Merci. J'évoquerai les réseaux sociaux et la prostitution des mineurs.
Comme dit précédemment, nous nous sommes heurtés à une absence de statistiques quantitatives fiables sur le système prostitutionnel, malgré des rapports préconisant depuis 2011 l'évaluation de la prostitution : rapport Geoffroy, rapport de l'IGAS en 2012, déclarations et rapport du Défenseur des droits Jacques Toubon. Les statistiques judiciaires et policières dont nous disposons reflètent l'activité des services de police et de gendarmerie, mais non l'ampleur de la prostitution sur notre territoire. Les informations plus larges sont issues de sondages ou d'analyses, de rapports des associations spécialisées. Quelles que soient leurs qualités, ces données restent indicatives.
Selon l'étude Prostcost de 2015, le nombre de personnes prostituées était évalué à 37 000, une moyenne entre une fourchette basse de 30 000 et une fourchette haute de 44 000. Nous constatons un déclin de la prostitution sur la voie publique. Les victimes qui la pratiquent sont souvent d'origine étrangère et exploitées par des réseaux. Selon l'OCRTEH, la part des victimes identifiées sur la voie publique aurait fortement diminué en trois ans. Parallèlement, on note une nette progression du recours aux réseaux sociaux pour la pratique prostitutionnelle, qui passe de 34 à 49 % entre 2016 et 2018. Une étude Psytel de mai 2015 mentionnait déjà que 62 % de la prostitution passait par Internet. En 2018, sur les 69 réseaux démantelés par les services de police et de gendarmerie, 33 concernaient une prostitution « logée », c'est-à-dire en appartement.
Entre 2015 et 2018, les condamnations prononcées en France pour proxénétisme aggravé avec mise en contact par un réseau de communications étaient :
- s'agissant d'une victime majeure : 73 en 2015, 43 en 2016, 51 en 2017 et 72 en 2018 ;
- s'agissant d'une victime mineure : deux en 2015, trois en 2016 et 2017, une en 2018.
À eux seuls, ces chiffres attestent du décalage entre les poursuites engagées et l'ampleur du phénomène prostitutionnel. Ce constat doit impérativement contraindre les pouvoirs publics à renforcer les moyens des services de police et de gendarmerie pour lutter contre le proxénétisme et la traite, notamment via les réseaux sociaux et Internet. Toutes les investigations convergent en effet pour affirmer que l'utilisation des réseaux sociaux et des plateformes d'annonce en ligne, associée à la généralisation des nouvelles technologies, facilitent le phénomène prostitutionnel.
Le téléphone portable est un outil d'emprise puisqu'il assure une disponibilité ininterrompue des victimes et une relation à distance permanente avec leur recruteur, proxénète ou client. C'est particulièrement vrai pour les mineurs, qui ont souvent leur téléphone avec eux et se trouvent peu armés pour se prémunir des effets pervers de ce monde virtuel. Les réseaux sociaux favorisent le repérage et le recrutement d'adolescents en vue de leur exploitation via la publication d'annonces sur des plateformes d'échanges et des sites dédiés à l'escorting. Ils facilitent aussi la mise en relation avec des clients par des messageries instantanées en groupe ou la diffusion d'images et vidéos intimes. Or les textes incriminant le proxénétisme et la jurisprudence actuelle ne permettent pas d'assimiler ces comportements prostitutionnels virtuels à de la prostitution, en l'absence de relations physiques avec le client.
En effet, la loi ne donne pas de définition de la prostitution. Seule la Cour de cassation l'a définie, en 1996, comme le fait de « se prêter, moyennant une rémunération, à des contacts physiques de quelque nature qu'ils soient, afin de satisfaire les besoins sexuels d'autrui ». Cette définition n'apparaît plus adaptée à l'évolution des pratiques prostitutionnelles et au développement des nouvelles technologies. Une définition légale de la prostitution faisant apparaître toute forme de marchandisation du corps et d'exploitation sexuelle faciliterait l'information sur la réalité de la prostitution et limiterait la banalisation des attitudes prostitutionnelles par les adolescents.
Les dispositifs de signalement des sites facilitant le proxénétisme ou la traite des êtres humains sont, à ce jour, peu efficaces. La rédaction initiale de l'article premier de la loi du 13 avril 2016 permettait à l'autorité administrative de demander aux fournisseurs d'accès à Internet de bloquer directement l'accès à ces sites, mais sa rédaction finale se contente d'exiger qu'ils mettent en place un dispositif de signalement de ce type de contenu.
Il existe, en France, deux dispositifs principaux de signalement : la plateforme Pharos et la plateforme Point de contact. Ces dispositifs ne sont pas assez connus du public ni des associations, qui pourraient pourtant transmettre des informations exploitables. Ils sont prioritairement alimentés par les services d'enquête. La mission préconise donc le renforcement des partenariats des directions et services dédiés à la lutte contre le cyber-proxénétisme avec les sites de forums ou de petites annonces pour signaler des contenus illicites liés au proxénétisme et à la traite des êtres humains. Elle rappelle que, dans le cadre de la mise en oeuvre de la loi de 2016 et du comité de suivi du cinquième plan de lutte contre les violences faites aux femmes, un groupe de travail pluridisciplinaire chargé d'identifier les moyens de lutter contre le cyber-proxénétisme devait être créé. La mission préconise son installation et le lancement d'une mission dédiée à cette problématique.