Intervention de Jean-Pierre Viola

Commission des affaires sociales — Réunion du 27 mai 2021 à 10h00
Audition de Mm. Jean-Pierre Viola président de section et jean-luc fulachier rapporteur général sur les rapports de la cour des comptes relatifs à la certification des comptes du régime général de sécurité sociale et du conseil de la protection sociale des travailleurs indépendants cpsti

Jean-Pierre Viola, président de section à la Cour des comptes :

Merci de nous accueillir pour vous présenter les résultats de notre rapport sur la certification des comptes du régime général de sécurité sociale et du conseil de la protection sociale des travailleurs indépendants (CPSTI).

Il convient d'abord de distinguer les principaux enjeux liés à l'audit : l'exhaustivité et l'exactitude de la prise en compte, dans la comptabilité générale, des informations issues de la production des prélèvements sociaux et des prestations sociales ; la correcte représentation, dans la comptabilité des entités de sécurité sociale, de leurs droits et obligations à l'égard de tiers, ce qui implique d'examiner la fréquence et l'impact financier des erreurs qui affectent les opérations effectuées et comptabilisées, malgré les dispositifs de contrôle interne ; la conformité des écritures aux principes comptables généraux, la pertinence et la permanence des méthodes, l'exhaustivité du recensement des passifs et le caractère raisonnable des enregistrements comptables qui résultent d'une estimation ; l'appréciation de la qualité de l'information financière procurée par les états financiers, y compris les annexes aux comptes.

Ces enjeux sont appréciés en fonction de critères d'audit et de l'examen de l'efficacité du contrôle interne, notamment par le biais d'indicateurs de risque financier résiduel, après contrôle interne - cette démarche est indispensable, car chaque opération comptabilisée représente une part infime des états financiers.

En 2020, le déficit du régime général a atteint 36,2 milliards d'euros. En ajoutant le solde du fonds de solidarité vieillesse, le déficit s'est établi à 38,7 milliards d'euros, niveau inédit, plus élevé qu'en 2010. Le déficit de la branche maladie a atteint 30,4 milliards d'euros, contre 1,5 milliard d'euros en 2019, et celui de la branche vieillesse s'établit à 3,7 milliards d'euros. Ce dernier est atténué par le versement, par le fonds de réserve pour les retraites, de la soulte de 5 milliards d'euros en provenance du régime des industries électriques et gazières, dont il assurait jusque-là la gestion. Le déficit de la branche maladie s'explique notamment par un déficit de recettes - des cotisations sociales, de la CSG, des impôts et taxes affectés comme la TVA - et par des mesures exceptionnelles liées à la crise sanitaire.

L'exercice 2020 est marqué par les impacts de la crise sanitaire. Les organismes de sécurité sociale ont continué, il faut le souligner, à exercer leurs missions pendant la crise, malgré les confinements, la mise en place du télétravail et les bouleversements économiques et sociaux. Les organismes ont aussi eu à assurer de nouvelles missions ou la gestion de nouveaux dispositifs. Je pense ainsi, pour l'activité de recouvrement, à la faculté générale de report du paiement des prélèvements sociaux pour les employeurs de salariés, à des mesures spéciales en faveur des travailleurs indépendants, ou à la suspension de tout le processus de recouvrement amiable et forcé. Pour la branche maladie, je pourrais évoquer le maintien des droits aux prestations, la distribution d'aides exceptionnelles aux établissements de santé et médico-sociaux et aux professionnels de ville, ou les indemnités journalières dérogatoires.

La priorité a été donnée en 2020 à la production, ce qui est compréhensible vu le contexte, mais cela s'est accompagné d'allègements significatifs des dispositifs de contrôle et d'audit, et, de ce fait, d'une réduction du niveau d'assurance apporté par le contrôle interne sur la fiabilité des comptes, et nos opinons s'en ressentent. Pour l'activité de recouvrement, on peut ainsi noter un allégement des plans de contrôle, l'absence de contrôle ou des contrôles insuffisants sur un certain nombre de risques apparus lors de la crise, ainsi que la réduction de l'ampleur des audits internes. Dans la branche maladie, les contrôles existants ont aussi été allégés, tandis que l'on peut noter l'absence ou la faiblesse des contrôles au cours de l'exercice sur les nouveaux dispositifs. En ce qui concerne la branche famille, le point essentiel a été une réduction des contrôles sur place auprès des allocataires - contrôles qui ont le rendement financier unitaire le plus important -, des redéploiements des contrôles sur pièces, ainsi que la suspension de l'estimation de la fraude. La branche vieillesse a été la moins touchée par la crise.

Les positions de la Cour se sont sensiblement dégradées par rapport à l'exercice précédent, puisque nous constatons une impossibilité de certifier les comptes de l'activité de recouvrement, alors que les comptes de 2019 avaient été certifiés, certes avec quatre réserves. Nous certifions les comptes des branches de prestations, mais avec un nombre de réserves sensiblement plus élevé qu'en 2019 - 22 au lieu de 16. Cela est dû à une forte hausse des constats d'audit par rapport à l'exercice 2019.

