Je vous remercie de votre invitation. C'est dans un état d'esprit de confiance et de dialogue que je vais vous rendre compte de l'action que le Gouvernement a entreprise et continuera de mener pour répondre aux enjeux liés à la perte d'autonomie des personnes âgées.
La crise sanitaire a exacerbé ces enjeux, et a montré les failles béantes du secteur, dont la réforme est plus que nécessaire : elle est urgente. Au temps de la concertation a succédé celui de l'action.
Avant la crise sanitaire, plusieurs rapports avaient mis en avant la nécessité de revaloriser les métiers du « prendre soin à domicile ». Ils avaient posé les mêmes constats : des métiers durs, mal payés, mal considérés, mais des métiers de sens, de contact humain, devenus incontournables.
Nous avons souvent partagé ces constats, mais la volonté politique a trop longtemps manqué. Ces derniers quinquennats, des avancées ont parfois été réalisées, sans transformer profondément le secteur du grand âge.
La nécessité d'une réforme ambitieuse de la dépendance est reconnue depuis près d'une quinzaine d'années, mais les circonstances ou les priorités du moment en ont décidé autrement. Nous y sommes, désormais.
La réforme du grand âge et de l'autonomie est sur les rails, irrémédiablement engagée. La crise sanitaire, loin de la stopper, l'a accélérée, mettant en lumière toutes les difficultés de ce secteur essentiel.
Un effort considérable a été consenti pour le secteur depuis le début de cette crise. Le Gouvernement a mobilisé des enveloppes sans précédent, pour répondre aux attentes légitimes des professionnels du grand âge. Il a étendu les accords du Ségur aux salariés des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), publics comme privés non lucratifs, qui ont obtenu une revalorisation de 183 euros nets mensuels.
L'État a accompagné les départements, dans une démarche partenariale mobilisant 80 millions d'euros, pour verser la prime Covid aux services d'aides à domicile.
Vous avez voté un amendement au PLFSS 2021 qui octroie à la CNSA une dotation de 200 millions d'euros par an pour revaloriser les salaires de ces professionnels dans le cadre de la négociation de l'avenant 43. Après avoir agréé l'avenant 44, je vais agréer cet avenant 43 à la convention collective de la branche de l'aide à domicile. Je renouvelle mon appel aux départements de saisir la main tendue par l'État pour accorder une rémunération plus décente à ces salariés, souvent des femmes, qui se sont distingués pendant la crise.
Cette revalorisation globale atteindra 13 à 15 % pour ces aides à domicile ; c'est une juste reconnaissance pour ces salariés, et un signal fort pour l'attractivité de métiers d'avenir.
L'investissement dans les métiers passe aussi par la construction de parcours professionnels valorisants grâce à la formation, à l'apprentissage, à la création de passerelles entre différents types d'emplois, par la coordination entre les métiers du grand âge et ceux du sanitaire. C'est tout le sens du plan d'action pour les métiers du grand âge que je porte depuis mon arrivée au ministère.
Nous ne nous arrêtons pas à la revalorisation des métiers : nous rénovons aussi le cadre professionnel et les conditions de travail. Grâce au plan de relance, 2,1 milliards d'euros sur cinq ans serviront à rénover et à transformer en profondeur les établissements médico-sociaux. Les établissements du futur seront mieux traitants, plus sécurisants pour les personnes, mais aussi plus ouverts sur l'extérieur.
La rénovation du parc existant est un enjeu majeur, car près de 25 % des places disponibles en Ehpad n'ont pas été rénovées depuis vingt ans : vingt ans qu'on laisse nos concitoyens vieillir dans des établissements trop vétustes, avec des chambres doubles et des salles de bains partagées. La crise sanitaire nous a montré l'impérieuse nécessité de rénover ces établissements.
Ce plan d'investissement historique fait le choix de la confiance aux territoires pour définir la stratégie la plus adaptée aux besoins : 98 % de l'enveloppe est déconcentrée au niveau des agences régionales de santé (ARS), lesquelles devront veiller à associer étroitement les acteurs de leurs territoires - élus, partenaires de santé, acteurs de la vie économique et sociale, personnes et familles directement concernées. Ce plan d'investissement doit changer radicalement la manière dont nous concevons les lieux de vie des personnes âgées.
