Intervention de Roselyne Bachelot

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 12 mai 2021 à 16h30
Modalités de mise en oeuvre du déconfinement — Audition de Mme Roselyne Bachelot ministre de la culture

Roselyne Bachelot, ministre de la culture :

À titre liminaire, je soulignerai de façon très ferme que nous n'avons pas été privés de culture pendant cette période. Heureusement, nous avons lu des livres, et vous savez d'ailleurs que l'année 2020 a été une bonne année pour le monde de l'édition. De même, l'industrie phonographique a vu aussi son chiffre d'affaires augmenter. Nous nous plaignons d'avoir un mur de films, mais nous avons eu la chance que 150 films aient été tournés dans notre pays grâce à l'autorisation des tournages et au financement renforcé du Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC). Les diffusions de spectacles en streaming de grande qualité ont eu lieu sur plusieurs chaînes, pas seulement celles du service public. Des connexions très nombreuses ont été recensées pour regarder La Bayadère, de l'Opéra de Paris, ou Titon et l'Aurore à l'Opéra-Comique. 150 000 connexions pour Titon et l'Aurore, c'est assez merveilleux alors qu'en temps normal, nous aurions à peine réuni 10 000 personnes sur l'ensemble des représentations de l'Opéra-Comique. Mondonville n'est pas Tosca ou Carmen. Certains ont donc pu découvrir la musique baroque, avec un temps d'écoute très long. Par conséquent, je réfute l'idée selon laquelle la culture serait à l'agonie. Nous n'avons pas été privés de culture. Nous avons trouvé d'autres modalités, mais serons bien sûr heureux de retrouver le spectacle vivant.

S'agissant du rôle des préfets, nous connaissons en effet le niveau des jauges et des plafonds pendant les premières périodes de mai et de juin, tandis qu'une nouvelle période s'ouvrira au 1er juillet. Il sera cependant nécessaire, dans un certain nombre de manifestations, de tenir compte de configurations, de contraintes, de circulations. C'est pourquoi les préfets, à partir de ces normes, pourront être amenés à prendre des décisions qui modulent la fréquentation des lieux, soit en pourcentage soit en plafond pour faire en sorte que les conditions sanitaires soient respectées. D'ailleurs, le rôle du représentant de l'État est de garantir cette sécurité sanitaire.

Vous m'avez interrogée sur les quatre mètres carrés. Effectivement, le travail est en cours de finalisation à partir du contexte. Nous verrons comment gérer cette mesure et la rendre opérationnelle.

Le passe sanitaire est un sujet capital. J'ai souvent été interrogée sur le passe vaccinal, à ne pas confondre avec le passe sanitaire, et auquel je suis tout à fait opposée. Selon moi, conditionner l'accès à un lieu culturel à un certificat de vaccination n'est pas possible. En revanche, la question du passe sanitaire ne doit pas être vécue comme une contrainte supplémentaire, mais au contraire comme une possibilité augmentée de fréquentation des lieux culturels. Peut-être que si nous n'avions pas eu la perspective du passe sanitaire, nous n'aurions pas été aussi rapides dans l'établissement de la progressivité de la réouverture. C'est aussi le passe sanitaire qui à terme, permettra par exemple des spectacles et festivals en mode debout. C'est tout à fait important. Dans son avis en date du 3 mai dernier, le Conseil scientifique considère que l'usage du passe, s'il est bien sûr exceptionnel et temporaire, peut favoriser la reprise de certaines activités, notamment l'organisation de rassemblements dans des conditions réduisant les risques. Il ne faut pas s'y tromper. En tant que « vieille bête » qui regarde le débat politique depuis longtemps, je remarque que les mêmes qui ont réclamé à cor et à cri la réouverture des diverses manifestations culturelles sans conditions, sont les premiers maintenant à se demander si ce n'est pas trop tôt, si nous sommes assez prudents ou si nous n'y mettons pas trop de conditions. Vous avez l'habitude de ces choses, et savez qu'au nom de la polémique politique il est des renversements d'argumentation assez classiques.

Le passe sanitaire ne sera exigé que dans les situations de grands rassemblements, avec le seuil de 1 000 personnes qui a été retenu, et dans le respect des jauges par ailleurs. En aucun cas il ne s'agit d'appliquer ce passe sanitaire à la vie quotidienne des Français. Il est clair qu'un organisateur de manifestation culturelle ou un restaurateur ne peut pas, de son propre chef, conditionner l'accès à la présentation du passe sanitaire.

