L’amendement n° 23 rectifié a deux objets distincts. Je vais d’abord répondre à votre proposition de supprimer totalement l’utilisation de critères et de seuils pour déterminer quels projets sont soumis à étude d’impact environnementale, afin de généraliser la méthode du cas par cas. À cet égard, je souhaite exprimer trois réserves.
Premièrement, cette proposition va au-delà, à la fois, de la mise en demeure adressée à la France et de l’injonction prononcée par le Conseil d’État.
La Commission européenne n’appelle pas la France à généraliser la méthode du cas par cas. Elle se borne à l’inviter à mieux prendre en compte les critères établis à l’annexe III de la directive 2011/92/UE pour « déterminer si un projet relatif à une installation doit faire l’objet d’une évaluation des incidences sur l’environnement », parmi lesquels les caractéristiques du projet et sa localisation. Or ces critères sont déjà pris en compte au niveau législatif, à l’article L. 122-1, qui prévoit que les projets susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement par « leur nature, leur dimension ou leur localisation » font l’objet d’une évaluation.
Le problème se situe, à mon sens, plutôt au niveau réglementaire, l’article R. 122-2 du code de l’environnement exemptant de toute évaluation environnementale certains projets sur la base de critères purement quantitatifs, sans prendre en compte leurs caractéristiques et leur localisation, comme le prévoit la partie législative du code. Le Conseil d’État ne dit d’ailleurs pas autre chose dans sa décision du 15 avril dernier : il invite le Gouvernement à se mettre en conformité avec la directive, en prenant des « mesures réglementaires » permettant la soumission à évaluation environnementale de projets pour des critères autres que quantitatifs, notamment leur localisation.
Deuxièmement, il me semble que votre proposition pourrait engendrer un alourdissement de procédure significatif au niveau local, puisque tout projet pourrait être soumis à étude d’impact au cas par cas. Il me semble, mais j’aimerais entendre l’avis du Gouvernement sur ce point, que cette généralisation de la méthode du cas par cas est susceptible d’induire une charge de travail sensiblement accrue pour les préfectures de région en termes d’instruction des dossiers, puisque l’autorité compétente devra potentiellement évaluer l’opportunité d’une étude d’impact pour chaque projet.
Troisièmement, je ne suis pas certain que la généralisation de la méthode du cas par cas aille dans le sens d’un renforcement de l’évaluation environnementale, puisque vous supprimez le principe d’une soumission systématique à étude d’impact pour de nombreux projets, notamment les projets de grande taille.
J’en viens au deuxième point de l’amendement, qui vise à garantir une meilleure séparation fonctionnelle entre l’autorité chargée d’autoriser le projet – le préfet de région – et l’autorité chargée d’effectuer l’évaluation environnementale, qui est incarnée par les missions régionales d’autorité environnementale au niveau local depuis la loi de 2019 relative à l’énergie et au climat.
Ce point est effectivement soulevé par la mise en demeure prononcée par la Commission européenne, qui mentionne des risques de conflit d’intérêts. Je souhaite toutefois entendre l’avis du Gouvernement sur la rédaction proposée et sur la manière dont il entend donner suite à la mise en demeure adressée à la France sur ce sujet. En attendant, l’avis de la commission est défavorable.
L’amendement n° 24 rectifié reprend la seconde partie de l’amendement précédent, concernant la séparation fonctionnelle entre l’autorité chargée de l’autorisation du projet et l’autorité chargée d’effectuer l’évaluation environnementale au cas par cas. Comme indiqué à l’instant, je souhaite entendre l’avis du Gouvernement sur la rédaction proposée et sur les conséquences qu’il prévoit de tirer de la mise en demeure prononcée à l’encontre de la France. Je me prononcerai en fonction de cet avis.
Enfin, l’amendement n° 5 rectifié de M. Dantec soulève un sujet intéressant, qui a d’ailleurs été évoqué à plusieurs reprises au Sénat ces dernières années. Toutefois, je me dois d’exprimer plusieurs réserves.
D’une part, les conséquences juridiques à tirer de la décision du 15 avril 2021 du Conseil d’État mériteraient un examen plus approfondi. Le Conseil d’État n’appelle pas le législateur à intervenir, mais invite le Gouvernement à prendre des « mesures réglementaires » afin de se mettre en conformité avec la directive européenne 2011/92/CE. Il semble donc qu’une mesure réglementaire pourrait être suffisante. J’ai bien entendu toutefois l’appel de M. Dantec.
D’autre part, le Conseil d’État n’appelle pas à l’introduction d’une clause de rattrapage, mais simplement à ne pas instaurer de seuils qui auraient pour effet d’exempter totalement d’évaluation environnementale des projets qui, du fait de leurs caractéristiques ou de leur localisation, pourraient avoir des incidences négatives sur l’environnement.
Enfin, je m’inquiète des conséquences de l’introduction d’une telle clause en droit français à deux titres.
Premièrement, il me semble qu’elle pourrait porter atteinte à la sécurité juridique des projets déjà autorisés, puisque tout projet pourrait faire l’objet d’une procédure de rattrapage.
Deuxièmement, la mesure proposée pourrait être très lourde pour certains petits projets, notamment dans le domaine agricole.
L’avis est donc défavorable. Néanmoins, j’aimerais que le Gouvernement réponde sur les conséquences qu’il va tirer de la décision du Conseil d’État d’avril dernier.