Merci beaucoup, monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs et sénatrices, madame la rapporteure, de nous donner l'opportunité de nous exprimer devant vous.
La place de l'enseignement agricole, aujourd'hui et demain, dans la transition des agricultures françaises, et son lien avec la recherche sont, pour nous comme pour vous, un sujet majeur, pour plusieurs raisons. Je propose de ne pas les énumérer, car vous les avez certainement déjà abordées. Je reviendrai plutôt sur le lien nécessaire entre l'enseignement agricole technique, l'enseignement supérieur et la recherche, et les défis auxquels sont confrontés nos agricultrices et nos agriculteurs.
Beaucoup ont malheureusement subi le récent épisode exceptionnel de gel, qui fait suite à toute une série d'événements climatiques antérieurs. Ces événements sont la preuve de l'importance et de l'incidence de la transition climatique. On a souvent tendance à parler du réchauffement à venir, d'ici 2050, et des degrés de température que nous gagnerons. Chaque année qui passe montre toutefois que le changement climatique a déjà lieu. Il présente déjà un impact fort sur les productions agricoles, dans notre pays et dans le monde. On a longtemps pensé que les pays tempérés d'Europe occidentale étaient davantage préservés que d'autres régions de la planète des effets du changement climatique. C'est de moins en moins vrai. Il s'agit de l'une des transitions les plus fortes et les plus évidentes, auxquelles nos agriculteurs doivent faire face.
Il s'en trouve aussi d'autres, qui se combinent et qui sont liées aux attentes sociétales. On attend en effet de l'agriculture qu'elle continue de remplir sa fonction première nourricière et alimentaire, et de faire face à l'augmentation de la population mondiale. Elle doit continuer à assurer la sécurité alimentaire. L'an dernier, les premières semaines de la pandémie ont suscité des moments d'inquiétude concernant la capacité des filières alimentaires françaises à assumer notre souveraineté et à faire face au choc, qui était davantage un choc de l'organisation des filières qu'un choc de l'offre.
L'attente de nos concitoyens est en outre de plus en plus forte en termes de santé et de protection de l'environnement, avec des traductions concrètes qui sont de plus en plus pressantes, notamment dans le champ de la protection des cultures, avec les alternatives aux produits phytosanitaires. Des attentes s'expriment aussi vis-à-vis de l'élevage, qui est beaucoup questionné, parfois justement, parfois injustement. Il est en tout cas important de répondre aux questions qui sont posées, en termes de bien-être animal ou d'impact sur les gaz à effet de serre ou sur les écosystèmes.
Les sujets sont nombreux, ce qui n'est pas une surprise pour les chercheurs de l'Inrae, qui y travaillent depuis un certain nombre d'années en dégageant des axes de recherche, d'innovation et de transition.
Il n'existe pas différentes façons d'amener les résultats de ces recherches auprès des acteurs agricoles et du grand public. Cela passe par l'innovation, le transfert, les brevets, les semences, le progrès génétique ou les progrès sur les capteurs, etc.
Or l'accélération des questions posées et des défis qui s'entrechoquent rend l'équation de plus en plus complexe. Le besoin de continuum et d'allers-retours entre la recherche, l'enseignement supérieur et l'enseignement technique n'a, à mon avis, jamais été aussi fort. Il ne suffit pas d'affirmer que les résultats de la recherche sont transférés aux instituts techniques, qui les transfèrent aux chambres d'agriculture qui, avec leurs conseillers, les transfèrent ensuite aux agriculteurs, en plusieurs années. Non seulement une accélération du transfert des résultats vers les générations actives est nécessaire, mais il faut aussi porter une attention redoublée et collective au transfert de ces connaissances et à la façon de prendre en compte ces évolutions. Ces dernières vont en effet être finalement encore plus fortes qu'on ne l'imaginait, dans les vingt à trente années à venir.
Tel est le paysage dans lequel vous avez inscrit votre mission. Nous nous sentons très concernés par ces problématiques.
