Le Mouvement du Nid est heureux de vous présenter aujourd'hui son travail, réalisé avec d'autres associations de terrain, pour faire notre propre bilan des cinq ans de cette loi du 13 avril 2016, qui représentait un pas immense pour une plus grande égalité entre les femmes et les hommes et dans la lutte contre les violences faites aux femmes. Nous avons suivi et participé à la mise en oeuvre de cette loi. Nous avons mis en commun nos chiffres et constats afin de les comparer, au sein de la Fédération des actrices et acteurs de terrain et des survivantes de la prostitution (FACT-S). Nous avons publié un rapport en début d'année.
Les quatre associations concernées sont l'Amicale du Nid, la Fondation Scelles, CAP International et le Mouvement du Nid. À elles quatre, elles rencontrent près de 8 000 personnes prostituées par an en France. Elles sont présentes sur 34 % des départements et sont agréées dans un tiers des commissions départementales. Elles accompagnent deux tiers des parcours de sortie de la prostitution mis en oeuvre depuis 2017 et un tiers des stages de sensibilisation.
Notre rapport est structuré autour des quatre piliers de la loi, à commencer par les victimes. En 2014, nous comptions encore 1 124 personnes interpellées pour racolage, et 780 en 2015. Le premier effet de la loi est de supprimer totalement ces interpellations, ce qui était extrêmement important pour nous. « Enfin, les choses sont remises à l'endroit », comme l'a dit une survivante le jour de l'adoption de la loi. La prostitution était la seule violence faite aux femmes pour laquelle les auteurs pouvaient bénéficier d'une forme d'impunité alors que les victimes étaient pénalisées. Toutefois, il existe encore dans certaines villes de France, par exemple à Toulouse, des arrêtés anti-prostitution qui permettent de verbaliser les prostituées.
De 2017 à avril 2020, nous avons accompagné 223 parcours de sortie sur les 395 mis en oeuvre à ce moment-là. Nous aurions aimé vous présenter des vidéos. Ce sont des histoires de personnes dont la vie a été radicalement changée, qui ont pu entrevoir un avenir alors qu'elles étaient plongées dans une violence extrême. Ce nombre reste très faible au regard des besoins. Dans certaines délégations du Mouvement du Nid, nous recevons cinq ou six demandes par semaine auxquelles nous ne pouvons pas répondre parce que le temps d'accompagnement de chaque parcours est extrêmement chronophage. Les associations ne reçoivent aucun financement supplémentaire pour cela, alors que nous aurions besoin de recruter des travailleurs sociaux.
Lorsque le parcours est mis en oeuvre de façon satisfaisante, il est accepté à 86,4 % par les commissions départementales. Les 13,6 % de refus ne sont pas toujours motivés et ne respectent pas toujours l'esprit de la loi. Nous constatons une hétérogénéité très importante entre les commissions, comme l'ont signalé les trois inspections. Les critères varient. Quand certaines commissions considèrent qu'une personne sortie depuis quelques mois de la prostitution n'a pas besoin du parcours, d'autres estiment au contraire que celles qui n'en sont pas encore sorties ne peuvent y prétendre. Certaines n'acceptent pas les personnes sans papiers, ce qui va à l'encontre de la loi, alors que d'autres considèrent que les Françaises n'ont pas besoin du parcours de sortie. Aucune consigne claire et verbalisée n'a été diffusée aux commissions départementales.
Sur la totalité des personnes que nous avons accompagnées, 27 % étaient âgées de 18 à 25 ans, 50 % de 26 à 35 ans, 17 % de 36 à 50 ans et 4,5 % de plus de 50 ans. Un quart des personnes en parcours de sortie à l'Amicale du Nid ont été prostituées avant leurs 18 ans. Le proxénétisme des mineurs est donc une préoccupation majeure.
Sur les 223 personnes accompagnées, 24 ont achevé leur parcours de sortie, dont 21 ont pu accéder à un emploi. La réinsertion socioprofessionnelle fonctionne donc. En revanche, il subsiste des incertitudes sur la situation de certaines personnes après les deux ans de parcours, notamment celles ayant bénéficié d'autorisations provisoires de séjour. Après deux ans d'efforts extrêmement exigeants, il ne faut pas les laisser dans une telle incertitude.
Les personnes étrangères qui suivent ces parcours sont, pour 90 % d'entre-elles, des sans-papiers ; 5 % sont des réfugiés, 5 % en situation régulière. Elles arrivent, pour 83 % d'entre-elles, d'Afrique subsaharienne. Une autorisation provisoire de séjour leur est délivrée pour six mois, renouvelable jusqu'à deux ans, ce qui soulève un problème. En effet, cette durée de six mois ne permet pas d'entrer dans une formation longue parce que les organismes de formation refusent d'accepter ces personnes sans garantie qu'elles pourront finir la formation. Elle constitue donc un frein pour accéder à des formations, logements ou permis de conduire.
Comme évoqué précédemment, les résultats dans la lutte contre le proxénétisme sont encourageants. Nous avons constaté, depuis 2016, une augmentation de 54 % des procédures contre les proxénètes et sept fois plus de compensations et réparations pour les victimes de la prostitution. Plus de deux millions d'euros d'avoirs confisqués ont été réinvestis dans la protection et la réinsertion des victimes, ce qui est positif mais ne représente qu'une faible part des biens confisqués.
Un sondage IPSOS réalisé en janvier 2019 a révélé que la loi avait contribué à l'évolution des mentalités. 78 % des répondants estiment que cette loi est « une bonne chose », 84 % des 18-24 ans sont favorables au maintien de la loi et 81 % des femmes considèrent la prostitution comme une violence à l'égard des femmes. En revanche, il devait y avoir un effort significatif de prévention en contexte scolaire, que nous n'avons pas constaté.
Concernant l'interdiction d'achat d'actes sexuels, le nombre d'infractions était de 799 en 2016, 2 072 en 2017 et 1 939 en 2018. Toutefois, cela ne concerne que quelques départements, principalement en région parisienne. Il reste de nombreux départements où la pénalisation d'achat d'actes sexuels n'est pas mise en oeuvre. 100 % des personnes concernées par les stages de sensibilisation sont des hommes ; 60 % sont en couple et 70 % sont pères de famille. Ces chiffres permettent de combattre l'idée reçue selon laquelle les clients seraient de pauvres hommes en détresse sexuelle. Il est intéressant de comparer les propos tenus par ces hommes avant et après ces stages afin de constater à quel point cela fait évoluer leur regard sur la prostitution.
La directrice du Mouvement du Nid va maintenant vous présenter nos préconisations.