Intervention de Éric Lombard

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 14 avril 2021 à 11h05
Audition de M. éric Lombard directeur général de la caisse des dépôts et consignations

Éric Lombard, directeur général de la Caisse des dépôts et consignations :

Merci de m'avoir convié dans le cadre de ces auditions prévues par la loi PACTE. C'est toujours un plaisir de partager avec vous le bilan de l'année puisque, si la CDC est effectivement au service des territoires, vous les représentez, dans cette assemblée, mieux que personne.

Je vais vous présenter de façon synthétique les résultats de l'année 2020, marquée par cette crise dévastatrice et par l'engagement très fort et énergique de l'ensemble des équipes au service de la relance. Dès le mois de mars, au début de la crise, des mesures d'urgence ont été prises à destination de nos partenaires, clients et parties prenantes. Je citerai d'abord l'une de nos premières initiatives : une participation à hauteur de 143 millions d'euros au fonds de solidarité créé avec les présidentes et les présidents de régions, afin de soutenir notamment les petits acteurs économiques.

Nous avons également mis à disposition, immédiatement, une enveloppe de 2 milliards d'euros à destination des organismes de logement social et, comme vient de le rappeler la présidente Primas, nous avons engagé des investissements dans les plans Tourisme et Commerce.

Ce soutien au tourisme - par les fonds lancés avec les régions, par le fonds de solidarité mis en place par l'État ou nos diverses initiatives - a permis de maintenir à flot la plupart des acteurs. Ce qui va être compliqué maintenant, c'est la gestion de la sortie de crise, quand les soutiens vont commencer à se réduire. Hier, j'ai été auditionné par une formation de la Cour des comptes présidée par Pierre Moscovici, et j'ai insisté pour que les mesures de soutien mises en place par le Gouvernement soient maintenues jusqu'à la reprise effective de l'économie. Nous ne devons pas, comme après la crise de 2008, retirer trop tôt les soutiens.

D'autres outils vont être utiles, notamment un auquel je crois beaucoup, mis en place pour la première fois dans la région Pays de la Loire et dont je souhaite l'extension à l'ensemble des régions ; il s'agit de proposer aux acteurs du tourisme en difficulté de vendre les murs de leur exploitation à une foncière, avec évidemment l'option de les racheter quand les temps seront plus favorables. Ce portage assure aux acteurs du tourisme une source de liquidités. Nous dialoguons également avec de grands opérateurs du secteur associatif ou du secteur privé, en complément du Comité interministériel de la restructuration industrielle (CIRI) qui échange avec ceux qui sont en difficulté, pour ceux qui le sont moins. Le suivi est très attentif et le maillage très fin.

Concernant les mesures d'urgence, nous avons aussi effectué des reports de prêts d'échéance pour les professions juridiques. Nous avons mobilisé la somme immense de 21 milliards d'euros pour financer l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss), dont nous sommes le banquier. Cette liste, qui n'est pas exhaustive, témoigne de la façon dont nous sommes intervenus dans l'urgence.

Dans le même temps, nous avons commencé à préparer la relance, avec ce plan, cité par le président Raynal, de 26 milliards d'euros - des engagements en capital - auxquels s'ajoutent 70 milliards d'euros de fonds d'épargne que nous allons pouvoir mobiliser, sans parler des enveloppes que Bpifrance mobilisera de son côté.

L'année 2020 a été marquée effectivement par le rapprochement avec le groupe La Poste, juridiquement effectif depuis le 4 mars 2020. Du fait de ce rapprochement, le total des engagements du groupe s'élève aujourd'hui à 1 242 milliards d'euros. Le vote de la loi PACTE a donc permis de construire un groupe public d'une ampleur tout à fait massive. Le bilan de la CDC a été multiplié par trois avec ce rapprochement.

Malgré cette opération de croissance, le résultat net agrégé qui ressort du résultat consolidé de la « section générale », auquel s'ajoute le résultat des fonds d'épargne, a fortement baissé. Les effets de la crise, naturellement, ont pesé sur l'ensemble des activités de la maison. Ce résultat agrégé s'élève à 777 millions d'euros, dont 210 millions d'euros au titre des fonds d'épargne. Les comptes consolidés de la « section générale » s'établissent donc à 566 millions d'euros, contre plus de 2 milliards d'euros en 2019, soit une baisse de plus de deux tiers.

