Intervention de Marie Eloy

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 25 mars 2021 : 1ère réunion
Table ronde sur l'entreprenariat des femmes dans les territoires ruraux

Marie Eloy, fondatrice du réseau Bouge ta boîte et cofondatrice du réseau Femmes des territoires :

Merci, Mesdames la présidente et la vice-présidente. De nombreux éléments ont déjà été abordés.

Merci, Monsieur le ministre. Je connais votre engagement et je sais que vous êtes issu des territoires ruraux.

Mesdames, Monsieur, je suis extrêmement heureuse que nous abordions ce sujet. Depuis des années, je sens un « vent puissant » d'entreprenariat féminin dans les territoires. De son côté, la crise a permis de mettre en lumière les très petites entreprises (TPE). Plus largement, il est important de montrer à quel point celles-ci font vivre les villes et les villages. Nous le constatons sur le terrain.

Je suis fondatrice de plusieurs réseaux féminins. Le premier, Femmes de Bretagne, organise 500 évènements par an autour de l'entreprenariat, dans soixante-dix villes. Ces chiffres révèlent l'ampleur de notre maillage territorial.

Nous avons dupliqué ce réseau sur le plan national en créant Femmes des territoires, avec la Fondation Entreprendre. L'objectif, dans ce cadre, est de permettre à 75 000 femmes de créer leur entreprise en sept ans.

Je suis également présidente du réseau Bouge ta boîte, destiné aux dirigeantes d'entreprise dont la société compte plus de trois ans d'existence.

Dans ce domaine, nous sommes confrontés à deux sujets : la création d'entreprises dans les territoires ruraux et leur développement. Je remercie Monsieur le ministre de s'être rendu auprès des « bougeuses » le 8 mars et d'avoir échangé longuement avec elles. Cet échange était passionnant. Nous avons reçu des témoignages importants sur les bénéfices apportés par le réseau aux femmes dirigeantes.

Depuis sept ans, j'ai rencontré des milliers de dirigeantes dans les territoires. En dehors de la période particulière que constitue la pandémie, je suis normalement dans une ville différente chaque jour afin de rencontrer des dirigeantes. En 2019, nous avons ainsi effectué un Tour de France de l'entreprenariat féminin, au cours duquel nous avons rencontré des milliers de dirigeantes. Nous nous sommes rendu compte que ce réseau se portait très bien dans les territoires mais qu'il était complètement hors-sol, c'est-à-dire déconnecté des CCI, des Chambres de métiers et de l'artisanat (CMA), des grandes écoles et des mairies, celles-ci restant traditionnellement des lieux très masculins.

L'objectif des réseaux féminins est bien de tendre vers la mixité dans les territoires. Cette dernière est essentielle. En effet, toutes les études indiquent qu'une plus grande mixité est associée à une progression de la performance, du vivre ensemble et de l'innovation pour la planète. Bien qu'un tel changement prenne du temps, il est important d'activer les leviers que nous connaissons afin d'améliorer la mixité dans les territoires. Bouge ta boîte a, par exemple, récemment signé un partenariat avec les chambres des métiers et de l'artisanat pour davantage de mixité.

Aujourd'hui, parmi les personnalités les plus médiatisées en France dans les catégories patrons et business, on compte seulement 1 % de femmes. Dans les territoires, 55 % des dirigeantes d'entreprise sont incapables de citer le nom d'une entrepreneure inspirante. En outre, parmi les noms cités, les deux premiers sont ceux de Michelle Obama et d'Oprah Winfrey. Il est donc de la responsabilité des Françaises et des Français de mettre en avant les femmes entrepreneures.

Pour les femmes, s'insérer dans un réseau n'est pas un réflexe naturel, contrairement aux hommes. Il faut que les femmes puissent s'identifier à l'image du réseau et aux personnes qui y adhèrent. Or les réseaux sont essentiellement masculins dans les territoires, puisqu'ils comptent 80 à 90 % d'hommes en moyenne.

L'intérêt d'un réseau féminin tient au fait qu'il permet de s'identifier mais également de révéler ses forces et ses faiblesses avec authenticité. Assumer ses faiblesses est important dans les territoires ruraux car l'entreprenariat féminin s'inscrit souvent dans une démarche de reconversion. Des femmes auparavant salariées, en quête de sens et souhaitant avoir un impact à travers leur activité, se lancent ainsi dans l'entreprenariat. À cette occasion, 60 % n'ont pas effectué de business plan. Seules 12 % se financent. Si la quête de sens et l'envie sont présentes, les codes ainsi qu'une bonne connaissance des notions de rentabilité, de business et de chiffre d'affaires font défaut. Bouge ta boîte a vocation à permettre un dialogue sur tous ces sujets, permettant à l'entreprise créée d'être viable.

Aujourd'hui, 70 % des dirigeantes en France gagnent moins de 1 500 euros par mois tandis que 50 % des hommes déclarent vivre correctement de leur activité. Or pour un homme, vivre correctement de son activité renvoie à des revenus compris entre 3 000 et 4 000 euros par mois. Un travail considérable est à réaliser. Nous connaissons les leviers à activer : une augmentation des role models, des financements, de la présence des femmes dans les réseaux ainsi qu'une réduction de leur charge mentale.

Au sein des entreprises de plus de dix salariés, 14 % seulement des chefs d'entreprise sont des femmes. Leur impact global dans l'économie est donc faible. Pourtant, cet impact peut évoluer car nous percevons bien dans les territoires que les femmes souhaitent entreprendre et qu'elles ne manquent pas d'audace, d'énergie et d'expertise. Pour concrétiser cet impact, seuls manquent un rééquilibrage et les leviers d'action.

