Marie-Pierre Monier et moi-même formons le voeu que ce rapport permette à chacun d'entre vous de mieux comprendre ce qu'est le PCI. Il s'agit d'une forme de patrimoine beaucoup moins connue que le patrimoine matériel, mais pourtant tout aussi importante pour nos territoires. Nous espérons donc que vous pourrez puiser dans notre travail des informations utiles pour l'exercice de vos fonctions de sénatrice et sénateur.
Depuis janvier dernier, nous avons mené avec Marie-Pierre Monier près d'une trentaine d'auditions pour dresser le bilan de la Convention de l'Unesco de 2003 pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel et de sa mise en oeuvre en France. Nous avons évidemment entendu les services de l'Unesco, la délégation française auprès de l'Unesco et le ministère de la culture, comme les acteurs institutionnels du PCI en France, des représentants de collectivités territoriales, ainsi que des représentants d'éléments qui ont obtenu l'inscription sur l'une des listes de l'Unesco ou qui souhaiteraient déposer une candidature.
Avant que Marie-Pierre Monier ne vous fasse part de nos constats et de nos propositions, je crois utile de revenir quelques instants sur ce qu'est le PCI, ce qui le distingue du patrimoine matériel, et ce qu'a changé la Convention de 2003 dans l'action en direction du PCI. Pour mémoire, la protection du patrimoine matériel constitue une préoccupation bien plus ancienne. À l'Unesco, elle est régie par la Convention de 1972 pour la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel, soit plus de trente ans avant la convention relative au PCI, qui n'est d'ailleurs entrée en vigueur qu'en 2006.
Ce qui caractérise le PCI et le distingue du patrimoine matériel, c'est d'être un patrimoine vivant et dynamique. Il est composé de pratiques, de connaissances, de savoir-faire, d'expressions et de représentations qui sont liées aux personnes et à leurs traditions vivantes. Il recouvre des savoir-faire artisanaux, comme la dentelle au point d'Alençon, des jeux, des pratiques rituelles, des pratiques sportives, des pratiques sociales et festives, à l'image du Fest noz ou du carnaval de Granville, des traditions et expressions orales ou encore des danses et des musiques. Je pense, par exemple, au chant corse, le cantu in paghjella.
C'est bien parce qu'il est un patrimoine vivant que le PCI est un patrimoine extrêmement fragile. D'une part, parce qu'il n'est composé d'aucun élément tangible et que sa disparition est inéluctable si la transmission à la génération suivante n'est pas assurée. D'autre part, parce qu'il peut aussi disparaître s'il est figé dans son état d'origine ou rigidifié à l'excès. Le PCI doit pouvoir être adapté en permanence à l'époque et à l'environnement dans lequel il est pratiqué, sinon il pourrait tomber en désuétude et ne plus être reconnu comme un élément de patrimoine partagé par tous.
C'est pour cela qu'on ne préserve pas le PCI comme on préserve le patrimoine matériel. Les politiques relatives au patrimoine matériel visent à le protéger ou à le conserver pour les générations futures, tandis que les politiques relatives au PCI ont pour finalité sa sauvegarde, et non sa protection. Elles ont pour but de maintenir le PCI viable et pertinent afin que les générations suivantes puissent se l'approprier.
Il s'ensuit que la sauvegarde du PCI passe principalement par sa transmission, même si elle ne s'y résume pas, puisqu'une bonne transmission suppose qu'un élément soit aussi identifié, documenté, promu, mis en valeur et, si nécessaire, revitalisé.
L'autre élément qui distingue la sauvegarde du PCI de la protection du patrimoine matériel, c'est que l'Unesco estime que cette sauvegarde repose principalement sur les communautés. Ce terme de communautés ne doit pas s'entendre dans un sens identitaire : il renvoie aux individus, aux groupes d'individus et aux structures qui créent un élément de PCI, l'entretiennent ou le transmettent. Il s'agit d'un changement d'approche total par rapport à la manière dont nous concevons les politiques du patrimoine. En matière de PCI, la logique est ascendante, et les collectivités publiques ne viennent qu'en appui.
Ce qui ne veut pas dire que celles-ci n'ont aucun rôle à jouer, notamment pour aider à l'identification et contribuer à la reconnaissance. L'Unesco a d'ailleurs exigé des États parties qu'ils mettent en place des inventaires du PCI sur leur territoire. La France dispose d'un inventaire national depuis 2008, qui compte environ 500 éléments.
L'Unesco elle-même tient, de son côté, trois listes sur lesquelles figurent aujourd'hui près de 600 éléments de PCI : la liste de sauvegarde urgente, qui comportent des éléments qui font l'objet de menaces ; la liste représentative sur laquelle sont inscrits des éléments pour donner une meilleure visibilité au PCI ; et le registre des bonnes pratiques, sur lequel figurent des éléments dont les modalités de la sauvegarde apparaissent exemplaires. Dans les trois cas, l'inclusion à l'inventaire national est une condition préalable à l'inscription sur l'une des listes de l'Unesco.
Il ne faut pas pour autant se méprendre au sujet de l'inscription d'un élément sur l'inventaire national ou sur l'une des listes de l'Unesco. Il ne s'agit pas d'un label. Contrairement au patrimoine mondial ou aux monuments historiques, l'inscription ne distingue pas seulement les éléments qui ont une valeur exceptionnelle. Elle est ouverte à tous les éléments qui répondent à la définition du PCI. Elle ne procure d'ailleurs aucun avantage direct pour les éléments qui obtiennent l'inscription. Ses retombées sont en outre difficiles à mesurer. En tout cas, aucune mesure n'en a jamais été faite, ni par l'Unesco, ni au niveau national.
L'inscription doit plutôt être considérée comme une sorte de mise en visibilité et d'appel à la sauvegarde. D'ailleurs, chaque demande d'inscription s'accompagne de la présentation d'un plan pour sauvegarder l'élément qui lie moralement les demandeurs.
Les auditions que nous avons menées ont montré que la Convention de 2003 avait globalement marqué un véritable tournant dans la prise en compte du PCI en France et dans la manière de concevoir les politiques dans ce domaine. Avant elle, l'action dans le domaine du PCI était centrée sur la connaissance scientifique et concernait principalement un public d'initiés, en particulier des ethnologues. Depuis 2003, l'action dans le domaine du PCI s'est réorientée vers la sauvegarde, avec pour ambition d'impliquer le plus grand nombre, c'est-à-dire potentiellement toutes les personnes qui considèrent un élément de PCI comme faisant partie de leur patrimoine. L'Unesco estime qu'il faut, pour qu'une pratique relève du PCI, qu'elle soit vivante, non figée et constamment recréée par les communautés, transmise de génération en génération, propice au développement durable et conforme aux droits de l'homme.
Malgré les avancées auxquelles la convention a donné lieu, nous constatons que des améliorations restent encore nécessaires pour favoriser la sauvegarde du PCI et mieux le faire connaître, comme va vous l'expliquer Marie-Pierre Monier.