Intervention de Arthur Melon

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 8 avril 2021 : 1ère réunion
Table ronde sur le bilan de l'application de la loi du 13 avril 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées à l'occasion du cinquième anniversaire de la loi

Arthur Melon, secrétaire général de l'association Agir contre la prostitution des enfants (ACPE) :

Beaucoup de choses ont été dites ce matin, que nous n'aurions pas entendues il y a cinq ans. Il était alors impensable, pour notre association, de voir tant de personnes réunies, représentant tant de différentes institutions et partageant un constat unanime sur cette question qui n'était à l'ordre du jour d'aucune politique publique, hormis la loi de 2002. Pour vous donner une idée, en novembre 2016, à l'occasion des trente ans de la création de l'association, nous avions organisé, avec le parrainage de Maud Olivier et l'aide de Stéphanie Caradec, un colloque réunissant 250 personnes à l'Assemblée nationale. Le titre de ce colloque était Stop à la prostitution des mineurs en France. Sur ces 250 personnes, nous ne comptions qu'un seul élu, un conseiller régional. Nous n'avons, par la suite, eu que très peu de contacts avec d'autres élus, parlementaires ou représentants d'institutions politiques. Nous avions des moments de célébration lorsque nous parvenions à obtenir un rendez-vous avec une administration ou un cabinet, puisqu'il fallait que nous convainquions qu'il s'agissait d'un vrai sujet de politique publique, et non de simples faits divers, et qu'il y avait matière à organiser des réunions à ce sujet. Je mesure donc le chemin parcouru en cinq ans, même s'il reste modeste.

Les chiffres souvent repris dans la presse, évoquant 5 000 à 8 000 mineurs, datent de 2013 et proviennent de l'ACPE. Ce sont des estimations non scientifiques et très approximatives, mais nous l'assumons parce qu'il était indispensable de poser un chiffre pour faire réagir la presse et les politiques. Nous sommes certains qu'ils sont proches de la réalité, voire en deçà.

Je tiens aussi à rendre hommage aux parents et aux familles, qu'on oublie trop souvent. On oublie que la prostitution est dévastatrice pour les victimes autant que pour leur famille, qui souvent implose sous l'effet de ce phénomène. Je pense à tous les parents qui nous ont accompagnés et que nous avons accompagnés, et je remercie particulièrement la famille Delcroix et leur adolescente Nina. Nous avons aujourd'hui des messages d'espoir à transmettre à ces parents, notamment le fait que Madame la présidente Billon est à l'origine d'une proposition de loi qui a toutes les chances d'aboutir, qui instaure un seuil de non-consentement à 15 ans, à 18 ans en cas d'inceste.

Malgré la prise de conscience que nous venons tous d'exprimer, l'ACPE a dû porter à la connaissance des députés et sénateurs la question de la prostitution puisque, sans l'amendement que nous avons proposé, les mineurs en situation de prostitution n'auraient pas été pris en compte dans cet âge de non-consentement. Nous avons franchi une étape décisive avec l'inscription de la prostitution des mineurs dans le plan de lutte contre les violences faites aux enfants, dévoilé par Adrien Taquet, et avec le groupe de travail qui a été créé. Je tiens à remercier tout particulièrement Mme la Procureure Catherine Champrenault et M. Gilles Charbonnier, avocat général, pour ce travail inédit et extrêmement riche. Je confesse que, lors du lancement de ce groupe, nous sommes restés prudents parce que nous redoutions que ce ne soit qu'un moyen de temporiser et de proroger toute prise d'actions, mais nous sommes aujourd'hui rassurés sur la qualité de ce travail. Je ne doute pas qu'il aboutira à un rapport comportant des recommandations très concrètes et utiles aux pouvoirs publics.

Pour finir, je souhaite replacer la prostitution dans un contexte plus large, puisque la difficulté de cette problématique est qu'elle s'inscrit au croisement de plusieurs politiques publiques :

- la lutte contre la criminalité, notamment la cybercriminalité ;

- les politiques générales de protection de l'enfance ;

- la promotion de l'égalité entre les sexes et la lutte contre le sexisme ;

- la promotion de la santé, qu'elle soit physique, psychologique ou sexuelle ;

- la réduction des risques ;

- la lutte contre les trafics de stupéfiants et les addictions ;

- la lutte contre les violences.

Pour l'instant, nous avons seulement évoqué les violences sous la forme des atteintes aux personnes - physique, psychique, sexuelle. Je tiens donc à rappeler les autres types de violences qui ont un impact sur la prostitution :

- les violences sociales : la précarité, le chômage et toutes les disqualifications sociales qui se sont aggravées en 2020 et qui auront un impact sur la prostitution des majeurs et des mineurs ;

- les violences sociétales : LGBTphobie, xénophobie, racisme, politiques anti-migrantes qui, en ayant un impact sur le parcours des individus, peuvent le conduire à être exploité sexuellement ;

- les violences symboliques : le culte de l'avoir, le culte de la réussite financière et la manière dont l'imaginaire véhiculé par certains médias et la téléréalité a aussi une part de responsabilité dans la marchandisation du corps.

La prostitution, au-delà d'être un système, est aussi un symptôme permettant de mesurer le degré de violence dans notre société. Nous ne pourrons pas faire l'économie de lutter contre toutes ces formes de violences pour avancer sur le front de la prostitution. Lorsque nous constaterons une véritable baisse du nombre de personnes exploitées sexuellement, nous pourrons nous dire que notre société sera globalement moins violente. Tout cela nous amène à penser que le travail est considérable et que, surtout, tout le monde est concerné.

Pour mener ce combat, nous avons besoin de deux choses. D'une part, un véritable examen de notre société. Je suis toujours étonné que, lorsque des professionnels ou des particuliers découvrent le phénomène de la prostitution des mineurs, ils poussent des cris d'orfraie comme si les mineurs étaient en perte de repères, alors que nous devrions nous remettre en cause nous-mêmes. En effet, les mineurs sont à l'image de la société dans laquelle ils grandissent. Lorsqu'un mineur est prêt à acheter ou à vendre un acte sexuel, nous devrions nous demander ce que nous leur avons inculqué, quels modèles et repères nous leur avons donnés pour qu'ils considèrent cela comme normal. Ce n'est pas de leur faute, mais de la nôtre, de celle de la société si ces idées ont germé dans leur esprit.

D'autre part, dans ce domaine comme dans d'autres, nous ne pouvons pas nous contenter de politiques incantatoires. Il faut des moyens financiers concrets pour la prévention, la sensibilisation, la formation, la création de structures sociales, etc. On ne peut concilier la lutte contre les violences, quelles qu'elles soient, avec une diminution constante des dépenses publiques et des moyens alloués aux services publics. Le chemin est long, mais la réunion d'aujourd'hui est une nouvelle preuve, s'il en fallait, pour nous convaincre que nous sommes sur la bonne voie. Je vous remercie.

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