Avec la procédure de législation en commission, je vous rappelle que le droit d'amendement s'exerce uniquement en commission, la séance en hémicycle, qui se déroulera le 3 juin après-midi, sera centrée sur les explications de vote et le vote sur l'ensemble du texte que nous adopterons à l'issue de nos débats.
Seuls les amendements qui auront pour objet d'assurer le respect de la Constitution ou d'opérer une coordination avec d'autres dispositions du texte, d'autres textes en cours d'examen, ou avec des textes en vigueur seront recevables.
La présente proposition de loi dite « BALAI 2 » fait suite à une première loi « BALAI » du 11 décembre 2019 qui exposait déjà les résultats de la mission de simplification législative, dite « mission BALAI », acronyme de « Bureau d'abrogation des lois anciennes inutiles », créée en janvier 2018 par le Bureau du Sénat. Cette mission tend à identifier puis à abroger les dispositions devenues obsolètes ou inutiles via des propositions de loi.
Ces deux textes poursuivent ainsi les objectifs constitutionnels de clarté, d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi. Ils permettent, en effet, de réduire le stock de normes, d'éviter tout risque de confusion avec des lois ultérieures et d'améliorer la lisibilité de notre droit.
Pour rappel, la loi « BALAI 1 » avait permis d'abroger une cinquantaine de lois adoptées entre 1819 et 1940. Notre collègue centriste nous propose aujourd'hui d'en abroger 163, qui ont été adoptées entre 1941 et 1980.
Si l'objet du présent texte est bien de diminuer le stock de lois, il convient toutefois de garantir une parfaite sécurité juridique. En effet, le droit français ne prévoit pas d'abrogation expresse par le seul écoulement du temps. Ainsi, le juge, l'administration ou les justiciables peuvent se prévaloir de textes anciens, parfois, antérieurs à la Révolution française, sous réserve de leur compatibilité avec le droit postérieur.
Le risque d'une opération « BALAI » est donc d'abroger par erreur un texte d'apparence obsolète, mais qui constituerait toujours, en réalité, la base légale d'un acte ou d'une situation actuels. Rupture dans le paiement d'une pension, nullité d'un acte, mise en oeuvre de la responsabilité de l'État du fait des lois, adoption d'une loi de validation..., les conséquences d'une abrogation accidentelle pourraient être particulièrement lourdes et préjudiciables.
C'est la raison pour laquelle nous avons travaillé de concert avec les services du ministère de la transformation et de la fonction publiques et la direction des affaires juridiques de Bercy, chargée de coordonner les travaux avec les différents ministères, avec la plus grande rigueur et la plus grande prudence pour examiner les mesures d'abrogation prévues par cette proposition de loi, le doute conduisant toujours à renoncer à l'abrogation d'un texte en cas d'incertitude sur ses conséquences juridiques concrètes.
Nous nous sommes appuyés sur l'avis du Conseil d'État, rendu le 11 février 2021, pour examiner dans le détail les 163 lois mentionnées dans la proposition de loi. Nous avons passé au crible chaque article, chaque alinéa, afin de s'assurer que l'abrogation proposée ne se heurte à aucun obstacle juridique et qu'elle ne soulève pas d'objection en termes de bonne législation. In fine, cela me conduit à vous proposer, avec l'accord bien entendu de notre collègue Vincent Delahaye, d'écarter 49 des 163 lois dont la proposition de loi proposait l'abrogation. Ce nombre peut sembler important, mais il doit être regardé à la lueur de l'extrême prudence qui a guidé nos travaux.
Ces retraits ont été motivés par quatre motifs qui se sont parfois cumulés.
Premier motif, certaines lois sont toujours utilisées ou pourraient l'être. Je vous propose naturellement d'écarter les lois dont les conséquences de l'abrogation seraient dommageables ou risquées dès lors que leurs dispositions produisent toujours des effets de manière certaine ou sont toujours susceptibles de fournir une base légale à des situations ou des actes. Par exemple, je suggère de ne pas abroger la loi du 27 décembre 1975 portant réforme du régime d'indemnisation des sapeurs-pompiers communaux non professionnels victimes d'un accident survenu ou d'une maladie contractée en service commandé puisque cette loi constitue encore le fondement légal du versement de la pension de vingt-deux anciens sapeurs-pompiers.
Parmi les textes qui ne sont pas nécessairement utilisés, mais qui pourraient toujours se révéler utiles, je vous invite à conserver la loi n° 78-727 du 11 juillet 1978 de programme sur les musées, dont l'article 3 prévoit, au bénéfice du Parlement, des pouvoirs de contrôle spécifiques relatifs au musée d'Orsay.
Deuxième motif, l'abrogation de certaines lois nuirait à l'intelligibilité du droit en vigueur.