Notre impossibilité de certifier les comptes de la branche recouvrement est liée à des incertitudes majeures et à des désaccords en raison de facteurs exceptionnels dus à la crise sanitaire ou à ses conséquences. Ces incertitudes majeures concernent d'abord le produit des prélèvements sociaux des travailleurs indépendants. Il y a selon nous un risque d'insuffisance, car ces produits n'intègrent que 6 mois ou 2 trimestres de prélèvement du fait des modalités particulières d'appel de 2020 - je souligne que ces modalités particulières d'appel n'ont pas une base juridique suffisante, car elles sont fondées uniquement sur une simple circulaire ministérielle.

On a aussi des incertitudes concernant les dépréciations de créances. Les créances qui peuvent être constatées fin 2020 diffèrent sensiblement des exercices précédents : leur montant est beaucoup plus important, mais les perspectives de recouvrement sont meilleures, parce que d'habitude les créances en fin d'exercice sur les cotisants correspondent à des mauvais payeurs ou à des situations de redressement ou de liquidation judiciaire. Là, c'est différent : les entreprises ont bénéficié d'une faculté générale de report de paiement des prélèvements sociaux. Il était donc justifié que l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale, l'Acoss, procède à une dépréciation de créances ; toutefois, la méthode ad hoc, qui a été appliquée, n'a pas concerné la totalité des créances nées en 2020, et ce sans justification suffisante, tandis que les taux de dépréciation retenus ne sont pas assez justifiés. Enfin, les employeurs de salariés frappés par les mesures administratives de fermeture ont bénéficié d'exonérations et d'aides spécifiques ; or, nous constatons que les produits comptabilisés à ce titre ne sont pas exhaustifs.

Un certain nombre de dispositifs de contrôle interne ont été suspendus, réduits ou reportés. Ces dispositifs de contrôle interne présentaient déjà, avant la crise, un certain nombre de faiblesses qui affectaient l'exhaustivité de la collecte des prélèvements sociaux ; ces faiblesses ont été sensiblement accrues en 2020 et leurs conséquences n'ont pu être mesurées. En effet, dans la mesure où l'activité de recouvrement ne dispose pas d'indicateur synthétique de mesure des risques financiers résiduels, la portée des allègements des contrôles ne peut être correctement appréciée.

Les branches maladie et accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP) ont été marquées par de nombreuses mesures nouvelles, en faveur des assurés, mais aussi des acteurs du système de santé - établissements de santé ou médico-sociaux, professionnels conventionnés de villes. Là aussi, les répercussions de la crise sanitaire et des mesures nouvelles sont venues s'ajouter à des faiblesses structurelles du dispositif de contrôle interne, que nous avions déjà décrites, à plusieurs reprises, dans nos rapports de certification ou dans une communication que nous avons faite à la demande de votre commission sur la fraude aux prestations sociales, dans laquelle nous avions souligné que les possibilités de fraudes à l'assurance maladie étaient sensiblement accrues par les faiblesses du contrôle interne.

Sauf exception, la Caisse nationale de l'assurance maladie (CNAM) n'a pas évalué les impacts financiers des nouveaux risques. De manière générale, elle ne mesure pas certains risques financiers ou les évalue de manière très partielle. On peut noter un progrès, mais en demi-teinte : la CNAM, suivant une recommandation de la Cour, a corrigé sa mesure des risques financiers pouvant le plus aisément être appréhendés sur les facturations qu'elle reçoit des professionnels de santé et des établissements de santé privés à caractère lucratif. Le montant des erreurs, essentiellement au détriment de l'assurance maladie, atteint désormais 2 milliards d'euros, au lieu de 1 milliard comme en 2019, avant cette correction. Ce montant n'a pas un caractère exhaustif, car il n'intègre pas les erreurs de facturation qui concernent les séjours facturés par les établissements publics ou privés non lucratifs de santé, les assurés en surnombre, et la fraude. Ces erreurs peuvent masquer la facturation d'actes qui n'ont pas été réalisés ou qui ne correspondent pas à la facturation effectuée. Les indicateurs de risques financiers résiduels sont donc à considérer comme des valeurs seuils et non comme des valeurs centrales.

Par ailleurs, les éléments de justification des comptes produits par la CNAM ont une densité et une qualité souvent insuffisantes, notamment par comparaison avec les autres branches du régime général. Nous émettons donc deux réserves sur l'individualisation des constats relatifs aux droits des assurés et sur les impacts de l'opinion sur les comptes du recouvrement.

