Intervention de Stéphanie Caradec

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 8 avril 2021 : 1ère réunion
Table ronde sur le bilan de l'application de la loi du 13 avril 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées à l'occasion du cinquième anniversaire de la loi

Stéphanie Caradec, directrice du Mouvement du Nid :

Nous vous présentons aujourd'hui une synthèse d'un rapport de 150 pages1(*).

Nous avons émis 64 recommandations. Nous constatons que la loi produit ses effets, mais qu'elle n'est pas appliquée partout ni suffisamment. Les dysfonctionnements que nous constatons relèvent souvent d'un manque de priorisation politique de ce sujet, bien que la lutte contre les violences faites aux femmes ait été érigée en « grande cause nationale ».

La FACT-S propose cinq grandes catégories de recommandations. La première concerne le fait de proposer une alternative à la prostitution pour toutes les victimes. Cela passe par la multiplication et l'amélioration des parcours de sortie. Depuis 2016, les montants alloués aux parcours de sortie ont diminué, suite au constat qu'ils concernaient peu de personnes. Nous souhaitons multiplier le nombre de parcours par dix, ce qui implique de les rendre plus attractifs. Le titre de séjour doit être d'un an, renouvelable une fois. L'aide financière à l'insertion sociale et professionnelle (AFIS) doit être revalorisée au niveau du RSA. Il faut rappeler aux commissions départementales que la seule condition d'accès au parcours est le souhait de sortir de la prostitution. Il convient aussi d'augmenter les moyens des associations chargées d'accompagner les personnes. Le temps de transition entre la demande de parcours et son acceptation pouvant être long, nous demandons qu'un hébergement et une allocation transitoire soient proposés dès la prise de décision.

Le préjudice économique de la prostitution est évalué à 1,6 milliard d'euros par an, selon l'étude Prostcost de 2015. Or nous estimons le coût annuel de la sortie de la prostitution à 60 000 euros par personne. Dépenser 240 millions d'euros par an aiderait 4 000 personnes, ce qui, en dix ans, permettrait à toutes les personnes qui le souhaitent de sortir de la prostitution. Ce chiffre, certes approximatif, permet d'avoir une estimation de ce que cela coûterait.

Deuxièmement, nous préconisons une grande campagne nationale pour un changement de regard de la société sur la prostitution. L'État doit s'assurer que les citoyens, les acteurs sociaux et les victimes elles-mêmes savent qu'elles ont des droits et qu'elles peuvent y avoir accès. Il faut sensibiliser l'ensemble de la société au fait qu'acheter un acte sexuel est interdit et contraire à l'égalité entre les femmes et les hommes. Il convient également d'intégrer la prostitution dans les communications sur les violences faites aux femmes, notamment en période de pandémie et de confinement. Le site arretonslesviolences.gouv.fr, qui constitue une source d'informations pour les victimes et les travailleurs sociaux, ne mentionne pas la prostitution. Cet oubli doit être réparé.

Troisièmement, ne pas tolérer d'impunité pour les prostitueurs, les clients et les proxénètes. Il faut poursuivre les « clients » prostitueurs sur tout le territoire et systématiser leur interpellation lors des enquêtes sur des affaires de proxénétisme impliquant des mineurs. En effet, il est possible de les trouver via les adresses IP et les numéros de téléphone, mais depuis 2016, le nombre de pénalisations concernant des acheteurs d'actes sexuels sur mineurs a diminué. Nous avons besoin d'une politique plus volontariste sur ce sujet. La lutte contre la prostitution des mineurs passe par la levée de l'impunité des pédocriminels. Il convient par ailleurs de renforcer les moyens humains et financiers des forces de l'ordre luttant contre le proxénétisme, notamment pour répondre aux défis actuels comme le cyber-proxénétisme et la prostitution filmée. Enfin, il faut renforcer la protection apportée aux victimes de la prostitution, du proxénétisme et de la traite, notamment dans le cadre d'un dépôt de plainte ou d'un témoignage.

La quatrième catégorie concerne la généralisation de la prévention pour assurer aux jeunes la non-marchandisation de leur corps. L'idée est de mettre en place ce que prévoit la loi en matière d'éducation à la sexualité, sur le plan général. En effet, apprendre que les filles et garçons sont égaux, que le corps est à soi et qu'on a le droit dire non, permet de prévenir la prostitution. Par ailleurs, la loi de 2016 stipule qu'une information doit obligatoirement être dispensée dans les établissements scolaires du secondaire, ce qui n'est pas encore mis en place.

Enfin, la cinquième partie concerne l'effort financier à produire, à hauteur de 2,4 milliards d'euros sur dix ans. Nous avons aussi parlé des biens mal acquis confisqués aux proxénètes, dont une part congrue est reversée pour l'accompagnement des victimes. 14 millions d'euros ont été confisqués de 2017 à 2018. Cet argent doit aussi permettre de structurer la politique publique en matière de lutte contre la prostitution. Les délégués départementaux aux droits des femmes n'ont pas forcément le temps d'effectuer toutes les missions qui leur incombent. À Paris, la commission départementale de lutte contre la prostitution ne dispose que d'un ETP. Nous demandons plus de transparence sur le montant des avoirs saisis par l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (AGRASC) et que de l'argent soit injecté sur cette politique publique, y compris dans les services de l'État. Nous avons également parlé du financement des associations.

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