Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, quatre ans pour faire une loi qui devait réformer en profondeur l’audiovisuel français – certains parlaient même de « révolution » –, l’audiovisuel public en particulier. Je vous épargne les citations qui allaient dans ce sens, du Président de la République et des différents ministres… Et nous voilà saisis d’un projet de loi au titre ronflant, qui vise essentiellement à ce que nous entérinions ce qui est déjà largement engagé, à savoir la fusion du CSA et de la Hadopi.
Comme souvent quand il s’agit d’audiovisuel, on commence par parler de grande loi et on finit par du petit. En l’occurrence, pour du petit, c’est vraiment du petit ! Merci à M. le rapporteur et à M. le président de la commission d’avoir encouragé une lecture plus large de l’objet de ce texte pour nous permettre d’avoir quelques débats nécessaires.
Chacun sait que le paysage audiovisuel a été totalement bouleversé depuis 1986. La TNT a élargi l’offre accessible à toutes et à tous à quatorze, puis à dix-huit chaînes – aujourd’hui, vingt-sept chaînes. Les offres par câble et par satellite et, parallèlement, la révolution numérique et l’accès de tous à un débit toujours plus important ont permis la disponibilité courante de centaines de chaînes du monde entier.
Les nouvelles technologies ont bouleversé les conditions mêmes de la création et de la production audiovisuelles et ont révolutionné les usages, ce phénomène étant amplifié par l’arrivée dans notre paysage de grandes plateformes américaines qui, échappant aux régulations essentielles voulues par les législateurs de 1986, ont contourné les obligations de financement et de fiscalité imposées aux acteurs traditionnels. Elles se sont imposées en chamboulant notre système de financement de la création, la chronologie des médias, mais également les accords existants entre les chaînes de télévision et les producteurs.
Cette situation nécessitait au moins que nous en débattions globalement, que nous y répondions tout aussi globalement et que nous cessions de nous contenter de boucher les trous dans la raquette, pour enfin imaginer ensemble le paysage audiovisuel que nous voulons et réfléchir au sens que nous voulons donner à notre action législative. Or l’occasion est encore manquée de discuter de tous les enjeux actuels selon une vision éclairée !
Le paradoxe est que notre discussion a lieu deux jours après l’annonce d’une fusion entre les groupes TF1 et M6, qui pèseraient 44 % des audiences et 70 % du marché publicitaire. Cette fusion, elle, va bel et bien révolutionner notre paysage médiatique en le concentrant comme jamais, lui qui l’est déjà tant et trop, face à un audiovisuel public privé de recettes publicitaires mais démuni également du côté de sa ressource publique, qui est en baisse : l’État ne se décide pas à lui permettre d’en vivre.
Je sais bien que les chaînes de télévision privées sont elles aussi affaiblies par la baisse de leurs recettes publicitaires due à une captation croissante du marché par les GAFA : 36 % en 2017, 49 % à l’horizon de 2022. Mais la réponse ne viendra pas d’une concentration encore plus grande des grands groupes privés, achevant les autres chaînes privées, mettant en danger la liberté, le pluralisme et l’indépendance des médias consacrés à l’article 34 de notre Constitution.
La première conclusion que nous devons vite en tirer, c’est de renforcer notre audiovisuel public. Face à ce nouveau géant du privé, celui-ci devra avoir les moyens de faire rayonner toutes ses missions d’intérêt général : l’information libre, l’exception culturelle, l’éducation et le financement à un haut niveau de la création.
Cela passe par la réforme tant attendue et repoussée de la redevance, qui doit devenir universelle, mais aussi par l’arrêt des baisses budgétaires que ce gouvernement s’est entêté à renouveler année après année, et ce malgré les efforts inouïs que les sociétés de l’audiovisuel public et leurs personnels ont consentis depuis de nombreuses années.
D’ailleurs, je ne peux que me réjouir que le Président de la République ait enfin renoncé à supprimer France 4, …