertes. Les entreprises qui seront à la pointe de la batterie électrique, du moteur électrique, du moteur à hydrogène seront les entreprises qui gagneront les marchés internationaux de demain. Ces entreprises doivent être françaises ; elles doivent être européennes.
Enfin, la décarbonation passe aussi par des processus industriels, dans lesquels nous investissons 1, 2 milliard d’euros. On l’oppose souvent à la filière métallurgie. Or c’est précisément dans ce type de filières que nous avons le plus à gagner et à innover, là où nous pouvons emporter des parts de marché en développant des solutions innovantes, tout en décarbonant notre économie. C’est le but visé dans le cadre du plan de relance, étant rappelé que si l’industrie, de par ses émissions, représente 20 % des problèmes en matière de décarbonation de notre économie, elle représente 100 % des solutions !
Moderniser. Nous ne devons pas perdre de vue que nous disposons d’un tissu de PME, d’ETI, de sous-traitants qui ne demandent qu’à bénéficier d’une montée en compétences, au niveau des chaînes de production comme des salariés qui y travaillent. D’où notre investissement massif dans ce tissu au travers du plan de relance.
Cela doit aller de pair avec un accompagnement et une simplification de nos procédures administratives, ce que nous avons fait avec la loi, dite ASAP, du 7 décembre 2020 d’accélération et de simplification de l’action publique.
Cela doit aller de pair avec un cadre fiscal valorisant l’investissement productif. C’est le sens de la baisse des impôts de production, qui bénéficie, au premier chef, aux entreprises investissant sur les territoires.
Cela doit aller de pair avec une commande publique valorisant l’empreinte environnementale et sociale. C’est pourquoi nous avons modifié les cahiers des clauses administratives générales et techniques (CCAG).