Intervention de Barbara Gomes

Délégation aux entreprises — Réunion du 6 mai 2021 à 9h00
Table ronde sur « les travailleurs des plateformes »

Barbara Gomes :

Je vous remercie. Bonjour à toutes et à tous. Je commencerai par expliquer le cheminement qui m'a amenée à travailler sur ce sujet. Lorsque j'ai commencé ma thèse, ces plateformes n'existaient pas encore ; je m'intéressais alors aux stratégies managériales qui visaient à éviter l'application de la législation sociale et à leurs conséquences sur le statut salarial. Lors de ces recherches, j'ai constaté l'émergence des plateformes numériques de travail et j'ai pu analyser leurs pratiques, notamment celles d'Uber. J'ai constaté qu'en dépit de leur posture d'intermédiaire, les plateformes numériques de travail ne peuvent pas s'identifier à ce simple rôle de mise en relation, car il ne s'agit là que d'une modalité de la réalisation du service.

Ces plateformes pensent, organisent et dirigent un service qu'elles proposent à des clients. La nouveauté repose plutôt sur la mise en contact facilitée avec la personne qui réalise ce service pour le compte de la plateforme. Nous le voyons avec les livreurs, mais aussi avec les chauffeurs VTC. D'après moi, ce service représente le « nerf de la guerre ». Certes, des plateformes d'intermédiation existent. Leur rôle est d'offrir une meilleure fenêtre sur le monde extérieur ou d'élargir une clientèle, pour des artistes peintres par exemple. Elles peuvent parfois poser des questions de gouvernance, dans le cas des « youtubeurs » notamment, mais les personnes qui ont recours à ces plateformes d'intermédiation demeurent indépendantes.

Toutefois, ce n'est pas le cas d'Uber. Dans un arrêt récent, la Cour de justice européenne a considéré qu'Uber n'est pas seulement une entreprise de mise en relation, mais bien une entreprise de transport. Or, ce point de vue est valable pour toutes les plateformes numériques de travail. Aujourd'hui, le législateur devrait être en mesure de définir les plateformes de travail pour les distinguer des plateformes d'intermédiation.

Par ailleurs, pour appliquer la législation, il convient aussi de définir ceux qui contractent avec les plateformes de travail. Ces derniers louent leur force de travail, grâce à laquelle le service proposé par la plateforme est réalisé. La plateforme de travail est donc celle qui organise et propose un service à des clients. Il peut être reproché au gouvernement de ne pas bien distinguer les plateformes lors de ses tentatives d'encadrement, comme le rapport Frouin.

L'indépendance et l'autonomie doivent également être différenciées. Plusieurs parlementaires savent qu'il est possible d'être salarié et de disposer d'une grande autonomie. L'autonomie ne pose pas de problème au droit de travail, tant que le travailleur subit un pouvoir de direction, de contrôle et de sanction. Or, les travailleurs des plateformes sont sous la subordination de la plateforme, comme en témoignent de nombreuses études. À ce sujet, la solution la plus simple, comme le mentionnait le rapport Frouin, serait d'appliquer le statut salarial. Le droit du travail se concentre sur des relations de subordination et d'obéissance. Le droit au travail et le droit à la sécurité sociale ont vocation à compenser cette asymétrie consubstantielle au contrat de travail.

Cette solution est donc la plus efficace et la plus éprouvée. Il est étonnant de vouloir extraire les travailleurs des plateformes de cette législation. Ce droit est aussi très flexible, du fait des précédentes réformes qui l'ont assoupli et il peut être adapté grâce aux conventions collectives. À ce titre-là, il y a en effet un besoin urgent de dialogue social. Il est d'ailleurs regrettable que l'ordonnance reporte ce dialogue social à 2023.

Concernant la sécurité juridique, je tiens à rappeler que des divergences de juges de fond existent toujours. Néanmoins, la Cour de cassation est extrêmement claire dans ces arrêts concernant Uber et considère que les travailleurs sont subordonnés. L'arrêt de la chambre sociale a même été publié pour la première fois en plusieurs langues, avec différentes notes explicatives pour ne pas prêter à confusion. Au sujet de l'arrêt Yodel, la décision de la Cour de justice ne dit pas que les travailleurs sont indépendants. Il s'agissait de renvoyer aux juges britanniques la responsabilité de vérifier si, en pratique, le travailleur était réellement indépendant ou non, auquel cas la législation des workers devait alors s'appliquer.

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