Cette baisse de notre résultat, tout à fait logique compte tenu des circonstances, s'explique par la réduction de l'activité opérationnelle des filiales les plus touchées par la crise - vous avez cité monsieur le président Raynal la Compagnie des Alpes, on peut également parler de Transdev.

La réduction des dividendes est également un facteur de baisse. À la CDC, nos gestionnaires d'actifs gèrent 200 milliards d'euros ; la réduction des dividendes de notre portefeuille d'actions - plus de 90 milliards d'euros au total - pèse sur notre résultat.

Ce résultat tient enfin à l'évolution défavorable de certaines participations en raison de la baisse - même moindre en fin d'année - des marchés.

Le résultat net agrégé de 777 millions d'euros prend en compte les effets négatifs des difficultés rencontrées par La Poste. La livraison du courrier, comme vous le savez, s'est brutalement affaissée en 2020, avec 1,6 milliard de lettres en moins ; cet affaissement a un impact négatif de 1,3 milliard d'euros sur les comptes de La Poste. En 2020, les pertes de La Poste s'élèvent à 1,8 milliard d'euros.

Cet impact négatif sur les comptes de la CDC - de l'ordre de 750 millions d'euros - a été largement compensé par l'effet comptable de l'opération de rapprochement avec La Poste. Cet effet comptable correspond aussi à un effet économique, car ce sont des plus-values que nous avons intégrées dans nos résultats.

Si nous n'avions pas fait, l'année dernière, le rapprochement avec La Poste, le résultat du groupe CDC aurait été à peu près au même niveau que l'année précédente, à une cinquantaine de millions d'euros près. Il est important d'avoir cette information en tête.

L'année 2020 a vu aussi le rapprochement avec la Société de financement local (SFIL), grand acteur du financement des collectivités locales, du secteur hospitalier et de l'exportation. L'impact sur nos comptes a été assez marginal et plutôt positif.

Nous avons dû piloter notre bilan avec beaucoup de précautions pour protéger nos actifs. Mais, in fine, notre capacité d'intervention a été très peu touchée par cette année difficile. Nos fonds propres comptables ont baissé de 3 milliards d'euros, mais, si l'on ajoute les fonds d'épargne à la « section générale », ils sont de 51 milliards d'euros, ce qui correspond à une baisse de fonds propres de 6 %. L'effet est non négligeable, mais ne change en rien notre trajectoire financière et, surtout, notre capacité à intervenir au service du pays. C'est pourquoi nous avons pu mettre en place ce plan de 26 milliards d'euros d'investissement - c'est-à-dire un niveau d'investissements supérieur à ce que nous avons pu faire ces dernières années.

En 2020, notre contribution au budget de l'État s'élève à 514 millions d'euros, répartie entre, d'une part, 228 millions d'euros versés au titre de la contribution représentative de l'impôt sur les sociétés, et d'autre part, 286 millions d'euros correspondant au versement de la moitié des résultats consolidés de la CDC, comme le prévoit la règle depuis quelques années.

L'apport de CNP Assurances s'élève à près de 4 milliards d'euros et se traduit dans les résultats comptables de La Poste ; celle-ci présente un résultat net de 2 milliards d'euros, alors que, sans l'opération de rapprochement, elle aurait affiché une perte de 1,8 milliard d'euros. À cela s'ajoutent les 6 milliards d'euros de fonds propres apportés par CNP Assurances. Ainsi, le groupe public se retrouve avec, au total, plus de 18 milliards d'euros de fonds propres, au lieu de 10 milliards d'euros si l'opération « Mandarine » n'avait pas eu lieu. Ce rapprochement a donc permis, malgré une année très difficile, de donner à La Poste des moyens importants.

Nous avons joué notre rôle d'actionnaire en permettant à La Poste de ne pas verser de dividendes au titre de 2019 et, malgré le résultat comptable positif de 2 milliards d'euros, nous ne demanderons pas non plus de dividendes à La Poste au titre de 2020.

J'en profite pour féliciter et remercier les postières et les postiers qui se sont mobilisés tout au long de l'année 2020 pour maintenir les bureaux ouverts, alors que les difficultés opérationnelles étaient réellement importantes. Grâce à eux, les prestations sociales ont pu être versées ; c'était un des grands enjeux du confinement.