En ce qui concerne la branche famille, nous constatons, là aussi, un allégement du dispositif de contrôle interne et une dégradation des indicateurs qui mesurent les risques financiers résiduels. Si ces indicateurs fournissent des références globalement pertinentes pour apprécier les risques financiers finaux de cette branche, ils se dégradent année après année, sous l'effet de l'allégement du contrôle interne et en raison d'un effet de structure dans la composition des prestations que verse la branche famille : les prestations familiales proprement dites, celles qui sont enregistrées au compte de résultat de la branche, comportent relativement moins d'erreurs que les prestations qui sont versées pour le compte de l'État et des départements (RSA, prime d'activité, aide au logement, etc.) ; or la part relative de ces dernières augmente, en raison notamment de l'élargissement des possibilités de recours à la prime d'activité et de l'augmentation des dépenses liées au RSA ; cela a mécaniquement un impact direct sur l'évolution des risques financiers résiduels. Il faut noter aussi que notre constat repose sur un recul de 9 mois ; on ne pourra porter une appréciation finale sur le montant définitif des erreurs qu'à la fin de l'année prochaine, à l'issue du délai de prescription. Il est à craindre qu'il s'accroisse. Un chantier structurel est en cours, qui vise à l'utilisation des données du dispositif de ressources mutualisées, qui est mis en place pour permettre le calcul des aides au logement en fonction des revenus contemporains. La branche famille a l'ambition, avec le soutien du ministère, d'utiliser ces données pour calculer la prime d'activité ou le RSA.

J'en viens à la branche vieillesse, branche dont le fonctionnement habituel a été le moins perturbé par la crise sanitaire. Malheureusement, nous observons la poursuite, certes à un rythme plus lent que lors des exercices précédents, des erreurs qui affectent les prestations versées par la branche. Ces erreurs peuvent être en faveur ou au détriment des assurés ; elles sont essentiellement liées à des opérations internes aux caisses de retraite, à la différence des branches famille ou maladie, dans lesquelles les erreurs sont principalement liées à des erreurs affectant les données déclarées ou facturées par les bénéficiaires des prestations. Sur ce plan, la situation n'a cessé de se dégrader depuis 2016, année depuis laquelle nous disposons d'éléments d'une fiabilité suffisante pour apprécier le niveau et l'impact financier des erreurs. La plupart des prestations de retraite n'étant pas ultérieurement révisées, il en résulte que les erreurs en faveur ou au détriment des assurés auront des conséquences financières pendant toute la durée de versement de ces prestations, jusqu'au décès des assurés. Nous estimons à 1,6 milliard d'euros le montant cumulatif d'erreurs sur la durée de vie des nouveaux retraités, et ce montant, évidemment, s'accroît dans la mesure où les erreurs elles-mêmes s'accroissent. Elles peuvent porter sur la date d'entrée en jouissance des droits à retraite, mais aussi sur le montant des prestations versées.

Depuis cette année, la CNAV assure directement la gestion des droits à retraite des travailleurs indépendants. Nous avons donc étudié la question de l'adéquation des droits avec les cotisations versées par les travailleurs indépendants, puisque normalement ces droits sont fonction des cotisations. Mais nous n'avons pas pu recueillir ou établir des éléments suffisants permettant de garantir cette adéquation ; cela ne veut pas dire que toutes les prestations de retraite sont fausses, mais que nous n'avons pas été en mesure de déterminer l'importance des écarts et leurs conséquences financières. Quant aux mesures existantes de la portée financière des erreurs de liquidation, leur fiabilité et leur périmètre nous semblent incomplets. Là aussi, nous avons émis deux réserves sur les impacts de l'opinion sur les compte du recouvrement, et sur l'individualisation des constats relatifs aux erreurs définitives.

J'en viens enfin aux comptes du CPSTI. Notre appréciation est tributaire de celle que nous pouvons porter sur les comptes du recouvrement. Nous avons des réserves sur les modalités d'appel des prélèvements sociaux en 2020 et leurs impacts sur la physionomie des produits de l'exercice, sur les dépréciations de créances, ainsi que sur l'absence d'exhaustivité du recensement des réductions forfaitaires de cotisations sociales pour les travailleurs indépendants. Nous estimons que les produits du CPSTI n'ont pas un caractère exhaustif et sont sans doute assez éloignés des produits qui se rattachent en fait à l'exercice 2020. Dans ces conditions, évidemment, le déficit du CPSTI s'en trouve majoré, de notre point de vue, par rapport à ce qu'il devrait être. Par ailleurs, 2020 est une année de transition, puisque c'est la première année où l'ensemble des missions relevant du CPSTI sont gérées par les branches du régime général ; nous estimons que les dispositifs de contrôle interne ne procurent pas une assurance suffisante sur la maîtrise des principaux risques de portée financière. Enfin, en ce qui concerne les retraites complémentaires gérées par la CNAV pour le compte du CPSTI, on manque d'éléments d'assurance sur l'adéquation entre les cotisations versées et les droits à retraite liquidés.

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