Intervention de Marie-Pierre Monier

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 19 mai 2021 à 9h30
Patrimoine culturel immatériel — Présentation du rapport d'information

Photo de Marie-Pierre MonierMarie-Pierre Monier, co-rapporteure :

J'ai éprouvé un grand intérêt à préparer ce rapport en compagnie de Catherine Dumas, déjà très familière de ces questions sur lesquelles elle travaille depuis un grand nombre d'années. Le PCI est, en quelque sorte, l'ADN de la France et mérite véritablement qu'on s'y penche.

Même si l'on entend bien plus souvent parler de PCI qu'il y a vingt ans, cette notion reste encore obscure pour beaucoup de Français et d'élus. Le PCI souffre d'un fort déficit de visibilité, ce qui a naturellement des conséquences sur sa reconnaissance, sa notoriété et sa sauvegarde. Malheureusement, la plupart des personnes sont comme M. Jourdain et prennent part au PCI sans le savoir. J'en suis un bon exemple pour avoir participé à de multiples reprises aux fêtes des bouviers dans la Drôme, une pratique qui a été inscrite à l'inventaire national du PCI en 2019. Ces fêtes sont organisées dans mon département depuis plus de deux cents ans et témoignent bien du caractère vivant du PCI, c'est-à-dire d'un patrimoine qui sait évoluer au fil des années et s'adapter à son époque.

Il est triste de constater que le PCI est invisible jusque dans l'organigramme du ministère de la culture, puisque les termes mêmes de PCI n'y figurent nulle part : c'est la délégation à l'inspection, à la recherche et à l'innovation, qui dépend de la direction générale des patrimoines, qui est chargée de traiter ces questions ! Encore faut-il le savoir !

D'où la première série de propositions que nous formulons pour accroître la visibilité du PCI et mieux y sensibiliser le grand public : faire de l'année 2023, qui coïncide avec les vingt ans de la Convention, l'année du patrimoine culturel immatériel ; organiser chaque année des journées du patrimoine culturel immatériel avec des démonstrations pour intéresser le grand public ; multiplier les actions « grand public » (panneaux d'information touristique, campagnes de communication, émissions de télévision, carnet de timbres de la Poste, etc...) ; et faire la promotion du PCI dans les lieux de patrimoine et de création, beaucoup plus connus du grand public, afin que le PCI profite de leur plus grande notoriété.

Nous pensons aussi qu'il faut faire un effort pour sensibiliser les jeunes aux enjeux du PCI dès leur plus jeune âge. Nous suggérons donc d'intégrer obligatoirement cette dimension dans le cursus de l'éducation artistique et culturelle (EAC) et d'associer les responsables d'éléments de PCI inscrits aux actions d'EAC conduites dans les établissements scolaires.

En plus de ce déficit de visibilité du PCI, nous avons constaté que les collectivités territoriales semblaient encore relativement peu impliquées sur ce sujet. Il s'agit d'un problème majeur, parce que le concours des collectivités est souvent indispensable à la bonne mise en oeuvre des mesures de sauvegarde. Les collectivités ont en effet des compétences (en matière d'animation de la vie du territoire, de culture, d'éducation, d'économie, d'aménagement du territoire ou d'urbanisme), des ressources - notamment au travers des services publics culturels locaux qu'elles gèrent - et des contacts qui font d'elles des acteurs clés de la sauvegarde du PCI.

Il reste difficile de déterminer les raisons pour lesquelles les collectivités territoriales n'ont pas pris jusqu'ici davantage part au PCI. Est-ce parce que le grand public ne manifeste pas encore un intérêt marqué pour celui-ci ? Est-ce parce que les collectivités manquent aujourd'hui d'appui de la part de l'État pour les accompagner dans leurs projets de sauvegarde ? Est-ce simplement parce que les élus n'ont pas encore véritablement pris conscience du potentiel que représente le PCI sur leur territoire ?

