Nous examinons en effet l'avis sur le projet de loi de programmation relatif au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales, dont l'examen au fond revient à la commission des affaires étrangères. Notre commission s'est saisie pour avis des dispositions relevant de son champ de compétences, à savoir les articles 1er, 2, 4, 7, 8, 9, 11 et 13, qui traitent des enjeux budgétaires de l'aide publique au développement (APD), de l'évaluation et du contrôle de cette politique, des opérateurs de la mission « Aide publique au développement », ou encore des demandes de rapports en lien avec les sujets traités par notre commission.
Annoncé depuis 2018, ce projet de loi constitue un rendez-vous législatif attendu. Il vise, d'une part, à actualiser les dispositions de la précédente loi de 2014 d'orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale, et d'autre part, à traduire sur le plan législatif la montée en charge des moyens consacrés à l'aide publique au développement depuis le début du quinquennat.
Comme vous le savez, le Président de la République, Emmanuel Macron, a fixé dès 2017 un objectif ambitieux : atteindre une part d'aide publique au développement s'élevant à 0,55 % du revenu national brut (RNB) en 2022. J'ai déjà eu l'occasion de le rappeler lors de l'examen des projets de lois de finances successifs, cet objectif doit permettre à la France de rattraper la contraction de son aide publique au développement au début des années 2010. Celle-ci n'a cessé de décroître pour atteindre en 2014 son niveau le plus bas, un ratio de 0,37 % du RNB.
Les conclusions du Comité interministériel de la coopération internationale et du développement (Cicid) de février 2018 ont certes donné une feuille de route pour la politique de développement, mais sans pour autant définir une trajectoire budgétaire de la mission « Aide publique au développement », rendant nécessaire une loi de programmation.
En outre, le projet de loi vise à répondre à une demande pressante de l'amélioration du pilotage de la politique de développement, dont notre commission s'est fait l'écho à plusieurs reprises. Je ne reviendrai pas sur les clarifications apportées par le projet de loi, qui seront détaillées par la commission des affaires étrangères. En revanche, je souhaiterais insister sur un apport essentiel pour la coordination des moyens de l'État à l'étranger. Au niveau local, l'article 7 du projet de loi prévoit que l'action de l'AFD s'exerce sous l'autorité du chef de la mission diplomatique, c'est-à-dire l'ambassadeur. Cette disposition devrait permettre de mieux coordonner les services et d'éviter une concurrence dommageable entre l'AFD et les ministères de tutelle.
Cela étant dit, j'insisterai sur quatre points qui intéressent notre commission.
Premièrement, je regrette que l'intérêt budgétaire de ce texte soit aussi limité. En effet, la trajectoire financière proposée à l'article 1er se contente essentiellement d'entériner les moyens déjà validés par le Parlement. Ainsi, l'évolution pluriannuelle des crédits de paiement de la mission « Aide publique au développement » prévue par le texte commence en 2020 et s'achèvera en 2022. Cette disposition s'apparente à une transmission avec quelques mois d'avance du projet de loi de finances pour 2022...
Au cours des auditions menées, plusieurs arguments ont été invoqués pour tenter de justifier cette trajectoire bancale, tels que le retard pris dans le calendrier d'examen du texte, ou encore l'échéance électorale de l'année prochaine. Toutefois, ces motifs ne suffisent pas à justifier cette lacune du texte, d'autant que nous avons adopté récemment la loi de programmation pour la recherche, qui prévoit une trajectoire jusqu'en 2030 - sans parler de la loi de programmation militaire.
Afin que nous examinions une réelle loi de programmation, je vous proposerai un amendement visant à prolonger la trajectoire des crédits de paiement de la mission jusqu'en 2025, en partant du montant proposé par le Gouvernement pour 2022, soit 4,8 milliards d'euros. Compte tenu des travaux menés, j'ai acquis la conviction que cette trajectoire devait satisfaire un double objectif. D'une part, il faut consolider la progression de notre aide publique au développement, pour éviter un nouveau décrochage avec les autres pays développés. D'autre part, cette trajectoire doit être crédible, compte tenu du contexte actuel de fortes tensions sur les finances publiques.
Dès lors, comment définir cette trajectoire ? Je souhaiterais ici insister sur le caractère acrobatique d'un pilotage des crédits de la mission fondé sur un pourcentage du RNB, pour plusieurs raisons. Premièrement, l'exercice 2020 témoigne du caractère relatif de cet indicateur. Quand le RNB s'effondre, à niveau stable, notre part d'aide publique au développement gonfle ! Deuxièmement, les crédits de la mission n'ont qu'un lien indirect avec le volume total de l'aide publique au développement de la France. En effet, d'autres canaux génèrent aussi des dépenses d'aide au développement, et peuvent connaître des évolutions incertaines. C'est le cas, par exemple, des allégements de dettes, dont l'évolution annuelle est difficilement prévisible.
Sous ces réserves, il reste possible de bâtir une trajectoire budgétaire en faisant porter aux seuls crédits de la mission l'évolution de l'aide publique au développement, c'est-à-dire toutes choses égales par ailleurs.
