Madame Monier, vous nous avez interrogés sur les attentes de la recherche au niveau des compétences dispensées dans l'enseignement agricole. En premier lieu, il ne faut pas céder aux effets de mode. Le terme de transition est, par exemple, repris un peu partout. Il convient d'abord de dispenser des formations de base (modalités de transformation des produits pour l'agroalimentaire, formations en économie ou en gestion, etc.). Pour autant, la question des transitions doit être prise au sérieux, non pas comme un terme magique, mais sur la façon de nous projeter à horizon de quinze ou vingt ans. Ce sujet peut être inclus de façon très concrète dans les corpus d'enseignement, autour d'une vision agroclimatique qui peut être située dans les territoires. C'est valable pour le vin, mais aussi pour l'ensemble des productions. Ainsi, il est intéressant de se pencher sur les conditions de production en Auvergne en 2050, sur la pousse de l'herbe sur le bassin allaitant, sur les ressources hydriques pour conduire les ruminants ou sur la situation du couloir rhodanien pour les arboriculteurs, dont la situation est déjà difficile, du fait de la hausse des températures et de l'accélération des chocs climatiques.
Nous travaillons, sur la base des projections du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec), pour bâtir des scénarios climatiques. Progressivement, les écoles de l'enseignement supérieur et les écoles de l'enseignement technique pourront accéder à ces éléments, non pas pour les théoriser, mais pour confronter les jeunes à ces évolutions. Alors que le consommateur a l'habitude d'un certain type de vin, de la syrah ou du grenache, il serait pertinent que nous arrivions à absorber les chocs de température par l'amélioration des cépages, en restant le plus proche possible de l'identité organoleptique. Nous devrions y arriver à 98 %, sachant que les vins ont déjà évolué dans le temps. Les Châteauneuf-du-Pape que nous buvons aujourd'hui ne sont pas ceux de la première moitié du XXème siècle.
De plus, la carte de la viticulture française est appelée à se déplacer. De la même manière que les Bourguignons ont commencé à investir l'Ardèche, des stratégies de développement dans certaines zones s'observeront. Cela fait partie des compétences que les formations les plus longues devront étudier, par des stages, des mémoires ou des jeux de rôle, en se rapprochant de sujets comme l'alternative aux phytosanitaires, le bien-être animal ou la transition climatique.
Le sénateur Marchand a évoqué les projets alimentaires territoriaux. Ces outils et approches sont extrêmement intéressants. Nous nous y investissons, d'abord autour de l'évolution des régimes et des systèmes alimentaires. Nous ne réussirons pas la massification de la transition écologique si elle reste circonscrite à l'exploitation agricole. Toute une série de solutions nécessitera une modification des systèmes de production, ce qui entraînera une nouvelle diversité des productions. Il faudra que la transformation suive et que les marchés évoluent. Les systèmes agricoles et alimentaires doivent donc être revus, ce qui est vertigineux, y compris pour les enseignants. Pour cela, il faut disposer de bases et de dominantes solides, en travaillant ensuite sur des études de cas. Les outils comme les PAT, qui réunissent des acteurs de l'agriculture, de la transformation alimentaire et les collectivités territoriales, pour se projeter dans les quatre à cinq années à venir apparaissent très intéressants. Nous y participons, mais il faut aussi que des jeunes puissent y contribuer, car cela nous projette de façon non théorique dans la nécessité de repenser globalement le système alimentaire.
J'en arrive aux débats qui traversent la société et à la façon dont la science est à la fois très attendue et très critiquée. Cette relation ambivalente varie selon les sujets et les citoyens. Les succès de la recherche sur les vaccins sont salués, encore dernièrement avec la Covid-19. Jamais des vaccins sur un virus n'ont été trouvés aussi rapidement, tout en sachant que les scientifiques ne sont pas toujours d'accord et que les autorités sont remises en cause assez largement par les citoyens. Dans l'enseignement, certains peuvent effectivement prendre leurs distances vis-à-vis du progrès scientifique, alors qu'il était considéré comme intouchable il y a une vingtaine d'années. Nous tâchons d'accompagner nos chercheurs dans leurs relations avec la presse, dans leurs auditions au Parlement ou face à des questions qui peuvent être très dures, en particulier quand elles mettent en doute leur utilité ou renvoient à des sujets controversés, comme les nouvelles biotechnologies - les new plant breeding techniques (NBT) - ou la place de l'élevage. Or il est toujours intéressant d'entendre différents points de vue, y compris dans la communauté scientifique, sur les OGM ou les NBT.
Il est important que l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et techniques (Opecst) se saisisse de ces débats. Des chercheurs sont récemment venus témoigner. Nous devons accepter de faire de la culture scientifique, de présenter et d'éclairer les choix scientifiques, par exemple en expliquant comment intégrer des gènes de résistance. Nous nous y consacrons, en participant au débat public.
N'ayons pas la nostalgie du temps où l'Inrae ou le CNRS fixaient des lignes. Il faut intégrer les questions posées dans le débat public, sans qu'elles nous paralysent. Après avoir apporté des éclairages, il faut ensuite qu'une certaine liberté de la recherche perdure, dans des laboratoires et en serre, dans le respect de la réglementation.
Je reste optimiste. Je pense que la complexité des défis auxquels nous serons confrontés sera telle que le rôle des scientifiques sera de plus en plus reconnu. Il faut que nous les accompagnions dans les situations de controverse, en sachant aussi les protéger, notamment quand les responsables politiques mettent sur eux toute la pression de la décision.