Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, il est difficile de parler en dernier sans être redondant. Mon intervention porte donc sur un point très précis du présent projet de loi, mais ô combien important.
Comme tous les textes d’adaptation au droit de l’Union européenne, celui qui nous est soumis aujourd’hui embrasse un large champ. Et au milieu de tout cela, on trouve l’article 24, un OLNI : objet législatif non identifié ! Cet article est aussi lapidaire qu’insatisfaisant. Sa clarté est inversement proportionnelle à l’importance de son enjeu.
Cet enjeu, quel est-il ? Au mois de juin dernier, dans le cadre du Brexit, le Gouvernement a demandé à Eurotunnel, comme aux ports maritimes, de construire des infrastructures destinées à accueillir les services assurant les contrôles douaniers et sanitaires aux frontières. En effet, le Royaume-Uni devenant un pays tiers par rapport à l’Union européenne, il fallait rétablir ces contrôles, qui se traduisaient par la réalisation de bâtiments et la mise en œuvre des moyens matériels correspondants.
Eurotunnel s’est immédiatement exécuté. Compte tenu de l’urgence, ces travaux ne pouvaient pas satisfaire aux autorisations d’urbanisme. C’est pourquoi, par son ordonnance du 24 janvier 2019, le Gouvernement a dispensé Eurotunnel de ces formalités pour procéder aux aménagements demandés. L’autorisation était temporaire et la situation devait encore être régularisée, cette fois non pas par ordonnance, mais par une disposition législative ad hoc destinée à assurer la pérennité des infrastructures. Cette disposition législative, c’est l’article 24 du présent projet de loi, qui est triplement insatisfaisant.
Premièrement, d’un point de vue formel, sa rédaction était clairement obscure, puisque le nom du code de référence, à savoir le code de l’urbanisme, n’y figurait pas. Je remercie notre rapporteur, Cyril Pellevat, d’avoir corrigé ce regrettable oubli.
Deuxièmement, sur le fond, on ne comprend pas si cet article valide seulement les infrastructures déjà réalisées par Eurotunnel ou s’il conforte a priori les aménagements qui devront encore être réalisés. Si tel n’est pas le cas, faudra-t-il obtenir à chaque fois une autorisation législative spécifique ? Ce serait tout de même kafkaïen ! L’article fait de plus peser sur Eurotunnel une vraie insécurité. Les aménagements liés à la sécurité, à la défense nationale, à la sécurité civile et ceux nécessaires à son fonctionnement ne sont pas possibles. Croyez-vous sincèrement que le tunnel ne soit pas concerné ? Il l’est au premier rang.
Troisièmement, et de manière bien plus fondamentale, le problème ponctuel du Brexit et des aménagements douaniers soulève la question du statut juridique du tunnel sous la Manche.
Le tunnel n’est à l’évidence pas une simple ligne ferroviaire. Cette infrastructure est exceptionnelle ; il serait temps de la considérer comme telle. Des navettes transportent des camions, des voitures particulières, des bus sur une ligne prédéfinie. Pour mémoire, cet ouvrage sous la Manche fut le plus gros chantier du siècle dernier et il assure une liaison propre – je rappelle que nous parlons d’écologie !
Eurotunnel a besoin de sortir du carcan du droit commun. Aujourd’hui assimilé à une infrastructure ferroviaire simple, ses marges de manœuvre sont d’autant plus restreintes que l’ouvrage ne figure pas aux exceptions de l’article L. 121-4 du code de l’urbanisme, contrairement aux ports et aux aéroports. C’est cela qu’il faut changer.
La question est : quelle est notre ambition pour cet ouvrage unique au monde, clé pour le développement national et vital à l’échelle locale ? À nous d’y répondre aujourd’hui.
Je compte vraiment sur votre soutien, madame la secrétaire d’État, notamment quand je vous présenterai mes deux amendements.