Bien entendu, ce document sera exigé à partir de onze ans, âge auquel commence la possibilité de se faire vacciner. Il ne peut pas être exigé des artistes et des équipes, y compris des bénévoles. Le passe sanitaire est donc un document qui justifiera soit d'une vaccination complète (le vaccin devra avoir été établi deux semaines avant pour les vaccins à double injection et quatre semaines avant pour les vaccins à simple injection comme le Johnson & Johnson), soit d'un test PCR ou antigénique négatif de moins de quarante-huit heures, étant précisé que les tests sont et resteront gratuits dans les pharmacies et les laboratoires. Certains avaient imaginé, comme dans d'autres pays, que les tests destinés à avoir accès à des lieux de divertissement, soient payants. Non, les tests resteront gratuits. Les personnes qui, comme certains d'entre nous, ont été atteintes de la covid, devront justifier du résultat d'un test PCR ou antigénique attestant du rétablissement de la covid, datant de plus de quinze jours et de moins de six mois. Je me suis déjà enquise de cette démarche pour que cette information puisse figurer sur l'application #TousAntiCovid, avec le QR code - mais beaucoup de gens n'ont pas accès à cet outil - ou encore sur papier avec un QR code. Je reviendrai bien entendu devant vous, si c'est utile, pour préciser les modalités de mise en oeuvre de ce QR code. Je dois dire que nous sommes de nombreux pays à avoir développé cette possibilité du QR code. Certains, dont l'Allemagne et le Danemark, conditionnent l'accès au coiffeur, au restaurant ou au musée, à la présentation d'une preuve de vaccination.

S'agissant des concerts-tests, qui constituent un point important, vous m'avez demandé ma philosophie. Je pense qu'ils sont utiles. Comme vous l'avez dit fort justement, ils ne sont pas une condition de la réouverture mais une expérimentation scientifique. Le chef de projet n'est donc pas le ministère de la culture mais le ministère de la santé. Certains ont imaginé que les concerts-tests seraient une façon de contourner les procédures de réouverture : il n'en est pas question. Les expérimentations sont destinées à améliorer la connaissance sur la circulation du virus ainsi que les protocoles sanitaires, pour affiner les modalités de réouverture des manifestations debout. C'est clairement une expérimentation sur la personne humaine. Vous avez vous-mêmes, au Sénat, été à même de discuter de textes importants sur la protection de la personne humaine dans l'expérimentation. Il existe donc différentes étapes de validation scientifique : le Comité de pilotage national des essais thérapeutiques (Capnet), puis un comité de protection des personnes délivrant son avis sur le projet de recherche, et enfin l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) doivent se prononcer.

Début mai, trois projets avaient obtenu l'ensemble de ces avis scientifiques et attendaient l'autorisation gouvernementale : à Paris, le projet Spring porté par le Prodiss avec le concert Ambition Live Again et l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris ; à Marseille, le projet d'étude porté par la salle de spectacles Le Dôme, avec le concert Safe et l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), soutenu par le SMA. À Montpellier, un projet d'étude Taf Boomerang porté par la salle de spectacles la Secret Place et le centre hospitalier et universitaire (CHU) de Montpellier.

J'ai le plaisir de vous indiquer que la décision a été prise cette semaine par le Gouvernement en faveur des deux expérimentations de Paris et de Montpellier, sous réserve que les concerts aient lieu avant le 9 juin. En effet, si les concerts ont lieu après cette date, ils ne nous aideront pas à affiner les protocoles pour les concerts debout. C'est vraiment un outil de travail. Le concert de Marseille est également un projet très intéressant sur le plan scientifique, mais n'a pas été retenu en raison des risques liés au protocole sanitaire proposé. Sera ainsi intégrée dans le décret en préparation pour la réouverture à compter du 19 mai une disposition spécifique pour déroger aux règles générales d'ouverture. Un arrêté du ministre de la santé précisera en parallèle les conditions exigées des protocoles, les adaptations possibles des règles et les modalités de dépôt et d'examen des demandes d'autorisation. Enfin s'agissant du financement, comme pour toute expérimentation scientifique, ce sont les porteurs scientifiques et culturels qui doivent en assumer la charge. Par conséquent le ministère de la culture se déploie sur la partie culturelle de la manifestation, tandis que le ministère de la santé prend en charge la partie scientifique.

