Intervention de Amélie de Montchalin

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 25 mai 2021 à 9h00
Proposition de loi tendant à abroger des lois obsolètes pour une meilleure lisibilité du droit — Procédure de législation en commission - examen du rapport et du texte proposé par la commission

Amélie de Montchalin, ministre de la transformation et de la fonction publiques :

C'est pour moi un réel honneur d'être devant vous aujourd'hui pour l'examen de cette nouvelle proposition de loi tendant à améliorer la lisibilité du droit par l'abrogation des lois obsolètes. Je vous remercie de l'ampleur et de la qualité du travail mené, mais aussi de cette initiative. Il s'agit d'une démarche qui dépasse les clivages, et concrétise l'engagement partagé entre le législateur et l'exécutif de simplifier notre droit.

Après la première proposition de loi du genre, vous nous proposez aujourd'hui l'abrogation de plus de 160 textes obsolètes sur une période allant de 1940 à 1980. Les chiffres disent à eux seuls l'ampleur du travail réalisé par la mission lancée par le Sénat et l'aggravation de l'inflation normative. Ce droit, que nul n'est censé ignorer, est devenu pléthorique : jamais le nombre d'articles de droit consolidé en vigueur n'a été aussi élevé.

Comment un usager, un chef d'entreprise, un citoyen peut-il lire et comprendre un tel corpus ? C'est une vraie question dont l'enjeu est certes économique, mais également social et démocratique. Il est donc important de veiller collectivement à la qualité et à l'applicabilité du droit.

Le Gouvernement, lui aussi, prend toute sa part dans cette entreprise de simplification normative, comme je l'ai rappelé le 15 avril dernier devant la délégation aux collectivités territoriales de votre assemblée, en précisant les enjeux, mais aussi les actions très concrètes que nous menons.

Depuis 2017, nous avons imposé que la création d'une norme réglementaire autonome s'accompagne systématiquement de l'abrogation de deux normes de même niveau. Nous avons également réduit drastiquement le nombre de circulaires publiées, à la fois en flux et en stock, soit une baisse de 30 % depuis 2017.

Par ailleurs, nous avons supprimé quatre-vingt-cinq comités consultatifs, dits « Théodule », notamment grâce à votre soutien dans un certain nombre de textes législatifs. Le résultat est là : jamais le nombre de pages publiées sur Légifrance n'a été aussi bas.

S'agissant des projets de loi que nous avons portés, ils comportent dans leurs contenus mêmes un objectif de simplification. Je pense au projet de loi dit « 4D » - décentralisation, différenciation, déconcentration et décomplexification -, mais également à la loi pour un État au service d'une société de confiance (Essoc), à la loi relative à la croissance et la transformation des entreprises (Pacte) et à la loi d'accélération et simplification de l'action publique (ASAP).

Comme l'a souligné le Président de la République lors de son intervention dans le cadre de la Convention managériale de l'État le 8 avril dernier, cette complexité doit être vue comme une source d'injustice. Elle pénalise avant tout ceux qui ne peuvent pas se permettre de recourir à l'appui de conseils, en particulier les petites associations ou les TPE-PME. De manière générale, ce chantier de simplification que nous mettons en oeuvre vise bien, dans son ensemble, à transformer notre action publique afin de la rendre plus efficace. Cette efficacité implique de la proximité, de l'accessibilité et de la bienveillance des services publics, afin que chacun puisse accéder aux droits que la loi lui ouvre.

J'ai pu ainsi, à la tête de mon ministère, impulser des chantiers qui, à mon sens, sont beaucoup plus porteurs de simplification que des lois, des plans ou des feuilles de route. D'abord en établissant un baromètre partagé des résultats de l'action publique par département. Un suivi, remis à jour tous les trimestres, est disponible sur le site internet du Gouvernement : cela donne matière à la fonction d'évaluation inscrite dans la Constitution comme étant la prérogative première des parlementaires.

La deuxième action que nous menons résolument est de déconcentrer les moyens et les pouvoirs de décision au plus proche du terrain. Nous voulons accroître les possibilités de différenciation et d'expérimentation sans passer par la réécriture du droit. Il s'agit également de renforcer la culture du guichet et du service auprès des usagers, l'enjeu étant que les usagers trouvent une réponse à leurs difficultés et non pas seulement des textes à lire. Nous souhaitons aussi relancer le dispositif France Expérimentation, qui permet à tout projet économique ou social innovant de solliciter une dérogation à une règle de droit devenue inadaptée aux enjeux d'aujourd'hui. Il s'agira, là aussi, d'une disposition forte de la loi 4D.

C'est également l'un des objectifs d'une réforme de l'encadrement supérieur de l'État qui doit réellement rapprocher nos cadres supérieurs des réalités de terrain et des enjeux de nos concitoyens au quotidien, passant ainsi d'une culture de la norme à une culture de la mise en oeuvre.

Je tiens donc, dans ce contexte, à saluer la méthode rigoureuse et l'esprit constructif qui ont guidé vos travaux, en bonne intelligence avec le Gouvernement. Le Gouvernement soutiendra donc un grand nombre de vos propositions d'abrogation. Le droit doit rester vivant. Si ces lois encadrent les dommages de guerre, le travail des personnels des journaux quotidiens, les statuts spécifiques aux colonies et ouvrent la possibilité pour les femmes de devenir magistrats, elles nous disent aussi une part de notre histoire et montrent les progrès accomplis depuis : nous devons nous en féliciter !

Toutefois, comme l'a souligné la rapporteure, la sécurité juridique nous impose d'être prudents. Nous avons ainsi fait le choix d'appliquer systématiquement la règle selon laquelle, en cas de doute, il était préférable, à ce stade, de renoncer à certaines abrogations. C'est pourquoi le Gouvernement sera favorable aux amendements visant à conserver des textes, soit parce qu'ils ont une portée symbolique qui rend leur survie importante, soit parce qu'ils sont encore susceptibles d'avoir des effets en droit positif, soit parce qu'ils sont cités en référence par des dispositions actuellement en vigueur.

Si le nombre de textes à maintenir peut sembler important au regard du contenu de la proposition de loi initiale, il faut soutenir la démarche de prudence et encourager l'idée que ces abrogations, si elles sont supprimées aujourd'hui, pourront être réexaminées dans un exercice ultérieur.

Dans ce contexte et sous réserve de l'adoption des amendements de la commission, le Gouvernement sera favorable à l'adoption de cette proposition de loi qui trouve pleinement sa place dans l'action que nous menons résolument pour une plus grande clarté et une plus grande efficacité de l'action publique au service de nos concitoyens.

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