Les auditions que nous avons menées nous ont pourtant montré à quel point le PCI peut être un marqueur d'identité, venir nourrir le sentiment d'appartenance et de fierté de ses habitants et contribuer à la notoriété d'un territoire. Je pense au maloya, qui est une musique, un chant et une danse née au temps de l'esclavage, dont la pratique fut interdite à La Réunion jusqu'en 1892, avant de faire partie des premiers éléments français inscrits sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l'humanité en 2009 et d'être aujourd'hui ardemment défendu par tous les Réunionnais, département et région en tête.

Le PCI est aussi un outil de cohésion qui favorise la participation citoyenne, facilite l'intégration des nouveaux habitants et permet de fédérer les acteurs d'un territoire. Le Fest noz en est une belle illustration : la construction du dossier de candidature de cet élément auprès de l'Unesco a joué un rôle de catalyseur en réunissant autour d'un même projet des acteurs qui ne se rencontraient plus ou n'avaient pas l'habitude de se parler.

Il nous paraît donc important que les collectivités territoriales s'emparent du PCI présent sur leur territoire, ce qui nous amène à formuler trois recommandations pour mieux sensibiliser les élus locaux aux enjeux liés à la sauvegarde du PCI.

D'abord, nous jugeons nécessaire que les services de l'État leur fassent parvenir un vade-mecum leur expliquant pourquoi et comment ils peuvent sauvegarder leur PCI, ainsi que l'aide que l'État et d'autres acteurs institutionnels peuvent leur apporter dans l'élaboration et la mise en oeuvre de mesures de sauvegarde. Le Québec a publié un guide pratique de ce type il y a quelques années qui nous paraît constituer un excellent modèle.

Ensuite, nous militons pour que soit développée l'offre de formation en matière de PCI destinée spécifiquement aux élus locaux.

Enfin, nous suggérons la mise en place d'un observatoire du PCI qui permettrait de mesurer les retombées d'une inscription. Nous pensons que ce type de données peut avoir un effet d'entrainement sur les collectivités territoriales.

Évoquer l'implication des collectivités territoriales conduit à s'interroger, plus largement, sur les moyens mis à disposition pour sauvegarder le PCI. Catherine Dumas a évoqué il y a quelques instants l'existence des listes de l'Unesco et de l'inventaire national, qui ont pour but d'inciter à l'élaboration de plans de sauvegarde.

Le problème, c'est que ni l'Unesco, ni l'État ne disposent aujourd'hui des moyens humains suffisants pour leur permettre d'assurer un suivi des mesures de sauvegarde mises en oeuvre par les porteurs de projet une fois l'inscription obtenue. Il s'agit d'une vraie faiblesse car ce contrôle permettrait d'identifier les carences dans la mise en oeuvre du plan de sauvegarde, de constater l'éventuelle disparition de la structure porteuse et de déterminer si d'autres solutions pourraient être trouvées. Il permettrait aussi de se faire une meilleure idée de la pertinence de la sauvegarde et des retombées liées à une inscription. L'Unesco demande aux États de lui transmettre périodiquement un rapport sur l'état des éléments inscrits - celui-ci doit être établi tous les six ans pour les éléments inscrits sur la liste représentative et tous les quatre ans pour ceux inscrits sur la liste de sauvegarde urgente. Mais l'organisation n'a pas les moyens de vérifier les informations qui lui sont transmises par les États.

Globalement, il est clair que la France consacre aujourd'hui des moyens très limités à la sauvegarde du PCI, surtout en comparaison de son action dans le domaine du patrimoine matériel. Seuls deux agents du ministère de la culture sont chargés de ces questions. Seules quatre directions régionales des affaires culturelles (DRAC) disposent d'un conseiller pour l'ethnologie (Auvergne-Rhône-Alpes, Bourgogne-Franche-Comté, Normandie et Occitanie) alors que les services déconcentrés de l'État seraient le point d'entrée naturel sur ces questions pour les acteurs de terrain, qu'il s'agisse des porteurs de projet ou des collectivités territoriales.

Ces moyens humains sont nettement insuffisants et donnent l'impression aux acteurs du PCI que cette forme de patrimoine reste encore terriblement déconsidérée par l'État.

