Cette audition va me permettre de vous présenter trois travaux de la Cour des comptes qui visent à éclairer le Parlement : l'acte de certification des comptes de l'État, le rapport sur l'exécution du budget de l'État en 2020, et l'avis rendu hier par le HCFP sur le projet de loi de règlement.
Je suis accompagné de MM. Christian Charpy, président de la première chambre, Emmanuel Belluteau, président de section, Louis-Paul Pelé, conseiller maître et Éric Dubois, rapporteur général du HCFP.
Permettez-moi de dire quelques mots sur le contexte exceptionnel dans lequel ces travaux ont été réalisés. Leur calendrier de publication a été accéléré puisque l'acte de certification et le rapport sur le budget d'État vous sont remis deux semaines plus tôt que l'an dernier, un mois plus tôt qu'en 2019 et un mois et demi plus tôt qu'en 2017. La Cour a donc consenti d'importants efforts pour réduire ses délais de production tout en maintenant l'intégralité de ses contrôles grâce à la mise en oeuvre de différentes mesures de simplification. La réduction des délais de production de nos rapports est au coeur de la réforme stratégique que je porte pour les juridictions financières. Ce changement de calendrier vous permet de consacrer plus de temps à l'évaluation des résultats.
Les documents que je vous présente aujourd'hui sont le fruit d'un travail accompli dans des conditions nettement plus difficiles en raison de la pandémie, pour nous comme pour les administrations. Les équipes de la Cour se sont attachées à étudier les effets de la crise, immédiats ou décalés, sur les recettes, les dépenses et le déficit de l'État, mais aussi sur sa situation patrimoniale ; celles du HCFP ont dû faire face à un niveau très élevé d'incertitude pour rédiger leur avis, dans des délais extraordinairement limités.
Depuis le premier exercice exécuté dans le cadre de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), la Cour en est à sa quinzième certification des comptes de l'État. La première certification, remise en 2007 sur l'exercice 2006, comportait treize réserves ; celle-ci n'en comporte que quatre, comme l'an dernier. Cette évolution témoigne des efforts consentis par l'administration pour améliorer la régularité, la sincérité et la fidélité des comptes de l'État. Plusieurs réserves sont levées par rapport aux exercices précédents, dont certaines figuraient dans l'acte de certification depuis l'origine. Quatre réserves substantielles et vingt-deux constats d'audit significatifs demeurent cependant.
La première réserve est systémique : elle concerne des limites au regard de nos vérifications qui tiennent, d'une part, aux conditions de tenue de la comptabilité générale dans Chorus et, d'autre part, à l'efficacité du contrôle interne. Les trois autres réserves concernent différentes anomalies significatives dans les comptes, qui portent respectivement sur les stocks militaires et les immobilisations, sur les participations financières de l'État et sur les charges de personnels et d'intervention ainsi que sur les produits régaliens.
La Cour fait ressortir trois principaux constats au 31 décembre 2020. Le premier a trait à la poursuite des efforts de fiabilisation des comptes, malgré la crise. Je salue à cet égard le travail partenarial très constructif qui s'est noué entre la Cour et la direction générale des finances publiques (DGFiP), notamment dans le cadre du plan d'action que nous avons signé en 2019. Ce travail a permis d'avancer le calendrier de mise à disposition des comptes sans incident sur leur fiabilité et d'anticiper la formalisation de notre opinion. Cette démarche de fiabilisation doit être encore poursuivie : des comptes fiables sont pour l'administration une source très précieuse d'informations, pour sa gestion courante et ses prévisions budgétaires.
Notre deuxième constat concerne les progrès qui restent à accomplir dans la démarche de maîtrise des risques. Certes, les dispositifs de contrôle interne de l'État continuent de se professionnaliser, mais nous constatons qu'ils n'ont pas encore atteint un niveau de maturité suffisant pour garantir la maîtrise des principaux risques susceptibles d'avoir une incidence sur ses comptes. Cette exigence est pourtant d'autant plus forte que le Gouvernement souhaite alléger ou supprimer de nouveaux contrôles a priori : une telle évolution n'est envisageable que si elle est précédée d'importants efforts pour analyser les risques auxquels est exposée la gestion publique et mettre en place les mécanismes pour les prévenir et les maîtriser.