S'agissant du réseau Femmes des territoires, quarante antennes ont été créées dans les territoires ruraux en un an malgré la crise de Covid-19. Récemment, nous avons ouvert une antenne à Saint-Geniès-de-Comolas, situé à vingt minutes d'Avignon. Dans ce village qui compte seulement 1 500 habitants, vingt-huit femmes voulaient entreprendre. Les territoires ruraux constituent donc un vivier impressionnant, aujourd'hui sous-exploité et peu mis en avant alors qu'il est indispensable pour la relance.

Pendant la crise, nous pensions observer une moindre volonté de créer des entreprises. En réalité, ce n'est nullement cas. Un sentiment d'urgence existe et encourage les femmes à créer leur entreprise pour être utiles. Ces femmes doivent absolument être accompagnées. Dans le cadre de Femmes des territoires, nous les mettons en lien les unes avec les autres et nous réunissons les conditions nécessaires pour qu'elles partagent leurs compétences. Ce lien se tisse d'abord par le digital, ce qui est très important. Nous organisons ensuite des rencontres physiques, ce qui est moins possible en ce moment mais fait tout de même partie de notre ADN. Le digital est très important car les femmes doivent pouvoir s'identifier. Elles peuvent constater que des femmes qui leur ressemblent sont mises en avant sur le site Internet. Une fois qu'elles appartiennent à ce réseau social, elles oseront se rendre aux rencontres physiques.

Nous les mettons donc en lien et nous leur permettons de partager des compétences. J'ai vu de nombreuses femmes dans les zones rurales qui rencontraient des difficultés à se relancer dans la vie active à la suite d'un burn out, d'un licenciement, d'une période de chômage ou d'un congé parental. L'appartenance à un réseau crée une spirale vertueuse leur permettant généralement d'aider les autres et, ainsi, de prendre confiance pour créer leur entreprise. De nombreuses femmes ayant suivi cette trajectoire sont ensuite devenues coordinatrices du réseau.

Accompagner les femmes dès le début de la création d'entreprise est essentiel. Néanmoins, il est encore plus crucial de les accompagner dans le développement de l'entreprise et sa pérennisation. Si 70 % des dirigeantes d'entreprise ne vivent pas de leur activité, on doit y voir le signe qu'elles ne disposent pas des codes et qu'elles doivent être accompagnées sur tous les sujets qui ont trait à la vie d'une entreprise (marge, rentabilité, prospection, etc.). C'est ce que nous faisons avec Bouge ta boîte, à travers 400 réunions de travail par mois dans 120 villes et auprès de 1 700 dirigeantes d'entreprise.

La crise a été très difficile pour le développement des entreprises créées par des femmes, notamment au moment du déconfinement. En effet, les écoles n'ont pas rouvert immédiatement. Selon l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), on constate aujourd'hui un écart de salaire de 42 % en moyenne au sein d'un couple. Ce sont donc les femmes qui sont restées au foyer afin de garder les enfants en attendant l'ouverture des écoles. Quand elle est salariée, une femme passe à côté de promotions. Quand elle est entrepreneure, une femme n'a pas le droit aux allocations chômage alors qu'elle a investi toutes ses économies dans l'entreprise. En outre, les femmes entrepreneures, dont les entreprises sont moins viables que celles des hommes au démarrage, n'ont souvent pas pu prospecter ni générer de chiffre d'affaires entre les mois de mars et septembre derniers. Les aides du Gouvernement ont heureusement pu aider les femmes entrepreneures après ces six mois de forte fragilité. Elles ont utilisé ces aides en très grande majorité.

La fragilisation des entreprises a pesé sur l'égalité entre les femmes et les hommes, notamment dans les territoires. Pour autant, les femmes entrepreneures ne sont pas restées sans agir. La moitié d'entre elles a suivi des formations, s'est adaptée ou a accru sa présence sur les réseaux sociaux. Les femmes estiment qu'elles sont encore 50 % à ne pas posséder le niveau de formation digital suffisant pour surmonter la crise. Il faut donc absolument continuer à soutenir les initiatives liées à la formation digitale.

Tous les acteurs locaux ont la responsabilité de soutenir l'existence de role models. Il faut également agir afin que les femmes puissent être accompagnées dans les réseaux et que les réseaux féminins soient considérés comme des acteurs à part entière. Le maire d'une grande ville, qui nous avait accueillies, avait qualifié l'entreprenariat féminin d'entreprenariat « secondaire ». Nous ne sommes pas secondaires ! Personne ne parle d'entreprenariat au masculin.

Je souhaiterais que nous soyons considérées comme des dirigeantes d'entreprise à part entière et que les réseaux féminins puissent prendre part aux consultations et aux décisions. C'est le cas depuis votre arrivée, Monsieur le ministre, et je vous en remercie. Très peu de femmes sont cependant présentes dans les organisations patronales et dans les réseaux représentatifs de l'entreprenariat en général. Les réseaux féminins doivent être pris en compte en vue d'un rééquilibrage.

Monsieur le ministre, vous avez évoqué les actions à mener concernant le financement et la charge mentale, notamment en soutenant le congé du deuxième parent et en augmentant le plafond appliqué par la Caisse d'allocations familiales (CAF) en matière de garde d'enfants. En effet, l'aide de la CAF est malheureusement versée jusqu'aux six ans de l'enfant alors qu'un enfant de cet âge ne peut pas rentrer de l'école seul. Cette réalité pénalise fortement les femmes en milieu rural, notamment les entrepreneures mères célibataires.

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