Je vous remercie de me donner la parole. Contrairement aux intervenantes précédentes, je ne suis pas cheffe d'entreprise. J'ai néanmoins préparé mon témoignage sur la base d'interviews de cheffes d'entreprises et de personnes qui les accompagnent. Sachez que seules des femmes m'ont répondu lorsque j'ai proposé d'évoquer le sujet de l'entreprenariat au féminin.
Depuis plus de trente ans, l'ADIE, association nationale reconnue d'utilité publique, défend l'idée que chacun peut devenir entrepreneur, même sans capital et sans diplôme, s'il a accès au crédit et à un accompagnement professionnel personnalisé fondé sur la confiance, la solidarité et la responsabilité. La mission de l'ADIE est de donner accès à l'entreprenariat et à l'emploi, par le microcrédit et l'accompagnement, à ceux dont les projets ne peuvent pas bénéficier de crédits bancaires. L'ADIE finance également les besoins en mobilité de personnes en recherche d'emploi ou de salariés précaires à travers des microcrédits personnels. Cependant, je n'aborderai pas ce dernier sujet à l'occasion de cette table ronde.
En 2020, l'ADIE a apporté ses financements à plus de 29 000 personnes et en a accompagné plus de 46 000. Nous sommes présents en France au travers de 470 lieux d'accueil. Pour illustrer le public avec lequel nous travaillons, je vais vous présenter trois chiffres-clés :
- 49 % des personnes que nous finançons et accompagnons vivent sous le seuil de pauvreté ;
- 37 % d'entre elles perçoivent des minima sociaux ;
- 24 % ne possèdent pas de diplôme.
En France, 32 % des créateurs d'entreprise sont des femmes alors que ces dernières souhaitent autant entreprendre que les hommes. Les freins à l'entreprenariat des femmes sont multiples. Ils ont déjà été abordés au cours des interventions précédentes.
L'accès aux financements leur est plus difficile. Le taux de rejet de crédits demandés par les créatrices est de 4,3 % contre 2,3 % pour les hommes. Or l'aspect financier est essentiel dans la volonté d'entreprendre, pour se développer ou pour réfléchir à son projet de création. 44 % des femmes estiment que les échecs de la création s'expliquent par le manque de financement. Les femmes ayant demandé un financement se disent aussi victimes d'un biais de genre au moment de leur demande, au travers des questions qui leur sont posées sur leur organisation familiale, leur crédibilité en tant que cheffe d'entreprise ou encore leur capacité à créer un modèle économique viable.
Évidemment, ces statistiques ne prennent pas en compte toutes les femmes qui ont renoncé à demander un financement, celles-ci estimant, avant même d'entreprendre leur démarche, qu'elles ne pouvaient pas y prétendre.
Parmi ces freins s'ajoute le manque de confiance en soi. 35 % des femmes estiment ne pas posséder les compétences requises pour créer leur entreprise contre 23 % des hommes. Nombre d'entre elles ressentent un sentiment d'imposture. Elles se montrent plus prudentes dans leur parcours et elles sont beaucoup plus consommatrices de services d'accompagnement.
Enfin, parmi les autres sources de problèmes, notons les difficultés à concilier vie professionnelle et vie personnelle, des moyens de garde d'enfants parfois insuffisants et la très inégale répartition des tâches domestiques entre les femmes et les hommes au sein des foyers.
Les freins à l'entreprenariat en milieu rural sont multiples et se cumulent parfois avec les freins liés au genre. L'accès à l'information sur les services existants y est difficile. En effet, le bouche-à-oreille, principal levier en milieu rural pour connaître les dynamiques du territoire, n'est accessible que si l'on dispose déjà d'un petit réseau. Notons également le peu de services d'appui à l'entreprenariat et leur faible maillage. En outre, il est indispensable de se déplacer pour faire appel à ces services. Je peux également témoigner du sentiment d'isolement de certaines femmes. De tels sentiments peuvent représenter un frein supplémentaire, quelles que soient les compétences et les capacités des femmes qui souhaitent se lancer dans l'entreprenariat.
Depuis 2016, l'ADIE a lancé le projet Regain pour améliorer l'accessibilité de nos services en milieu rural et renforcer l'accompagnement des entrepreneurs. Ce projet a été mené dans cinq départements : le Cher, la Nièvre, l'Ariège, les Hautes-Alpes et l'Aveyron. Nous pensions qu'il existait des dynamiques entrepreneuriales en zones rurales et nous avons fait le pari qu'investir du temps pour aller à leur rencontre permettrait de les faire émerger. Un documentaire a été tourné en 2019 pour illustrer le projet Regain. Il prend la forme d'une enquête de terrain sur la réalité de l'entreprenariat individuel dans ces territoires hyper-ruraux. Plusieurs femmes interviennent dans ce film.
Au-delà du projet Regain, d'autres actions sont menées dans différents territoires (des grandes villes, des villes de taille moyenne et des petites villes) pour faciliter le développement d'entreprises gérées par des femmes. Par exemple, en Pays de la Loire, l'ADIE a développé un projet de boutique éphémère dédiée aux créatrices pour leur permettre de tester leur activité et de prendre confiance en elles. En Occitanie et en Pays de la Loire, des évènements ont été organisés, tels que le forum destiné à révéler les talents des femmes entrepreneures, le forum sur l'entreprenariat au féminin ou encore les rencontres La boss c'est moi.