Le troisième constat a trait à l'insuffisante utilisation de la comptabilité générale pour appréhender la situation des finances publiques. Dans les années qui viennent, l'État aura plus que jamais besoin de disposer d'une vision à moyen et long termes de ses engagements : l'analyse du solde budgétaire de l'État doit être complétée par celle de sa situation patrimoniale. La comptabilité budgétaire et la comptabilité générale ne s'opposent pas, elles sont complémentaires pour analyser la situation des finances de l'État. La Cour est prête à prendre toute sa part à ce chantier et va, pour la première fois, à titre expérimental, joindre au rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques qui vous sera remis en juin prochain une analyse financière de la situation de l'État, à partir de sa comptabilité générale. Cette analyse pourra notamment alimenter le débat annuel sur la dette publique que nous appelons tous de nos voeux.
Notre rapport sur l'exécution du budget de l'État en 2020 met en évidence l'impact massif de la crise, mais aussi des évolutions plus structurelles qui ne lui sont pas imputables. La crise sanitaire a eu une incidence majeure sur le budget de l'État. À partir du mois de mars, le Gouvernement a adopté un ensemble de mesures pour ralentir la diffusion de la pandémie, puis pour soutenir les entreprises et les ménages. Ces interventions de l'État ont été portées par quatre lois de finances rectificatives (LFR) qui ont modifié significativement la programmation budgétaire initiale. En partant de la dépense effective, la Cour a réalisé un travail très important pour chiffrer l'importance et l'incidence de la crise sur le budget de l'État. Cette dernière s'élèverait à 92,7 milliards d'euros, avec toutefois une inévitable marge d'incertitude. Plus de la moitié de ce coût résulte de dépenses supplémentaires liées à la crise, à hauteur de près de 50 milliards d'euros. La plupart d'entre elles, soit presque 42 milliards d'euros, ont été portées par une nouvelle mission budgétaire intitulée « Plan d'urgence face à la crise sanitaire » et qui rassemble quatre interventions de l'État : la prise en charge de l'activité partielle ; les aides du fonds de solidarité ; les prises de participations de l'État dans des entreprises en difficulté ; et la compensation à la sécurité sociale du dispositif d'exonération et d'aide au paiement des prélèvements sociaux. Les autres dépenses budgétaires imputables à la crise relèvent d'autres missions : « Solidarité », « Travail » ou « Économie ».
La crise a aussi pesé sur les recettes de l'État, en provoquant une baisse de quelque 32,3 milliards d'euros de recettes. L'effet est toutefois inégal selon les impôts : il est très marqué par exemple pour l'impôt sur les sociétés, dans une moindre mesure pour la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) ; en revanche, l'impôt sur le revenu a été assez peu affecté, tout comme les impôts assis sur le capital.
Conséquence logique de cet effet de ciseau entre dépenses et recettes, le solde budgétaire de l'État a connu une très forte dégradation : le déficit s'élève à 178 milliards d'euros fin 2020, en hausse de près de 85 milliards d'euros par rapport à la prévision en loi de finances, soit un quasi-doublement. La Cour relève que toutes les composantes du solde budgétaire contribuent à cet écart : le solde du budget général à hauteur de près de 80 milliards d'euros et celui des comptes spéciaux de plus de 5 milliards d'euros. Cette dégradation est bien plus significative qu'en 2009, après la crise financière de 2008 : à cette date, le déficit s'élevait à 138 milliards d'euros. Le niveau de déficit atteint est donc sans précédent.
La dette de l'État s'est par conséquent fortement accrue en 2020 et elle a franchi la barre symbolique des 2 000 milliards d'euros. L'encours de la dette de l'État a progressé de 63 % depuis 2010 et le besoin de financement de l'État a augmenté de 89 milliards d'euros par rapport à 2019, à près de 310 milliards d'euros.
Près de la moitié des dépenses - nettes des remboursements et dégrèvements - du budget général ont ainsi été financées en 2020 par l'endettement et non par des recettes publiques. Le besoin de refinancement de l'État au cours des dix prochaines années augmente de 180 milliards d'euros. L'État a toutefois bénéficié de la poursuite des baisses de taux d'intérêt et de l'inflation en 2020. Ces facteurs conjoncturels n'enlèvent toutefois rien à la vigilance que nous devons apporter à la question de soutenabilité de la dette publique.
