Intervention de Catherine Morin-Desailly

Réunion du 20 mai 2021 à 14h45

Photo de Catherine Morin-DesaillyCatherine Morin-Desailly :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il était attendu depuis longtemps ! C’était un engagement du Président de la République, et, après bien des difficultés, Franck Riester avait fini par convaincre de le faire inscrire à l’ordre du jour. Pourtant, le projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et à la souveraineté culturelle à l’ère numérique, à même d’armer notre audiovisuel, public comme privé, pour lui permettre de relever les défis générés par le nouveau monde, numérique a été abandonné au milieu du gué, en pleine procédure parlementaire. Bien sûr, on peut arguer de la crise sanitaire ; mais, précisément, les conséquences de celle-ci sur les usages et l’accélération observée des mutations en cours dans le secteur audiovisuel n’ont fait que renforcer le besoin de se remettre à jour par rapport à la loi du 30 septembre 1986, texte conçu pour le monde hertzien.

Lors du colloque que notre commission avait organisé en juillet 2018, intitulé « Comment réenchanter l’audiovisuel public à l’heure du numérique ? », alors que la réforme, celle de la redevance notamment, avait déjà été menée dans leurs pays respectifs, les représentants des audiovisuels publics européens, peinant à comprendre le retard pris chez nous, nous avaient dit attendre beaucoup de la France, jugée comme une référence dans son combat pour l’exception culturelle. Quelle déception !

Si, par esprit de responsabilité devant l’urgence à laquelle était confronté le secteur, madame la ministre, nous avons accepté l’été dernier, avec l’ensemble de mes collègues, la transposition des directives européennes SMA et sur le droit d’auteur et les droits voisins, c’était bien dans la perspective d’un vrai débat, que nous estimons nécessaire, sur l’avenir de l’audiovisuel et de la création. Je salue à cet égard l’implication forte des sociétés d’auteurs, qui a permis la mobilisation organisée à Bruxelles aux côtés des parlementaires pour faire adopter ces directives.

Avec l’abandon de la réforme de la gouvernance, le groupe Union Centriste regrette le retard qui va continuer à être pris alors que la concurrence s’intensifie, que les nouveaux formats et offres se multiplient, que partout le paysage se recompose pour mieux aborder les défis du siècle. L’actualité récente, marquée par le rapprochement de TF1 et de M6, nous le rappelle encore, si besoin était !

Plus encore, nous réprouvons l’abandon de la réforme de la contribution à l’audiovisuel public que Franck Riester avait pourtant promise pour 2021 au plus tard. Cette réforme différée est non seulement nécessaire pour faire évoluer l’assiette d’une redevance devenue injuste, les supports de diffusion ayant considérablement évolué, mais aussi pour prévenir la chute attendue de son rendement. Tout cela, je le disais déjà en 2011 dans un rapport sur l’avenir du financement de France Télévisions, et mes collègues Jean-Pierre Leleux et André Gattolin ne disaient pas autrement en 2015.

Pour couronner le tout, avec la suppression de la taxe d’habitation, nous n’avons plus aucune visibilité sur une ressource pérenne qui constitue par ailleurs la principale garantie d’indépendance, nécessaire pour développer des projets dans la durée. Franchement, il aurait été raisonnable d’assurer le modèle économique de notre audiovisuel public, qui concerne cinq entreprises et des milliers d’emplois directs et indirects, avant les échéances électorales de l’année prochaine.

Vous comprendrez donc que je ne puisse que joindre ma voix à celle de notre rapporteur, dont le constat est alarmant.

Bien entendu, nous souscrivons aux dispositions du texte portant création de l’Arcom. Ce projet de loi contient en effet des dispositions fondamentales et attendues afin de mieux lutter contre le piratage et pour la protection des auteurs. Je fais partie des parlementaires qui ont vécu, ici même, les balbutiements d’une législation visant à protéger les auteurs et la création à l’ère du numérique, à savoir la loi Dadvsi et les lois Hadopi 1 et Hadopi 2, qui semblent presque, aujourd’hui, relever de la préhistoire.

Alors que la technologie continue à déployer sa puissance transformatrice et que l’ingéniosité des contrevenants n’a pas de limites, il paraît naturel d’améliorer notre législation et de faire évoluer nos autorités de régulation, promises à de plus larges missions. Nous entretenons d’ailleurs des échanges réguliers avec les présidents de ces autorités, qui sont souvent auditionnés, ne serait-ce qu’à l’occasion de leur bilan annuel. À plusieurs reprises, les présidents de la Hadopi et du CSA, mais également de l’Arcep et de la CNIL ont été entendus ensemble afin que nous puissions mesurer les convergences et rapprochements souhaitables pour plus d’efficacité. Je profite de cet instant pour saluer le remarquable travail de l’ancien président de la Hadopi, Denis Rapone, dont le mandat parvenait à échéance en janvier dernier.