Lors de ma précédente audition, j'avais évoqué les grands axes du plan de relance. Ce plan, qui représente 26 milliards d'euros d'investissements, s'articule autour de quatre priorités : le financement de la transition écologique et énergétique (TEE) ; le soutien à l'économie ; la cohésion sociale ; la cohésion territoriale et l'habitat. Nous avons été très attentifs au déploiement de ce plan au plus près des territoires. Pour cela, nous nous appuyons notamment sur le réseau de la Banque des territoires, fort de 36 implantations territoriales - nous avons, la semaine dernière, inauguré l'antenne de Tours - et de 850 collaborateurs sur le terrain. Nous avons des moyens financiers accrus car le ministre des finances nous a autorisé de nouveaux emplois des fonds d'épargne. .

Sur les 26 milliards d'euros du plan de relance approuvés par la commission de surveillance, nous avons déjà déployé 7,7 milliards d'euros en 2020, soit deux fois le niveau d'investissement d'une année normale. Après les équipes de La Poste, je tiens également à féliciter les équipes de la Banque des territoires et de la CDC, qui ont vraiment été très présentes sur le terrain pour lancer tous ces investissements.

Concernant la TEE, nous avons déployé 1,4 milliard d'euros sur les 6,3 milliards d'euros annoncés. Les financements concernent les bus électriques, les nouvelles énergies renouvelables, ainsi que les bornes électriques pour les véhicules rechargeables.

Madame la présidente Primas, pour répondre à votre question, je suis en accord avec mon ami Nicolas Dufourcq. Les financements sont disponibles, nous pourrions étudier davantage de projets. En matière de TEE, beaucoup de projets viennent des territoires. Une des plus importantes sociétés énergétiques françaises est une société d'économie mixte (SEM) implantée dans le département de la Vienne. Récemment, je me suis déplacé dans la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, où Proviridis - une entreprise dans laquelle nous participons au capital - est en train d'installer les stations de distribution d'énergie du XXIe siècle. Toutes ces initiatives existent ; s'il y en avait davantage, nous pourrions les financer. Nous gérons l'épargne de notre pays. Le fait que cette épargne soit abondante est une bonne nouvelle, et nous sommes en mesure de la déployer.

Vous avez évoqué la « banque du climat ». Il s'agit d'un projet mené conjointement avec Bpifrance. Plus de 30 milliards d'euros sont disponibles pour ces financements.

Au-delà de la TEE, nous soutenons les entreprises, notamment les commerces dans les villes petites et moyennes. Plus de 40 foncières sont déjà établies, 20 ne vont pas tarder à se mettre en place ; nous visons la centaine de foncières pour soutenir le commerce local. Ce dispositif très précieux permet de racheter des murs, soit pour les donner à bail à des conditions avantageuses, soit pour soutenir un commerçant propriétaire.

Nous avons abondé beaucoup de fonds gérés par Bpifrance, dont la restructuration financière a permis de doter l'organisme de 3 milliards d'euros de fonds nouveaux. Je peux évoquer également l'initiative portée avec les assureurs en matière de santé et de tourisme : 2 milliards d'euros d'investissement, dont 150 millions d'euros apportés par la CDC. Le soutien à l'économie nous mobilise donc largement.

Nous disposons d'une enveloppe de 500 millions d'euros pour la cohésion sociale. Le secteur est moins « consommateur » de fonds propres. Les investissements concernent notamment la rénovation d'établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), les établissements médicalisés pour les seniors et les services innovants numériques, notamment la télémédecine, notamment dans les zones rurales où les médecins sont moins nombreux.

Nous avons changé le nom de la direction des retraites et de la solidarité, qui s'appelle désormais la direction des politiques sociales. Il ne s'agit pas seulement de changer les mots, mais de montrer, à travers cela, combien le champ de cette direction s'est élargi.

Vous avez cité « Mon compte formation », dont le succès doit se poursuivre. Dans l'industrie, 500 000 postes ne sont pas pourvus. Le problème, c'est la formation des jeunes ; « Mon compte formation » peut contribuer à y répondre. Par ailleurs, dans le cadre du plan engagé par le Premier ministre, des soutiens nouveaux sont accordés aux jeunes cherchant des formations.

Enfin, nous avons engagé 3,6 milliards d'euros en faveur du logement. Avec CDC Habitat, nous pouvons faire beaucoup. L'an dernier, nous avons lancé un programme de 40 000 ventes en l'état futur d'achèvement (VEFA), dont 5 000 dans les départements d'outre-mer.