Certaines lois comportent des articles ayant introduit ou modifié des dispositions toujours en vigueur au sein d'un code ou d'une autre loi. Quel effet juridique pourrait avoir l'abrogation d'une disposition introductrice ou modificatrice ? Comment pourrait être interprétée cette abrogation par le public ?
À ce sujet, l'avis du Conseil d'État est éclairant puisqu'il indique qu'une disposition « A » qui introduit, modifie ou abroge une disposition « B » épuise ses effets dès son entrée en vigueur. En conséquence, l'abrogation ultérieure de la disposition « A » est sans effet sur la disposition « B ». Ainsi, l'abrogation d'une loi procédant elle-même à une abrogation n'a pas pour effet de rétablir la loi initiale : « abrogation sur abrogation ne vaut. »
Si cet adage juridique est bien admis, il n'en va pas de même pour les autres solutions auxquelles ce raisonnement aboutit. Beaucoup ne sont pas instinctives et risquent de créer de la confusion là où la présente proposition de loi cherche, au contraire, à introduire de la lisibilité.
Par exemple, à la question « que se passe-t-il si l'on abroge la loi du 28 décembre 1977 qui a créé l'article 112 du code civil ? », certains juristes, praticiens ou « simples » citoyens répondront que l'article 112 est abrogé, d'autres que cet article est toujours en vigueur. Afin d'éviter que cette question ne se pose et qu'il revienne, le cas échéant, au juge d'y répondre à l'occasion d'un contentieux, en accord avec le Gouvernement, je vous propose de ne pas abroger les lois ayant introduit ou modifié des dispositions toujours en vigueur afin de garantir l'intelligibilité du droit positif.
Troisième motif, l'abrogation ne doit pas introduire de risques « par ricochet ». En effet, des renvois au sein d'autres textes ont pu être établis par le législateur et il est parfois difficile de mesurer la conséquence de l'abrogation d'une disposition à laquelle un autre article fait référence.
Aussi, afin d'évaluer les problèmes de coordination que pourraient induire les abrogations proposées, nos travaux ont porté sur la recherche de ces renvois, ceux-ci étant particulièrement difficiles à détecter pour les textes anciens. Lorsque les renvois détectés se sont avérés caducs ou sans risque, il n'y a pas de difficulté pour accepter l'abrogation proposée. À l'inverse, lorsque le problème de coordination soulevé s'est montré complexe ou incertain, il me paraît prudent de maintenir en vigueur la loi en cause. Un prochain texte « BALAI 3 ou 4 » pourrait peut-être aller au bout de la démarche, avec un peu plus de temps.
Enfin, je propose de ne pas accepter l'abrogation de certaines lois pour d'autres motifs plus ponctuels.
À l'instar de notre collègue Nathalie Delattre, rapporteurs de la proposition de loi « BALAI 1 », je souhaite maintenir en vigueur certains textes pour des motifs symboliques. C'est notamment le cas de la loi du 20 mars 1948 permettant aux femmes l'accession à diverses professions d'auxiliaires de justice, de la loi du 3 juillet 1971 qui permet la libre installation des médecins ou de la loi du 31 décembre 1975 relative à la sécurité sociale des artistes auteurs d'oeuvres littéraires et dramatiques, musicales et chorégraphiques, audiovisuelles et cinématographiques, graphiques et plastiques.
Pour d'autres lois contenant des dispositions aujourd'hui de niveau organique, il conviendrait d'envisager un autre support législatif, par exemple la loi du 11 avril 1946 ayant pour objet de permettre aux femmes d'accéder à la magistrature.
Enfin, le Conseil d'État a précisé que le législateur national n'est plus compétent pour abroger des lois qui comportaient certaines dispositions applicables outre-mer. Il en est ainsi pour la loi n° 78-627 du 10 juin 1978 modifiant diverses dispositions du code civil relatives à l'indivision.
Ainsi, pour ces différentes raisons, je vous propose de modifier la proposition de loi par six amendements, qui visent à supprimer 49 lois de la liste des abrogations prévues par cette proposition de loi « BALAI 2 ».
Pour terminer, suivant l'avis du Conseil d'État, je vous soumets également un septième amendement qui vient compléter l'abrogation de la loi du 30 mai 1972 relative au contentieux des dommages de guerre par l'abrogation conjointe de la loi du 9 avril 1952 qui modifie des articles de la loi du 28 octobre 1946 sur les dommages de guerre.
Madame la ministre, je souhaite souligner la qualité de la collaboration avec les agents de vos services et ceux de la direction des affaires juridiques de Bercy. Dans un laps de temps très contraint, nos administrateurs respectifs ont réalisé un travail important et particulièrement méticuleux, je tiens à les en remercier.
Pour conclure, je remercie également notre collègue Vincent Delahaye de son implication au sein de la mission de simplification législative afin de faire la chasse « aux fossiles » législatifs, ainsi que pour sa bienveillante compréhension de notre méthode de travail prudente qui, in fine, permet de conserver 70 % des abrogations initialement prévues.