Compte tenu de l’évidence de certaines synergies, je regrette, comme notre rapporteur, que le lien avec l’Arcep ne soit pas sanctuarisé dans ce texte.

Notre groupe aura contribué à plusieurs améliorations visant à rendre l’Arcom plus efficace en matière de lutte contre le piratage. Celui-ci demeure en effet un fléau eu égard au manque à gagner pour la création, mais également à la perte afférente d’investissements dans le sport ; sur ce sujet, rappelons que la commission a été précurseur en organisant très tôt des tables rondes sur le piratage sportif et en émettant des propositions fortes. C’est ainsi qu’en commission, avec mes collègues Pierre-Antoine Levi, Michel Laugier et Claude Kern, nous avons souhaité, par nos amendements, compléter utilement le texte initial.

S’il y aura, bien sûr, quelques points de divergence entre nos groupes sur certains sujets, je me réjouis que nous nous soyons retrouvés sur un certain nombre de propositions importantes, notamment pour renforcer l’effectivité des droits d’auteur et des droits voisins ; pour faciliter l’accès aux œuvres et aux catalogues ; pour préserver l’attractivité de la TNT. Sur ce sujet, je vous proposerai d’aller plus loin aujourd’hui en donnant pouvoir à l’Arcom d’autoriser l’utilisation de formats d’images améliorés, permettant ainsi l’usage de l’ultra haute définition ; il y a en effet, j’y insiste, des échéances à ne pas manquer !

Je me félicite également que nous nous soyons accordés pour assurer le maintien de France 4. L’ensemble de notre commission s’était mobilisé sitôt l’annonce de sa suppression, entendant défendre la filière du cinéma d’animation, mais surtout une offre publique exempte de toute publicité, s’agissant de la chaîne de l’éducation, de la culture et de la citoyenneté, véritable alternative, pour nos jeunes, aux plateformes commerciales. Alors que, ces dernières années, conseil d’administration après conseil d’administration de France Télévisions, je n’ai cessé de redire l’importance de France 4, je suis heureuse que le Président de la République ait opportunément tranché en faveur de son maintien, donnant quitus à la proposition du Sénat impulsée par notre collègue Jean-Raymond Hugonet.

Je voudrais dire quelques mots sur Culturebox, louable initiative en une période où les lieux de culture étaient contraints à la fermeture. Proposer une forme de pérennisation en soirée me paraît une très bonne chose.

Partageant avec vous, madame la ministre, et avec notre rapporteur le goût pour la musique, je ne saurais trop insister sur la part qui doit lui être faite sur nos chaînes. J’en profite pour inviter à la réflexion sur ce qui pourrait être fait en région dans le cadre des contrats d’objectifs et de moyens passés entre les collectivités régionales et les antennes de France 3. Encore une fois, les initiatives prises pendant le confinement méritent d’être pérennisées et développées. Elles permettent notamment de toucher des publics empêchés de se rendre dans les salles de spectacle. C’est cela aussi, la mission de l’audiovisuel public : assurer le respect des droits culturels de chacun.

Nous ne saurions trop insister sur les moyens alloués à l’Arcom ; l’examen du prochain projet loi de finances sera une nouvelle fois l’occasion de souligner, à l’ère du « presque tout numérique », la nécessité de renforcer les missions des autorités de régulation. Pour ma part, j’étais déjà intervenue en ce sens pour le CSA à la suite du vote de la loi visant à lutter contre les contenus haineux sur internet, mais également à plusieurs reprises en faveur de la CNIL et de l’Anssi, faiblement dotées. Il est vrai que, pour assurer le nécessaire financement de celles-ci, il est fondamental de recouvrer le juste impôt dû par ces plateformes, qui justement favorisent les problèmes que nous devons nous attacher à résoudre, mais qui pratiquent, comme chacun le sait, l’évasion fiscale.

Je conclurai en félicitant notre rapporteur pour la qualité de son travail. Ce débat sera d’autant plus important que, comme Jean-Raymond Hugonet l’a rappelé, compte tenu du calendrier électoral, aucune nouvelle loi consacrée aux médias ne pourra être examinée avant au mieux 2023.

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