J'ajoute que les acteurs du PCI ont besoin d'être mieux orientés. Les communautés ne peuvent pas mener seules une procédure de candidature. Elles ont besoin d'être accompagnées par des spécialistes pour les aider à collecter les informations pertinentes à la documentation de l'élément et pour rédiger le dossier de candidature. Mais, elles ignorent bien souvent auprès de qui s'adresser et ce que l'on attend d'elles, ce qui en conduit certaines à baisser les bras par manque d'information ou difficulté à la trouver - les informations en matière de PCI sont nombreuses sur internet, mais très éparpillées.

Il serait également bon que les communautés soient orientées vers les autres labels déjà existants qui pourraient être pertinents dans l'objectif de la sauvegarde d'un élément - comme, par exemple, le label d'entreprise du patrimoine vivant ou de site remarquable du goût au niveau français ou le réseau des villes créatives au niveau de l'Unesco. Il y a des synergies à créer pour briser les trop nombreux silos.

Ces réflexions nous conduisent à formuler plusieurs recommandations pour donner plus de moyens à la sauvegarde du PCI sans que cela se traduise nécessairement par une hausse considérable des engagements financiers : la nomination d'un référent PCI dans chaque DRAC ; la mise à jour du portail internet du ministère de la culture dédié au PCI pour y trouver facilement toutes les informations nécessaires sur la procédure applicable aux candidatures, le contenu des démarches à entreprendre, les critères de sélection des dossiers, ainsi que les interlocuteurs à contacter à chacune des étapes de la candidature ; l'implication des autres ministères concernés dans la sauvegarde du PCI ; la mise en place par l'Unesco et le ministère de la culture d'un véritable suivi des mesures de sauvegarde ; le développement de synergies avec les labels et les programmes qui peuvent contribuer à la reconnaissance, à la valorisation et à la sauvegarde du PCI ; et enfin la mobilisation des différents opérateurs culturels de l'État pertinents pour promouvoir et transmettre les éléments de PCI.

Catherine Dumas et moi-même sommes très attachées à ce que les choses bougent et nous solliciterons donc un entretien avec la ministre de la culture pour lui faire part de nos propositions et la convaincre de ce qu'elles pourraient apporter à la sauvegarde du PCI.

Se pose également la question d'une meilleure articulation entre les listes de l'Unesco et l'inventaire national. Même si les porteurs de projet visent généralement l'inscription sur les listes de l'Unesco, peu d'entre eux parviendront à l'obtenir. Non seulement la procédure de candidature est longue, coûteuse et complexe, mais la France, compte tenu des quotas, ne peut présenter qu'un dossier tous les deux ans. Il y a donc un véritable engorgement. Il reste possible de déposer une candidature avec d'autres États pour contourner les quotas, mais la reconnaissance qui découle de l'inscription serait alors diluée entre différents pays, au risque que les porteurs de projets n'y trouvent pas forcément leur compte.

Il nous parait donc important que l'inventaire national gagne en notoriété et en attractivité pour qu'il ne soit plus simplement une antichambre de l'Unesco, mais un outil à part entière au service du PCI, reconnu en tant que tel. Pour cela, il faut qu'il devienne une référence pour le grand public, ce qui suppose de mieux faire connaître son emblème, créé en 2018, et de rendre sa consultation plus aisée. Il faudrait aussi que des efforts soient faits pour rendre l'inventaire plus équilibré d'un point de vue thématique et géographique car plus une région aura d'éléments inclus à l'inventaire, plus ses élus et sa population seront sensibilisés à l'importance du PCI et plus sa sauvegarde aura donc de chance d'être intégrée dans les orientations politiques. Comme l'inclusion à l'inventaire national se fait majoritairement sur la base d'appels à projets lancés par le ministère de la culture, même si elle peut également résulter de demandes spontanées des communautés, le ministère peut tout à fait remédier dans ses appels à projets aux déséquilibres constatés entre régions et entre catégories de PCI.

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