Nous avons également participé au plan lancé par Emmanuelle Wargon en nous engageant à développer 30 000 logements sociaux. Le coût financier, naturellement, est massif.

Une difficulté est apparue. En effet, les programmes de construction ont connu un véritable coup d'arrêt. Beaucoup de municipalités ont peut-être été impressionnées par la demande des électeurs de réduire le rythme de construction, ainsi que par la lutte - légitime - contre l'artificialisation des sols. Il n'en demeure pas moins que notre pays a besoin de construire 400 000 logements par an pour loger les Françaises et les Français. Nous en avons également besoin pour soutenir l'activité des entrepreneurs du bâtiment et des travaux publics. L'an dernier, nous sommes passés à moins de 350 000 logements construits, dont 90 000 logements sociaux et sans doute moins cette année.

C'est un véritable sujet pour les élus locaux. Les financements sont disponibles, et l'abondante collecte nette des fonds d'épargne - 35 milliards d'euros - nous permet de financer et la rénovation thermique, qui se fait bien, et la construction, pour laquelle je suis un peu plus inquiet.

J'ai rappelé au début de mon propos que la Banque des territoires s'appuyait sur 850 collaborateurs répartis sur l'ensemble des 36 implantations sur le terrain. Dans le plan de relance, nous avons souhaité augmenter les délégations données à nos directeurs régionaux. Nous avons mis en place, pour chacune des collectivités territoriales, des collaborateurs référents dans nos équipes afin d'avoir un référent unique. Tout cela est complexe à mettre en oeuvre en raison de la diversité des outils, qu'il s'agisse de l'ingénierie, de l'investissement en capital et du prêt. Ces référents présentent toute l'offre de la Caisse des dépôts et consignations à destination des élus. Ainsi neuf prêts sur dix et la moitié de nos investissements sont maintenant décidés localement, au plus près des territoires.

Nous sommes donc maintenant en capacité de décider vite, c'est pourquoi nous avons pu engager près de 8 milliards d'euros l'année dernière. Je suis très attentif à ce que le mandat donné à nos directions régionales soit un mandat en montant d'investissement, mais aussi en nombre d'opérations. Plutôt que quinze très gros dossiers, e préfère qu'il y ait des dizaines et des centaines de dossiers plus petits, mais qui soutiennent l'ensemble des territoires. Nos offres sont très équitables dans leur fonctionnement, notamment les prêts des fonds d'épargne dont les conditions sont les mêmes, quelle que soit la taille de l'acteur.

L'épargne accumulée - soit 36 milliards d'euros - a largement été réinvestie. Nous sommes au contact des acteurs territoriaux pour mobiliser cette épargne des Français et la gérer de la façon la plus efficace possible.

Je reviens sur une question du président Claude Raynal sur la revue de nos participations. Toutes les participations de la CDC ont bougé depuis le début de mon mandat, il y a un peu plus de trois ans. Je vous remercie d'avoir rappelé les trois critères que nous utilisons dans nos décisions et dans le dialogue avec la commission de surveillance : l'intérêt des entreprises concernées, l'intérêt général et l'intérêt patrimonial de la caisse.

Dans cette situation où certaines filiales sont en difficulté économique - je pense à la Compagnie des Alpes ou à Transdev -, la Caisse des dépôts et consignations jouera son rôle d'actionnaire pour accompagner ces sociétés dans leur adaptation.

En conclusion, nous poursuivrons le déploiement de notre plan de relance en 2021 sur un rythme voisin de celui de 2020. En une demi-année nous sommes parvenus à investir près de 8 milliards d'euros. Certes, nous n'allons pas investir 16 milliards en 2021, mais j'espère que nous pourrons tabler au moins sur 8 milliards de crédits. Nous allons continuer à nous appuyer sur les grands programmes nationaux, qui sont extrêmement efficaces. C'est une nouvelle façon pour l'État et les acteurs publics d'agir au plus près des territoires. Je pense aux programmes Action coeur de ville, Territoires d'industrie, Territoires d'innovation, Petites villes de demain et, bien entendu, au plan d'investissement d'avenir, qui fonctionne bien.

L'action de la CDC n'a jamais été aussi nécessaire qu'en temps de crise et nous comptons bien jouer notre rôle contracyclique, avec enthousiasme et énergie, au maximum de nos capacités, au service de notre pays et de la relance.

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