C'est pourquoi nous avons lancé une démarche nationale de co-construction de l'établissement de demain, à savoir des rencontres avec les experts, les usagers, les gestionnaires et les médecins, afin de définir le cahier des charges de l'offre du futur, tournée vers une logique domiciliaire.
Ce plan métiers et ce plan d'investissement n'ont de sens que s'ils traduisent la volonté de toujours mettre en avant les droits des personnes âgées en perte d'autonomie.
La crise sanitaire et le confinement ont également rappelé l'importance de la liberté d'aller et venir dans les Ehpad. Ces valeurs et cette culture de l'accompagnement ont été difficiles à préserver en temps de pandémie, où la protection de la vie humaine était notre impératif. Mais j'ai souhaité, dès ma nomination cet été, éclairer ces enjeux sanitaires d'un seul et même principe : protéger sans isoler. Le succès de la campagne de vaccination en Ehpad a permis d'anticiper un retour à la vie normale pour des résidents très éprouvés.
Le 12 mars, nous avons publié une série de recommandations à destination des directeurs d'Ehpad et d'unités de soins de longue durée (USLD) pour assouplir les mesures de protection des résidents au sein de ces établissements. Ce protocole a été construit avec toutes les parties prenantes : médecins, scientifiques, directeurs et directrices, résidents et familles de résidents, juristes, gériatres, éthiciens, pour qu'ensemble nous construisions le chemin des retrouvailles. Ces recommandations assurent les mêmes droits et les mêmes libertés aux résidents, quel que soit leur statut vaccinal et immunitaire.
Elles cherchent à garantir un retour progressif à une vie sociale, intime et personnelle, à l'intérieur comme à l'extérieur des établissements. Le protocole a permis ces retrouvailles dans une très large majorité de cas. On a pu retrouver son parent dans sa chambre, l'emmener déjeuner chez soi, passer plus de temps avec lui. En somme, essayer de rattraper le temps perdu par un an de crise sanitaire, et ce, grâce à la campagne de vaccination.
Mais ce protocole, qui ne cherche qu'à orienter les directeurs d'établissements dans la conciliation entre vie normale et protection des résidents, n'est pas encore appliqué partout.
Soyons clairs : oui, l'épidémie est toujours là, des cas de foyers épidémiques dans les Ehpad nous sont remontés, nous avons même des exemples d'échappements vaccinaux. Dans ces situations, il est impératif de mettre en place des mesures de protection au sein des établissements pour éviter la propagation de l'épidémie. Mais certaines familles nous disent leur incompréhension, leur colère parfois, de se voir refuser l'accès à la chambre de son proche alors que l'Ehpad ne connaît pas d'événement épidémique. Je ne cherche pas à juger ni à blâmer les directeurs et leurs équipes, qui font face à des situations souvent très compliquées et qui, pour l'immense majorité d'entre eux, font au mieux de ce qu'ils peuvent faire, face à une situation qui ne s'apprend pas dans les livres d'école.
C'est pourquoi, compte tenu de l'avancement de la campagne de vaccination dans ces établissements, nous allons publier dans les prochains jours de nouvelles recommandations actant la fin prochaine des restrictions dans la vie quotidienne des résidents d'établissements accueillant des personnes âgées, que cela soient des Ehpad, des USLD ou des résidences autonomie ou services. La règle est bien la vie normale et les mesures de protection, l'exception.
En supplément de ce nouveau protocole, nous allons envoyer dans les prochains jours une circulaire à tous les directeurs d'établissements sanitaires et médico-sociaux accueillant des personnes âgées, qui rappellent les droits fondamentaux de la personne résidente en établissement, en particulier sa liberté d'aller et venir. C'est un principe intangible qu'il est nécessaire de rappeler constamment.
Parce que je crois plus à l'accompagnement sur le terrain qu'au décret depuis Paris, ces recommandations seront accompagnées d'une boîte à outils pour que les directeurs soient aidés dans leur prise de décision quotidienne, en particulier sur des questions éthiques.
La réforme du grand âge est une réalité, tant par les montants qu'elle met sur la table que par la philosophie qui l'anime.
