Merci beaucoup, Madame la présidente. J'affectionne particulièrement ces auditions qui sont l'occasion de vous faire part des réflexions du conseil de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie, tête de pont de la cinquième branche de la sécurité sociale que j'ai l'honneur de présider, mais aussi d'échanger avec vous.
À l'article 33 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2021, la représentation nationale a saisi le conseil de la CNSA, lui demandant de formuler un avis et des propositions sur le financement de la politique de soutien à l'autonomie, ce qui ne renvoie pas seulement au financement de la cinquième branche. Les termes de cet article sont larges. Le conseil s'est attaché à répondre à cette question avec assiduité, en assumant son avis adopté le 19 mars.
L'article 33 précise que les parties prenantes du conseil doivent être réunies pour définir ces recommandations. Nous n'y avons pas manqué. Le conseil de la CNSA se compose de très nombreux acteurs représentant toutes les parties prenantes de la politique de l'autonomie, sur les territoires comme à l'échelon national. Nous avons notamment le plaisir d'accueillir un sénateur, dont l'apport aux travaux de la CNSA est important.
Notre travail est le fruit d'une très vaste concertation et est fondé sur une étude de tous les rapports sur l'autonomie, dont les rapports Libault, Dufeu Schubert, El Khomri, Vachey et du Haut Conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge. Nous ne nous sommes pas tenus à un exercice de compilation inutile, mais avons pris le risque d'imaginer un système de financement de la politique de soutien à l'autonomie.
Nous avons dressé un cadre, avec un horizon temporel : 2022-2030. Nous n'ignorons rien de ce que sera la longévité de nos concitoyens à l'horizon 2030. Pourquoi n'avons-nous pas choisi une date plus lointaine ? D'abord, la modestie nous impose un horizon assez proche. Ensuite, tout changera à partir de 2030. Le vieillissement de la population française sera progressif et modéré jusqu'en 2030, mais à partir de cette date, le phénomène deviendra structurel et menacera notre système de protection ainsi que nos équilibres sociétaux, sociaux et économiques.
Notre cadre a aussi un périmètre. Il nous est apparu très vite que les politiques publiques dans leur ensemble emportaient des conséquences sur la protection sociale et que nous devions appliquer ce constat à l'autonomie. Si les politiques publiques ignorent cette dernière et produisent des décisions arythmiques relativement à l'avancée en âge de la population, ce sera la sécurité sociale qui, sur ses frêles épaules, devra en porter les conséquences. Si nous ne prenons pas en compte les effets de la longévité dans nos politiques d'aménagement du territoire, de logement, de transports, de construction des infrastructures, de fiscalité, c'est la sécurité sociale qui devra réparer les effets de ce choix.
À quoi sert la politique de soutien à l'autonomie ? C'est un grand défi contemporain. Pendant la crise sanitaire, nous avons constaté que le défaut d'autonomie d'une personne accroissait sa fragilité. Les moins autonomes courent les plus grands risques en cas de crise systémique, qu'il s'agisse d'une pandémie ou d'une crise environnementale. Il faut prendre en compte la longévité comme un élément décisif des politiques publiques. L'autonomie est un enjeu absolument structurant.
Notre système actuel n'est pas parfait. Nous ne devons pas considérer qu'un simple ajustement au fil de l'eau suffit pour qu'il tienne. Nous avons vu que le secteur du domicile, rempart pendant la crise sanitaire, avait besoin de sortir de cette impasse, celle de travailleurs pauvres faisant face au quotidien à des personnes fragilisées par l'âge, le handicap et la pandémie. Nous devons transformer notre système.
Lorsqu'Agnès Buzyn, alors ministre des solidarités et de la santé, a procédé à une première étude sur la politique de l'âge, les réponses ne se sont pas fait attendre. Les Français veulent vieillir chez eux et, si ce n'est pas possible, vivre dans des institutions qui ne les privent pas de leur citoyenneté. Le Comité consultatif national d'éthique a eu des mots très durs pour qualifier notre système. Rappelons-nous que la crise sanitaire a conduit, dans les Ehpad, à des incompréhensions et à des souffrances considérables pour les résidents et leurs familles. Ne pas pouvoir accompagner la fin de vie d'un parent a provoqué des traumatismes très profonds dont on mesurera les conséquences plus tard.
Nous devons être capables de financer la transformation du modèle. Nous devons aussi pouvoir répondre aux territoires. Quand on observe les contributions financières et leur évolution, notamment pour l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) et la prestation de compensation du handicap (PCH), des départements, ce n'est pas un effet de ciseau, mais de taille-haie, tant l'écart entre la contribution des territoires et celle de la CNSA s'est accru, loin de la trajectoire prévue par le législateur ! Nous devons traiter courageusement la question du transfert de concours depuis le système de protection sociale vers les territoires, dont la compétence reste fondamentale.