La dégradation du solde budgétaire de l'État en 2020 est donc significative et a des conséquences directes sur son niveau d'endettement, déjà élevé. Elle est toutefois largement inférieure à ce qui était anticipé dans la quatrième loi de finances rectificative qui prévoyait un déficit de 223,3 milliards d'euros, donc supérieur de plus de 45 milliards d'euros à ce qui a finalement été constaté.
Cet écart entre la prévision et l'exécution résulte d'un volume très important de crédits qui n'ont pas été dépensés en fin d'année, à hauteur de 31,6 milliards d'euros, principalement ceux qui avaient été ouverts par la quatrième loi de finances rectificative, dont plus de 90 % concernent les crédits de la seule mission « Plan d'urgence » qui a bénéficié, sur l'ensemble de l'année, de 69,6 milliards d'euros.
Cette sous-consommation reflète un manque de réalisme des prévisions budgétaires : les montants de crédits ouverts dans la quatrième loi de finances rectificative ont dépassé les prévisions de dépenses qui pouvaient raisonnablement découler des informations disponibles en novembre. La prudence ne peut, à elle seule, justifier l'ampleur de cette budgétisation.
Les crédits non consommés ont donné lieu à des reports massifs de plus de 30 milliards d'euros sur l'exercice suivant, alors qu'ils s'élèvent en moyenne à 1,4 milliard d'euros sur les dix dernières années. La Cour considère que cela conduit à une certaine confusion des exercices et porte atteinte au principe de l'annualité budgétaire : il aurait été plus conforme aux règles posées par la LOLF d'ouvrir les crédits supplémentaires dans la loi de finances pour 2021. Notre rapport contient donc une recommandation visant à n'ouvrir en loi de finances que des crédits nécessaires à l'exercice en cours et à mieux se conformer à la règle de plafonnement des reports de crédits à 3 % des crédits ouverts, pour respecter la volonté du législateur organique.
Les prévisions de recettes fiscales n'ont pas non plus échappé à ces aléas. L'écart est particulièrement élevé - 29 milliards d'euros - entre l'exécution et la troisième loi de finances rectificative. Ces aléas dans les prévisions de recettes mettent clairement en évidence l'intérêt d'une expertise complémentaire à celles du Gouvernement pour examiner ex ante le réalisme des prévisions de recettes et de dépenses publiques dans les projets de lois financières.
Nous avons donc ici une illustration très concrète de ce que l'extension du mandat du HCFP - que j'appelle de mes voeux depuis ma nomination - pourrait apporter à la décision publique : ce mandat pourrait être étendu à l'appréciation du réalisme des prévisions de recettes et dépenses, comme le font nombre d'institutions budgétaires indépendantes en Europe. Il en va de la clarté du débat sur les finances publiques dans notre pays.
L'impact de la crise économique née de la pandémie a entraîné une très forte hausse des dépenses du budget de l'État : à périmètre constant, les dépenses nettes des remboursements et dégrèvements du budget général ont augmenté de 15,5 % par rapport à 2019 pour atteindre un niveau inégalé de près de 390 milliards d'euros. Une partie de ces dépenses est imputable à la crise ; mais la crise n'explique pas tout, et les autres dépenses du budget général ont également nettement progressé en 2020, de 6,7 milliards d'euros, contre 1,5 milliard d'euros en 2018.
Le plafond de dépenses pilotables prévu par la loi de programmation des finances publiques 2018-2022 a été dépassé de plus de 15 milliards d'euros, preuve supplémentaire de la caducité de ce texte. Ce déplacement traduit une hausse structurelle de certaines dépenses, notamment de fonctionnement. Si cette dynamique se poursuivait, en tenant compte des dépenses de crise et des crédits reportés sur 2021, l'augmentation des dépenses du budget de l'État entre 2018 et 2021 pourrait s'établir à 90,5 milliards d'euros, soit une hausse de presque 30 %.
Il est à craindre que ce dynamisme ne produise un effet de cliquet, avec le maintien des dépenses de l'État à un niveau durablement plus élevé qu'avant la crise. Cette situation aurait des conséquences et des effets directs sur la trajectoire de solde et de dette publics présentée dans le programme de stabilité.