D'après les dernières prévisions macroéconomiques du Fonds monétaire international (FMI), pour atteindre la cible de 0,7 % du RNB en 2025, comme le propose l'Assemblée nationale, il faudrait une hausse annuelle moyenne de 1,9 milliard d'euros, répartie sur les exercices 2023, 2024, et 2025. Une telle hausse me semble difficilement tenable, à un moment où, par exemple, le Royaume-Uni opte pour une réduction de son aide à 0,5 % de son RNB en raison de la crise actuelle.
Selon ces mêmes hypothèses, maintenir l'objectif de 0,55 % de notre RNB en 2025 se traduirait par une hausse annuelle moyenne de 500 millions d'euros environ.
Une telle augmentation me semble cohérente avec l'effort consenti depuis le début du quinquennat et permettrait de sanctuariser les moyens dédiés à cette politique. Compte tenu des nombreuses incertitudes pesant sur la trajectoire, je propose une actualisation de celle-ci à mi-parcours, soit en 2023. Cette révision constituera un rendez-vous nous permettant de faire le point sur nos ambitions en la matière.
Mes chers collègues, je sais que plusieurs autres amendements proposant des hausses plus importantes ont été déposés, notamment par les rapporteurs de la commission des affaires étrangères. De mon côté, je reste très attaché à une préservation des moyens de l'aide publique au développement, mais aussi à la sincérité de la programmation de nos finances publiques.
Ce premier constat se double d'un autre regret : l'absence d'information sur les besoins en fonds propres de l'AFD. Alors qu'il semblerait que la recapitalisation opérée en loi de finances pour 2021 ne permette pas de couvrir ses besoins plus d'une année, il est dommageable que cette question reste sous les radars de nos débats. Je vous proposerai un amendement sur ce point.
Enfin, l'article 1er réaffirme plusieurs objectifs en matière de rééquilibrage de notre aide publique au développement qui sont bienvenus, tels que le renforcement de notre aide bilatérale et de la part des dons. Il contient également des dispositions visant à accroître la part de l'aide publique au développement transitant par les organisations de la société civile, et le soutien de l'État à l'action extérieure des collectivités territoriales. Ces objectifs concrétisent sur le plan législatif des engagements déjà pris par le Gouvernement en 2018.
Le deuxième point saillant du texte repose sur les dispositions relatives au contrôle et à l'évaluation de la politique de développement qu'il contient.
Tout d'abord, l'article 2 du projet de loi prévoit que le Gouvernement remette chaque année un rapport au Parlement visant à dresser un examen de la stratégie globale de l'aide publique au développement. Le contenu de ce rapport a été largement enrichi à l'Assemblée nationale. Je vous proposerai un amendement visant à le compléter. Pour la suite de nos débats, il nous faudra toutefois être vigilants dans l'articulation de ce rapport avec les documents budgétaires qui existent déjà, et ainsi éviter une dilution de l'information entre plusieurs supports.
Par ailleurs, ces informations seront utilement complétées par une base de données publique prévue par l'article 1er. En outre, l'article 9 du projet de loi institue une commission indépendante d'évaluation de la politique de développement. Cette disposition concrétise une proposition ancienne, notamment portée par la commission des affaires étrangères de notre assemblée. L'objectif d'une montée en gamme de l'évaluation me semble indispensable, compte tenu de la hausse continue des moyens budgétaires qui y sont consacrés.
L'Assemblée nationale a précisé le texte, notamment en rattachant cette commission à la Cour des comptes. Sa mission est désormais de conduire des évaluations sur la politique de développement, son efficacité et son impact.
Toutefois, cette nouvelle instance soulève plusieurs questions : la Cour des comptes est-elle la mieux outillée pour conduire ces missions ? Comment s'articulera le rôle de cet organisme avec la mission d'évaluation des politiques publiques attribuée au Parlement par la Constitution et les dispositions déjà prévues dans le code des juridictions financières permettant aux présidents des assemblées de saisir la Cour des comptes de demandes d'évaluation de politiques publiques ? En outre, le dispositif est peu clair sur l'organisation de la commission : conduira-t-elle ses travaux elle-même ? À ce stade, il semblerait que la piste d'une sous-traitance à des cabinets extérieurs soit privilégiée.
En tout état de cause, je vous proposerai un amendement visant à recentrer le rôle de cette commission, et à l'articuler plus clairement avec l'évaluation menée par le Parlement.
Le troisième point intéressant notre commission est celui de l'intégration d'Expertise France au sein de l'AFD, prévue par les articles 7 et 8 du projet de loi.
Annoncé depuis 2018, ce rapprochement est motivé par la volonté de rationaliser le paysage des opérateurs français en charge du développement et de l'expertise internationale. L'objectif poursuivi par le Gouvernement est de permettre de présenter une offre plus complète à nos partenaires à l'étranger, intégrant une offre de prêts, de dons, et d'expertise technique pour leur mise en oeuvre. En outre, un tel rapprochement permettra d'étendre le champ géographique de l'intervention d'Expertise France.
Enfin, les deux opérateurs travaillent déjà de concert : Expertise France bénéficie du réseau de l'AFD comme relais de terrain, des échanges de personnels ont lieu depuis plusieurs années, et l'AFD passe des commandes à Expertise France.