Les missions confiées par le législateur à l'Inrae n'intègrent pas de mission directe dans le champ de l'enseignement technique. Comme les autres établissements publics, nous devons apporter notre contribution à l'enseignement supérieur, de façon explicite. Nous nous y employons, mais nous ne sommes pas un producteur direct de formations au niveau du cycle technique et secondaire. Cela ne nous a toutefois pas empêchés de développer des partenariats. J'y reviendrai.
Nous nous sentons très concernés par notre mission d'accompagnement des transitions, en apportant les résultats de nos recherches. L'enseignement est en effet l'un des vecteurs de transfert des résultats de la recherche.
Je propose de lister quelques têtes de chapitre, avant que Cyril Kao et Christian Huyghe apportent leur témoignage. Nous disposons de lieux où ces interactions peuvent exister, de façon privilégiée. Au vu de l'organisation de l'enseignement agricole français, l'importance des stages et des fermes dans les lycées agricoles est tout à fait claire. Il existe donc un lien privilégié entre les fermes des lycées agricoles - pas toutes mais un certain nombre d'entre elles -, les instituts techniques agricoles et les unités de l'Inrae, notamment les unités expérimentales. Ces lieux sont des lieux privilégiés de confrontations des univers car il est possible d'y traduire de façon concrète les avancées des connaissances techniques. Christian Huyghe évoquera sans doute les réseaux mixtes technologiques, qui associent nos unités expérimentales, les instituts techniques et les fermes des lycées agricoles.
Le deuxième vecteur de transfert des connaissances est constitué des référentiels de formation. Telle est la mission de la direction générale de l'enseignement et de la recherche (DGER) du ministère de l'agriculture et de l'alimentation, que vous avez dû auditionner. Il s'agit, avec les inspections, de produire des référentiels, notamment pour les BTS, avant de servir ensuite de charpente à l'enseignement technique agricole. Même si ce n'est pas inscrit dans notre mission, je trouve légitime - et nous l'avons déjà fait - que nos chercheurs, qui sont les mieux positionnés pour disposer d'une vision globale des défis, des enjeux de la transition agro-écologique et de ses liens avec les enjeux de l'alimentation, soient sollicités. Ils peuvent en effet renouveler, rénover et améliorer ces référentiels. Nous nous sommes engagés dans cette voie en 2016-2017, après les discussions sur la loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt. Un passage en revue des référentiels avait été mené avec des chercheurs Inrae et AgroParisTech, notamment pour les BTSA option Analyse et conduite des systèmes d'exploitation (ACSE). C'était la première fois depuis longtemps que les référentiels étaient renouvelés et pas seulement dépoussiérés. Nous n'en avons pas débattu avec la DGER, qui a évidemment la main sur cette question, mais je pense qu'il serait pertinent de le refaire pour clarifier les nouvelles alternatives, notamment aux produits phytosanitaires, du fait de l'accélération des transitions climatiques et de l'accélération des attentes sociétales.
Au-delà des référentiels - ce que Cyril Kao pourra évoquer -, il faut ensuite se préoccuper de leur mise en oeuvre sur les campus et dans les communautés apprenantes. Sans nous disperser et en nous assurant que les chercheurs se concentrent sur leur travail de recherche, cette question mériterait d'être évoquée dans certains écosystèmes. Nous pourrions pour cela nous appuyer sur nos liens avec l'École nationale supérieure de formation de l'enseignement agricole (ENSFEA) ou avec les écoles du supérieur, qui sont elles-mêmes connectées à l'enseignement technique. Ainsi, des chercheurs pourraient participer à des campus en présentiel ou à des campus numériques, pour faire passer de façon un peu plus régulière les avancées de la recherche et pour valoriser et associer les jeunes à nos programmes de recherche. Nos unités mixtes de recherche associent par exemple des enseignants-chercheurs des différentes écoles d'agronomie, des écoles vétérinaires, de l'Institut Agro ou d'AgroParisTech. De futurs ingénieurs ou doctorants travaillent directement dans nos unités de recherche, pendant leur cycle de formation supérieure. Cette pratique reste évidemment plus rare dans les formations techniques, mais je pense que nous pouvons aussi trouver ici de nouveaux modes de partenariat.
Je propose maintenant que Cyril Kao donne un éclairage complémentaire, avant que Christian Huyghe vous cite des exemples concrets.