Vous savez que depuis le début de la crise, le secteur de la culture a bénéficié de 11 milliards d'euros d'aides, ce qui est sans équivalent dans le monde. À la fois les deux milliards d'euros du plan de relance, les aides sectorielles pour plus d'un milliard d'euros et les aides transversales pour plus de sept milliards d'euros, démontrent que nous sommes vraiment un pays qui intervient de façon inédite, comme l'a fait remarquer la contralto Marie-Nicole Lemieux dans son émission sur France Musique. Elle a ainsi pu déclarer : « Vous me faites rire, vous les Français, vous devriez venir aux États-Unis, au Canada et dans les autres pays du monde. Vous verriez comment cela se passe. » Il est vrai que nous avons donc pu maintenir le secteur culturel. Bien sûr il y a eu des drames et des difficultés, mais nous ne sommes pas en Grande-Bretagne où Covent Garden vend ses trésors, en particulier le tableau de David Hockney et où 100 % des musiciens changent de carrière. Nous ne sommes pas aux États-Unis, où les cinémas ferment en masse. Nous avons un réseau exceptionnel de salles de cinéma qui structure l'animation territoriale et culturelle de nos territoires, et ce réseau a été préservé. J'ai même contrevenu aux règles en disant que les cinémas en difficulté, par exemple les cinémas de régies municipales, seraient aidés. Par conséquent, tout cela a été préservé et il faut s'en réjouir collectivement en surmontant un certain nombre de polémiques politiciennes.

Bien sûr, nous continuerons à aider les festivals et les manifestations de façon classique, y compris par des aides transversales s'ils ne peuvent pas rouvrir dans l'immédiat. Je réponds par la même occasion à une autre de vos questions. Nous proposons un calendrier du possible. Si en fonction des contraintes, les théâtres privés, par exemple, estiment que cela ne vaut pas la peine de recommencer et qu'il est préférable d'attendre le 1er septembre, c'est un choix économique. Nous les aiderons, bien entendu, même si personnellement je les incite à recommencer parce que nous avons besoin de théâtres. Je reçois de nombreux témoignages d'acteurs de ce domaine, qui me disent combien ils ont besoin de jouer et de rencontrer à nouveau des spectateurs. Je pense en particulier à un jeune chanteur d'opéra, qui n'est pas en difficulté financière puisqu'il a reçu les aides adéquates, mais qui m'a fait observer que les aides ne remplaçaient pas les applaudissements. C'est très important car les applaudissements marquent l'émotion et la rencontre avec le public, et j'imagine bien la souffrance occasionnée par le manque.

Pour les festivals, j'ai annoncé la mise en place exceptionnelle d'un fonds festival exceptionnel de 30 millions d'euros pour compenser les pertes d'exploitation des organisateurs qui maintiendront leur évènement en dépit des contraintes sanitaires. Je note cependant que pour le moment, peu de festivals ont été supprimés. Certains ont été reportés ou décalés. Seuls les grands festivals debout ont annoncé leur suppression, et ce relativement tôt car ils sont en général tributaires de tournées d'artistes étrangers. Dès le mois de février, les artistes étrangers ont fait savoir qu'ils ne se déplaceraient pas en Europe. Par conséquent, un mouvement général de suppression de ces grands festivals s'est produit, avec un report à l'année prochaine. Ce n'est donc pas lié aux modalités de reprise successives. Nous ferons le bilan ultérieurement. Je note cependant l'existence d'une vraie volonté de reprendre. Nous les aiderons aussi pour l'adaptation en configuration assise. Je pense par exemple au festival des Vieilles Charrues à Carhaix, où Jérôme Tréhorel a souhaité l'installation de gradins et de couloirs de circulation. Nous les aiderons de cette façon-là, de même que du point de vue de la perte de chiffres d'affaires. Nous aiderons enfin ceux qui n'auront pas pu reprendre.

D'autres aides ont été apportées par les collectivités territoriales, ce que je tiens à saluer. Le 22 avril dernier, dans le cadre du Conseil national des territoires pour la culture, nous avons travaillé avec les associations de collectivités et j'ai noté un très fort engagement en faveur des festivals en 2021. Finalement, c'est grâce à une bonne entente que nous pouvons aider ces festivals. Je signale d'ailleurs que la deuxième édition des États généraux des festivals, qui a eu lieu en Avignon l'an dernier, se tiendra cette année le 28 juin en clôture du Printemps de Bourges. J'y serai bien entendu présente.

Pour les scolaires, les jauges n'empêcheront pas les groupes de fréquenter les musées. Nous n'aurons pas les mêmes contraintes que celles qui s'appliqueront à des visiteurs isolés ou à des familles. Nous n'imposerons pas le respect de la distanciation pour un groupe scolaire. De la même façon, je réponds par anticipation à une question qui ne manquera pas de venir sur les guides-conférenciers, dont beaucoup vous ont saisis. Les guides-conférenciers agréés (titulaires de la carte) pourront accompagner des groupes non limités sur la voie publique. C'est très important car il s'agit d'un sujet de rentabilité pour ces guides-conférenciers, essentiels pour la vie culturelle de nos communes.

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