Ces montants - plus de 4,5 milliards d'euros mobilisés par l'État à destination du secteur du grand âge - et cette philosophie - mettre les droits des personnes au centre - feront date dans la façon dont nous anticipons la transition démographique.
Les professionnels du grand âge et les personnes âgées en perte d'autonomie attendent plus, et à raison. À refuser de voir les enjeux du vieillissement, ou de ne le considérer qu'en période de crise, nous avons hérité d'un secteur trop segmenté, créant des inégalités entre les personnes d'un territoire à l'autre, entre les personnels de différents statuts ou entre les différents modes de financement.
À force de ne penser qu'à un seul modèle de prise en charge de la perte d'autonomie, ce secteur est devenu insuffisamment agile et ne respecte plus pleinement le souhait des personnes de vieillir chez elles. C'est un modèle onéreux pour les finances publiques ainsi que pour les personnes âgées et leurs proches, et profondément remis en question. Beaucoup de nos voisins européens l'ont abandonné depuis longtemps.
Je salue le rapport des sénateurs Michelle Meunier et Bernard Bonne sur la prévention de la perte d'autonomie, qui donne la vision que nous devons suivre, celle du virage domiciliaire et de toutes les implications qu'il emporte sur la transformation de l'offre de prise en charge des personnes âgées, mais aussi plus profondément sur la place des personnes âgées dans notre société.
Le modèle actuel fait de l'établissement la solution par défaut. Il n'investit pas dans la prévention de la perte d'autonomie, dans l'adaptation des logements. Comment pouvons-nous nous en satisfaire puisqu'en France, seulement 6 % des logements sont adaptés à la perte d'autonomie, contre 12 % en Allemagne et 16 % au Pays-Bas ?
Comment nous satisfaire de ce modèle quand, en France, à 65 ans, une femme française peut espérer vivre encore près de 24 ans, mais seulement 10 en bonne santé contre 17 en Suède et 12 en Allemagne ?
Le Gouvernement veut le réformer en profondeur, dans le cadre d'un chantier législatif, dont la priorité a été réaffirmée par le Premier ministre, d'ici la fin de ce quinquennat.
Demain, avec cette réforme, la personne âgée pourra choisir de rester chez elle aussi longtemps qu'elle le souhaite. Elle pourra le faire grâce à un accompagnement à domicile, profondément rénové, dans l'esprit évoqué dès 2014 par le rapport sur l'aide à domicile des personnes fragiles des sénateurs Dominique Watrin et Jean-Marie Vanlerenberghe. Il lui faudra également un logement adapté à ses besoins. Si elle décide de quitter son logement, elle aura le choix entre une palette d'offre d'habitat intermédiaire et des établissements mieux traitants, plus sécurisants, mais aussi et surtout plus ouverts sur la ville et la vie sociale.
Je crois à la place éminente des départements dans ce chantier, en première ligne pour assurer, en lien avec la cinquième branche de la sécurité sociale, la grande transformation que nous voulons pour notre modèle social : un système plus juste, qui respecte mieux les souhaits des personnes et qui investit pour l'avenir.
Ce chantier législatif doit traduire cette ambition : l'égalité entre les personnes d'un territoire à un autre, entre les professionnels de différents statuts ou les modes de financement, le respect des droits des personnes âgées et un droit aux perspectives pour les jeunes.
Ce chantier législatif n'aura de sens que s'il permet de réconcilier les générations entre elles, à l'heure où j'entends partout des discours qui pointent du doigt nos aînés, qui seraient responsables du malheur des jeunes. Pointer du doigt plutôt que de tendre la main : c'est le péril qui pèse sur la cohésion sociale. Je ne m'y résoudrai pas.
Pour éviter que de la souffrance de chacun ne naisse une fracture générationnelle, nous devons sortir de cette crise sanitaire en offrant à notre pays toutes les opportunités de développement suscitées par une société de la longévité.
La société de la longévité ne doit pas être celle de l'homme augmenté, qui vit toujours plus longtemps et toujours plus seul, mais celle de l'humanité retrouvée, celle des générations solidaires.
C'est dans cette perspective que j'accueille volontiers ce débat et vous remercie de votre attention.