Le système de financement que nous préconisons répond à trois enjeux principaux. D'abord, on ne peut pas imaginer de financement pérenne de l'autonomie à 2030 sans mobilisation de toutes les politiques, sinon, la sécurité sociale « trinquera ». Ensuite, toutes les branches de la sécurité sociale doivent être mobilisées. La cinquième branche est éminemment transverse et ne peut pas, à elle seule, emporter de résultat. Il est absolument indispensable que l'ensemble des branches convergent. Enfin, nous devons être capables d'assurer un financement qui réponde aux besoins et aspirations de 2030.
Ce système de financement s'organise en cinq blocs. Premièrement, il s'agit de mobiliser toutes les politiques publiques. Cela ne relève pas de la responsabilité de la branche, mais du pilotage général. Le conseil de la CNSA recommande de définir un agenda 2030 de l'autonomie, cousin germain de l'agenda climat. Ne doutons pas que si nous n'étions pas en mesure de mobiliser toutes les politiques publiques et tous les financements nécessaires à la vie autonome de nos concitoyens, nous devrions de toute façon assumer le coût de leur avancée en âge, et nous le ferions dans de mauvaises conditions, par plus de dépenses hospitalières, entre autres. Nous préconisons donc une évaluation à 360 degrés des dispositions qui, au sein des politiques publiques, affectent l'autonomie, comme c'est le cas pour l'environnement. Les conférences territoriales de l'action publique doivent suivre l'avancée en âge de la société. C'est indispensable.
Deuxièmement, il s'agit de mobiliser toutes les branches de la protection sociale. La branche autonomie ne peut pas à elle seule faire ce qui relève des autres branches. Par exemple, la branche maladie doit prendre en compte la préoccupation de la vie autonome dans le suivi des pathologies chroniques. De mauvais choix soignants ont des conséquences sur l'autonomie. Il en va de même pour la branche famille. L'allocation éducation enfant handicapé (AEEH) a été transférée à la CNSA, mais la politique familiale ne doit pas pour autant se désintéresser du sort d'une famille affectée par la perte d'autonomie d'un de ses membres. L'enfant, tout comme la personne âgée, fait partie de la famille. Le pilotage de l'autonomie doit être équilibré et transversal.
Troisièmement, la loi du 7 août 2020 dispose que la branche recevra en 2024 une fraction de contribution sociale généralisée (CSG), ressource pérenne à assiette large d'environ 2,3 milliards d'euros. C'est une ressource structurante dont nous nous réjouissons, mais, dont le produit rapporté aux trois enjeux que j'ai décrits précédemment, ne suffira pas. J'en veux pour preuve que la cinquième branche est déjà en déficit. Sans ressource dynamique et équitable, je crains que cette branche, qui a un intérêt pour les citoyens qui avancent en âge, ne soit pas au rendez-vous de 2030. Nous avons pris notre courage à deux mains et dégagé une position de consensus, ce qui n'a pas été simple.
Notre hypothèse de financement est de recevoir un compartiment de 0,28 point de CSG. Ce montant est tiré des rapports déjà énumérés. Cela représente 4,35 euros par mois au niveau du SMIC. C'est beaucoup, mais si la Nation consent à cet effort et si celui-ci est accompagné, par des principes d'affectation et de garantie de baisse du reste à charge en institution, c'est envisageable. Ce dispositif ne trahit en rien l'esprit de la sécurité sociale ni l'équilibre sur lequel la branche a été bâtie et il nous donne la possibilité de transformer profondément le modèle. Je ne dis pas qu'il faut lever 0,28 point de CSG supplémentaire alors que notre pays sort exsangue d'une crise sans précédent. Cela peut être dégagé par une meilleure répartition de l'effort entre branches.
Face à la société de la longévité, il est important que le débat s'engage. L'intérêt de cette affectation de ressources supplémentaires, c'est qu'elle pourrait être transférée par des concours accrus aux collectivités territoriales. Si le pilotage de la politique de l'autonomie au niveau territorial évolue, avec un partage des diagnostics et des orientations, avec une différenciation territoriale, nous serions en mesure de solvabiliser les nécessaires financements territoriaux de cette politique.
Quatrièmement, le reste à charge en institution doit évoluer. Le conseil de la CNSA a émis une proposition majeure : que le modèle de la tarification des établissements pour personnes âgées évolue pour que ces dernières ne s'acquittent que du gîte et du couvert. Ce serait la branche qui solvabiliserait la part autonomie, comme c'est le cas pour le handicap.
Cinquièmement, la CNSA est devenue une branche de la sécurité sociale. Il serait hasardeux d'imaginer que le financement assurantiel soit soutenable dans la période actuelle. Les financeurs supplémentaires ont toute leur place à côté de la branche. Si nous avons résolu la question du reste à charge, le rôle des assureurs mutualistes ne sera plus obsessionnellement tourné vers celui-ci, mais vers la prévention primaire, le soutien aux aidants ou l'amélioration des conditions de vie matérielle. Ils seraient impliqués dans le pilotage général de la politique de l'autonomie.
En résumé, nous souhaitons la mobilisation de toutes les politiques publiques, le pilotage partagé, moderne, à tous les étages de la politique de l'autonomie, la profonde transformation du modèle de financement avec un reste à charge ne concernant que le gîte et le couvert. En effet, nous n'attendons pas de l'État qu'il paie notre loyer, quel que soit notre âge.