Cette audition de l'INSEE entre pleinement dans notre mission d'orientation des politiques publiques. J'organiserai mon propos en distinguant les conséquences conjoncturelles des conséquences structurelles de la crise sur les Antilles et la Guyane. Pour rappel, ces territoires ont été soumis, à l'instar du territoire hexagonal, à un confinement strict du 17 mars au 11 mai 2020, puis à une levée de confinement progressive qui a pu différer selon que l'on se situait en Guadeloupe, en Martinique ou en Guyane.
La Guyane a connu un couvre-feu quasiment toute l'année avec une restriction particulière du vendredi soir au lundi matin, suivi d'un nouveau confinement à compter du 14 mai 2021. La Martinique a, pour sa part, connu un deuxième confinement dès novembre et décembre 2020 et un troisième confinement fin avril 2021. La Guadeloupe s'est vue appliquer une semaine de restrictions en octobre 2020, puis la fermeture de certains commerces en mars 2021 et, enfin, un second confinement qui a pris fin le 19 mai dernier. Au-delà de ces mesures restrictives, ces territoires ultramarins ont connu plusieurs aménagements spécifiques relatifs aux motifs impérieux qui conditionnaient leur accès, qui ont pu pénaliser leur économie et le tourisme.
Nous constatons donc, en mesurant les impacts de cette crise sur les territoires ultramarins, des restrictions de déplacements, des fermetures d'établissements et un ralentissement du secteur du tourisme. Aussi, s'il est exact d'affirmer que ces territoires ont été moins exposés que le territoire hexagonal à la crise sanitaire, il ne faut pas oublier que leur situation initiale et leurs particularités, moins favorables et plus dépendantes des aléas conjoncturels, les fragilisaient davantage. D'où l'intérêt de distinguer finement les conséquences conjoncturelles des conséquences structurelles.
En effet, l'impact de la crise en outre-mer a été plus mesuré en raison d'un moindre développement de l'activité marchande et d'une moindre représentation des secteurs privés exposés à la crise - hormis bien sûr le tourisme, qui peut représenter jusqu'à un tiers du produit intérieur brut (PIB) local, notamment en Guadeloupe. En revanche, le retrait des mesures de soutien organisées par l'État risque d'avoir des effets amplifiés par rapport à l'Hexagone et doivent absolument tenir compte des difficultés spécifiques de ces territoires en matière de formation et d'insertion sur le marché du travail.
En définitive, on peut conclure à une crise qui a moins touché les territoires ultramarins, mais cette analyse doit être relativisée, notamment au regard des conséquences à long terme.
Voyons maintenant l'évolution au cours de la crise de trois indicateurs spécifiques à ces territoires : l'activité et la consommation, le taux d'emploi et de chômage, le commerce extérieur. Pour la mesure de la baisse d'activité, l'impact économique du premier confinement a été, de façon conjoncturelle, moins fort aux Antilles-Guyane qu'ailleurs : une baisse d'activité se situant entre 20 et 25 %, se traduisant par une baisse du PIB local de 3 % aux Antilles et de 4 % en Guyane. Fin juin 2020, on observe en Guyane une contraction de la consommation des ménages de 22 %, en Guadeloupe de 28 %, en Martinique de 27 %.
Les indicateurs relatifs à l'emploi et au chômage sont un peu moins pertinents que dans l'Hexagone, en raison d'une économie informelle assez développée, fondée sur l'agriculture et le commerce, et d'une activité échappant pour une large part à nos compilations statistiques. Nous sommes toutefois en mesure d'affirmer que beaucoup de personnes, qui vivaient de cette économie informelle, se sont retrouvées sans activité du jour au lendemain : nous nous référons, pour approcher cette réalité, à la distribution d'aide alimentaire d'urgence, dont nous savons qu'elle a été particulièrement dynamique en Guyane.
En 2020, le taux d'emploi des personnes de 15 à 64 ans est globalement stable sur l'ensemble de ces territoires, tandis que le volume d'heures travaillées a reculé. Nous en déduisons que le recours massif au chômage partiel a permis de préserver l'emploi.
Par ailleurs, les interdictions de déplacement et les restrictions d'activité sont à l'origine d'une baisse du taux de chômage, dont il ne faut pas oublier qu'elle est en « trompe l'oeil ». En effet, je vous rappelle qu'une personne en situation de chômage, au sens du Bureau international du travail (BIT), se définit par trois critères : avoir travaillé, être disponible pour travailler et être en recherche active d'emploi. La crise sanitaire ayant neutralisé ces deux derniers critères, de nombreuses personnes inactives se sont donc vues retirer la qualité de chômeur. Aussi, à l'instar du taux d'emploi, le taux de chômage ne saurait approcher de façon pertinente la réalité de ces territoires.
Concernant le commerce extérieur en 2020, parallèlement à la baisse de la consommation déjà évoquée, les importations et les exportations ont connu une baisse similaire, de sorte que la balance commerciale n'est globalement pas touchée. Nous observons en Martinique un impact de la balance commerciale essentiellement sur les exportations (- 22 %) et importations (- 5 %) de carburants. En Guyane, les importations accusent une baisse de 8,4 % et les exportations diminuent de 14,2 %. En Guadeloupe, les importations diminuent de 7 % et les exportations se replient de 9 %. On observe donc que la balance commerciale, en raison de la baisse de la consommation, n'est pas foncièrement touchée. Plus largement, on peut en déduire une certaine hausse de l'épargne.
J'en viens, enfin, aux impacts sur le tissu économique des trois territoires ultramarins, en commençant par le secteur moteur du tourisme, très touché. En décembre 2020, les hôtels de Guadeloupe perdent un tiers de leur chiffre d'affaires. Le phénomène est comparable pour les restaurants, même si la clientèle résidente en a quelque peu limité ces effets. En Martinique, c'est une perte de 90 % du chiffre d'affaires des hôteliers que l'on déplore en novembre 2020.
Les mesures de soutien aux deux autres grands secteurs d'activité de l'économie locale - le BTP et le service public - ont joué un grand rôle dans sa préservation relative. Il est en effet incontestable que la résistance des économies ultramarines doit beaucoup aux mécanismes de soutien mis en place par l'État (chômage partiel, prêts garantis) ; la reprise risque donc d'être particulièrement délicate à compter de l'interruption de ces mesures. En Guadeloupe, ce sont près de 2 000 entreprises qui ont bénéficié de prêts garantis pour un montant de 400 millions d'euros, montant qui la place en troisième position pour le recours à ce dispositif, après la Corse et la région Provence-Alpes-Côte d'Azur (PACA).
Je rappelle toutefois que cette préservation de façade ne tient pas compte des difficultés du secteur informel, par définition exclu du soutien de l'État.