Comme l'an dernier, la Cour a étendu son avis à l'ensemble des moyens financiers que l'État consacre aux politiques publiques : les dépenses des deux budgets annexes et des 28 comptes spéciaux ont en effet représenté - hors double compte avec le budget général - 19,6 milliards d'euros en 2020. La Cour souligne le caractère très hétéroclite de l'ensemble formé par les budgets annexes et les comptes spéciaux et regrette le pilotage partiel de leurs dépenses. L'exécution 2020 prolonge les progrès qui ont été réalisés en 2019, puisque les deux tiers des dépenses sont compris dans la norme de dépenses de l'État et que les trois quarts d'entre elles sont couverts par l'objectif de dépenses totales de l'État. Par ailleurs, deux comptes d'affectation spéciale ont été supprimés et leurs moyens rebudgétisés par la loi de finances initiale pour 2020. Cependant, une part significative des dépenses des comptes spéciaux et des budgets annexes demeure en dehors de toute norme et les recommandations antérieures de la Cour pour rationaliser cet ensemble n'ont pas encore toutes été suivies d'effet. La revue du bien-fondé de chacun de ces dispositifs doit aujourd'hui être systématisée, pour améliorer la lisibilité des moyens budgétaires de l'État, faciliter leur pilotage et approfondir le contrôle parlementaire.
Notre rapport aborde aussi les dépenses fiscales, les taxes affectées et les fonds sans personnalité juridique. Il s'agit de sommes très significatives puisque les dépenses fiscales s'élèvent fin 2020 à 89,1 milliards d'euros et que l'État a affecté l'an dernier 40,3 milliards d'euros d'impôts et taxes à des opérateurs ou à d'autres organismes - hors collectivités territoriales et sécurité sociale - sans qu'une information suffisante ait été donnée au Parlement sur les actions que ces moyens viennent financer. Nous recommandons donc d'accélérer la mise en oeuvre du programme d'évaluation de l'efficacité et de l'efficience des dépenses fiscales et de revoir le périmètre du plafonnement de ces dépenses en loi de programmation. La Cour regrette à nouveau que les fonds sans personnalité juridique ne fassent l'objet ni d'un suivi précis, ni d'une stratégie de remise en ordre, alors même qu'ils échappent à presque tout contrôle.
Au terme de son analyse sur l'exécution 2020 du budget de l'État, la Cour formule donc cinq recommandations.
Le HCFP vient de formuler son avis sur le projet de loi de règlement pour 2020. Les délais contraints dans lesquels nous avons travaillé limitent toutefois notre capacité d'analyse et d'expertise. En outre, le solde structurel sur lequel le HCFP était chargé de se prononcer est dépourvu de signification : d'une part, parce qu'il est calculé à partir de l'estimation du produit intérieur brut (PIB) potentiel de la loi de programmation des finances publiques de 2018 et que cette estimation a été rendue obsolète par la crise économique - nous avons besoin d'une nouvelle loi de programmation ! - et d'autre part, parce que le solde structurel repose sur les modalités de calcul des mesures exceptionnelles et temporaires retenues par le Gouvernement qui viennent brouiller la lecture de la décomposition du solde : la totalité des mesures dites d'urgence et de soutien sont considérées comme des mesures appelées à ne pas se renouveler et ne comptent donc pas dans le calcul du solde structurel ; pourtant, la plupart d'entre elles se prolongent en 2021...
Par conséquent, en contradiction avec la très forte dégradation qui s'annonce persistante des finances publiques, le solde structurel présenté par le Gouvernement apparaît en nette amélioration en 2020 : après - 2,3 points en 2019, le solde structurel s'établirait à - 0,9 point en 2020. Le HCFP estime que, dans ces conditions, il n'y a pas lieu de déclencher le mécanisme de correction, alors que la crise sanitaire avait conduit le Conseil à estimer, dans son avis sur le premier projet de loi de finances rectificative, que les circonstances exceptionnelles étaient réunies. Ces mêmes conditions avaient conduit le Conseil de l'Union européenne à déclencher la clause dérogatoire du pacte de stabilité et de croissance en mars dernier.
Enfin, à votre demande, notre avis sur le projet de loi de règlement comprend un encadré sur le coût net des six principales mesures d'urgence de soutien aux revenus. Celui-ci serait compris entre 67 et 82 % de leur montant brut, en raison d'un effet direct et indirect favorable sur les prélèvements obligatoires.