Concrètement, cette intégration repose sur un schéma législatif complexe.
L'article 7 autorise l'AFD à détenir tout ou partie du capital d'Expertise France. Par ailleurs, cet article procède à un toilettage bienvenu des dispositions définissant les missions de l'AFD en les basculant au niveau législatif.
L'article 8 transforme Expertise France, qui est actuellement un établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC), en une société par actions simplifiée (SAS). Le texte prévoit que son capital est public et qu'il est intégralement détenu par l'État au moment de sa transformation. Le but est de permettre d'intégrer Expertise France sous forme de filiale de l'AFD. D'après la direction générale du Trésor, le choix du statut de SAS permet de prévoir des dispositions dérogatoires en matière de gouvernance, tout en maintenant un lien fort avec la tutelle.
Dans cette perspective, plusieurs dispositions du texte visent à préserver l'autonomie d'Expertise France et le rôle de l'État. Ainsi, le conseil d'administration comprendra quatre représentants de l'État, à parité avec l'AFD. Les statuts de la société sont approuvés par décret. Enfin, deux commissaires du Gouvernement sont nommés et peuvent s'opposer aux décisions du conseil d'administration. Par ailleurs, en ce qui concerne son activité, le poids de l'AFD reste minoritaire dans les commandes adressées à Expertise France, par rapport à celui de l'Union européenne, qui représente 50 % de son chiffre d'affaires.
Ce schéma d'intégration complexe s'explique par les nombreuses difficultés juridiques à surmonter pour permettre la création d'une filiale bénéficiant d'une autonomie fonctionnelle. En l'état, la rédaction du texte laisse ouverte la possibilité que l'AFD ne détienne pas tout le capital d'Expertise France. D'après les informations transmises, cette disposition visait initialement à ménager la possibilité pour l'État de détenir une fraction du capital d'Expertise France, si cela s'avérait nécessaire pour conserver ses prérogatives au sein du conseil d'administration. Cette piste semble aujourd'hui écartée par les services de l'État, qui mènent une réflexion en vue de simplifier le processus d'intégration.
J'en arrive à mon dernier point, qui regroupe diverses dispositions relevant de la compétence de notre commission.
L'article 4 prévoit la possibilité pour les autorités organisatrices de la mobilité (AOM) de financer des actions de coopération dans le domaine de la mobilité, dans la limite de 1 % de leurs ressources affectées aux services de mobilité. Ce plafond exclut le versement « transport » des entreprises. Il s'agit d'un dispositif facultatif, inspiré d'autres dispositifs similaires existants, tels que le « 1 % déchets » et le « 1 % énergie ». Ce dispositif devrait permettre de financer près de 100 millions d'euros d'actions de coopération, même si le contexte actuel des finances publiques locales n'est peut-être pas très porteur.
De plus, l'article 1er a été complété en première lecture à l'Assemblée nationale afin d'intégrer des dispositions relatives à la restitution des biens mal acquis. Ces dispositions s'inspirent directement de la proposition de loi de notre collègue Jean-Pierre Sueur, que notre commission avait examinée au fond en 2019. Cependant, la mise en oeuvre effective de ces dispositions nécessitera une traduction dans le prochain projet de loi de finances. En effet, il est prévu qu'un nouveau programme de la mission « Aide publique au développement » permette de retracer les recettes issues de la confiscation de ces biens. Les personnes auditionnées ont toutes salué ces dispositions, et le rôle d'avant-garde du Sénat en la matière. Néanmoins, le texte proposé ne permet pas réellement de répondre à une interrogation déjà soulevée lors de nos débats en 2019 : comment pouvons-nous nous assurer que ces avoirs restitués ne soient pas réinjectés dans des circuits de corruption ? Je vous proposerai un amendement sur ce point pour tenter d'apporter une réponse.
Enfin, les articles 11 et 13 prévoient que le Gouvernement remette un rapport au Parlement sur les sujets suivants.
Premièrement, il s'agit d'un rapport sur les transferts de fonds vers les pays bénéficiaires de l'aide publique au développement. L'article 11 prévoit ainsi deux demandes de rapports. La première porte sur le dispositif de bibancarisation, c'est-à-dire la possibilité pour les banques des pays en voie de développement de commercialiser certains de leurs services en France au bénéfice des personnes expatriées. La seconde porte sur les modalités de réduction des coûts de transaction des envois de fonds vers les pays bénéficiaires de l'aide publique au développement de la France. Ces rapports permettront de dresser un bilan des dispositifs en vigueur.
Deuxièmement, l'article 13 prévoit la remise d'un rapport au Parlement évaluant les possibilités de dispense de criblage des bénéficiaires finaux de l'aide publique au développement qui participent à la stabilisation de zones de crise. Il s'agit ici de relayer une demande de certaines ONG, qui souhaitent être exemptées des procédures de vérification visant à s'assurer qu'elles ne participent pas au financement d'activités terroristes ou de blanchiment d'argent par exemple. C'est un sujet délicat, pour lequel il conviendrait de disposer d'éléments objectifs, que le rapport pourrait apporter.