Dans le Lot-et-Garonne, à plus petite échelle - mais je crois que chaque action compte dans les territoires ruraux -, l'ADIE met depuis peu ses locaux à disposition du réseau Bouge ta boîte et organise des ateliers collectifs sur le financement des entreprises, lorsque ce réseau identifie plusieurs « bougeuses » ayant besoin d'un financement. Ma collègue sur place dit, s'agissant de cette action, qu'elle souhaitait à son échelle faciliter la vie de ses interlocutrices. Il faut parfois multiplier les actions en zone rurale. Celles-ci peuvent paraître minimes mais elles sont importantes pour réussir à développer l'entreprenariat, notamment féminin.
41 % des personnes soutenues en 2020 par l'ADIE sont des femmes alors que ces dernières représentent 32 % des créateurs d'entreprises en France. Ces chiffres sont sensiblement identiques en zones rurales.
Lorsque j'ai commencé à préparer cette intervention avec les femmes entrepreneurs que nous avons accompagnées sur le territoire dont je suis chargée, les mots que j'ai le plus entendus sont « courage », « réseau », « connectée », « passion », « énergique », « pugnacité » ou encore « fierté ». Ce sont des mots forts, montrant l'envie et le dynamisme des femmes entrepreneures en milieu rural. Nous pouvons nous appuyer sur cette implication et cette énergie pour développer l'entreprenariat féminin en zone rurale. Cependant, durant ces interviews, j'ai également entendu le mot « combat » ou les expressions « devoir en faire deux fois plus », « démontrer mes compétences », « me battre pour exister », « ne rien lâcher pour y arriver ». Un travail de fond doit être mené pour tendre vers l'égalité.
J'illustrerai ces propos par deux parcours de femmes cheffes d'entreprise que nous avons accompagnées sur ce territoire, pour montrer leur force, sur laquelle nous pouvons nous appuyer dans les territoires ruraux. Je cite leur nom car elles m'ont autorisée à le faire.
La première est Mme Alibert, qui a lancé son activité en microentreprise en 2016 et qui gère désormais une société avec quatre salariés dans le sud de l'Aveyron. Elle fabrique une spécialité aveyronnaise, le gâteau à la broche cuit au feu de bois. Elle déclare au sujet de son ambition : « J'avais envie de voler de mes propres ailes pour affirmer ce que je savais faire ». Mme Alibert était précédemment cheffe de brigade dans des restaurants étoilés. Elle s'est installée en Aveyron pour des raisons familiales mais n'y a pas trouvé d'emploi. Elle a débuté son activité en vendant des gâteaux à la broche sur des marchés, avec le statut en microentreprise. Elle a développé son activité très progressivement et seule car elle n'a pas trouvé de financement bancaire. En 2018, elle a eu l'opportunité d'obtenir un local à Millau. L'ADIE a financé son projet en investissant dans les travaux d'aménagement des locaux et l'achat du matériel car elle n'avait toujours pas trouvé de financement bancaire. Mme Alibert a progressivement embauché ses salariés, qui sont quatre aujourd'hui. Elle vend désormais dans sa boutique mais également en ligne et à des revendeurs en Aveyron, à Toulouse et à Paris ainsi que sur les foires et les marchés. En 2020, elle a été à nouveau financée par l'ADIE qui lui a assuré des facilités de trésorerie afin de tenir durant le premier mois de confinement. Par la suite, elle a enfin obtenu un Prêt garanti par l'État (PGE).
Mme Alibert est une battante. Son histoire constitue une vraie réussite sur un territoire fragile. Elle indique : « Ce n'est pas si difficile que ça d'entreprendre, ça peut être donné à tout le monde mais s'il n'y avait pas eu l'ADIE qui s'était déplacée dans ma boutique pour me rencontrer, je ne serais peut-être pas là ».
Je pense aussi au parcours de Mme Voisin, qui a ouvert en 2019 un café-boutique spécialisé dans les jeux de société dans le Lot-et-Garonne. Quand elle exprime sur son ambition à travers ce projet, elle explique : « Je souhaitais être autonome, garder une liberté qui me correspond ». Mère au foyer depuis plusieurs années, Mme Voisin a rencontré des difficultés à obtenir des financements. On lui a reproché son statut de mère sans emploi. Elle a revu sa copie et son investissement à la baisse pour être financée par l'ADIE.
Son activité tourne aujourd'hui un peu au ralenti à cause de la situation sanitaire. Néanmoins, à l'heure actuelle, Mme Voisin continue de réaliser des animations dans des écoles, d'accueillir des mineurs et d'organiser des ateliers pour les personnes en situation de handicap. L'espace boutique continue de fonctionner. Mme Voisin est passionnée et optimiste, comme beaucoup : « J'ai la conviction que peu importe où nous en sommes dans la vie, il est possible de faire quelque chose et de trouver des personnes qui nous font confiance ».
Les entrepreneures qui ont témoigné indiquent que les femmes ont les mêmes besoins que les hommes. Il importe de leur faire confiance, de parler d'elles autour de nous mais également de mener un travail de fond sur la place de la femme dans la société afin de lutter contre les préjugés de genre mais aussi pour libérer leur capacité d'entreprendre. Enfin, il importe de mettre en valeur les réussites entrepreneuriales féminines. Je ne parle pas seulement des start-upeuses et des diplômées de grandes écoles mais bien des petites entreprises qui font aujourd'hui l'économie des territoires.
Je vous remercie.