Intervention de François Bayrou

Délégation sénatoriale à la prospective — Réunion du 20 mai 2021 à 8h40
Audition de M. François Bayrou haut-commissaire au plan

François Bayrou, Haut-Commissaire au Plan :

Tout à fait ! Dans un monde qui compte 8 millions de chômeurs, on ne peut considérer que la bataille est perdue. Les amis de mes enfants qui travaillent dans le BTP sont parmi les plus épanouis et les mieux traités financièrement. Si tel n'est pas le cas, des évolutions s'imposeront. Le seul domaine où la lutte est inutile est celui des ressources physiques, car nous ne disposons pas à ma connaissance de terres rares dans les montagnes des Pyrénées, et l'impact minier serait dissuasif. Pour la conception, la recherche, la technologie et la production, rien n'est perdu, à condition qu'on livre la bataille. Or la tendance générale est de baisser les bras. Ce n'est pas ma vision des choses.

Je suis d'accord avec Julien Bargeton : je trouve scandaleux que, en nous interdisant le vote par correspondance, on nous maintienne volontairement dans une situation quasi médiévale ; 100 millions d'Américains viennent de voter par correspondance, nos voisins ont tous recours à cette technique, les associations votent électroniquement, mais les autorités politiques de notre pays nous disent que ce n'est pas possible, opposant des risques de fraudes sur le vote par correspondance d'il y a trente ou quarante ans ... Or les choses ont changé, on se moque de nous, c'est irrespectueux et irresponsable. Il faut élargir nos processus démocratiques, en utilisant davantage le référendum, je me mobilise en particulier pour le mode de scrutin : les Français ont le droit de se prononcer sur ce sujet. Bien des questions sociétales peuvent être tranchées par des référendums « à la Suisse », dans lesquelles l'exécutif n'engage pas sa survie. Je suis moins enthousiaste sur les conventions citoyennes, car je considère que le tirage au sort est une régression - la démocratie est une organisation sociale qui porte au plus haut la conscience et la responsabilité, comme l'a dit Marc Sangnier, ce n'est pas le cas avec le tirage au sort. Et il faut prendre en compte des biais, par exemple dans le choix des experts à même d'influencer les tirés au sort.

Oui, il y a une question sur le temps d'écran. Vous avez certainement remarqué que les grands promoteurs des réseaux sociaux en privent leurs enfants, par exemple dans les écoles qu'ils ont créées et où la règle est d'interdire les écrans. Devant l'écran, on est passif, alors que l'apprentissage requiert d'être actif. En tout état de cause, je ne crois pas que la numérisation puisse répondre aux problèmes de l'éducation nationale.

Sur la question récurrente des lits à l'hôpital, il faut considérer l'évolution même des pratiques médicales, le fait que le temps passé à l'hôpital se réduit - les femmes y passaient six ou sept jours après leur accouchement, contre deux ou trois actuellement. Voyez les lits de réanimation, il faut peut-être moins raisonner à partir de chiffres fixes que trouver des solutions avec des lits « armables », avec des unités d'oxygénation mobiles, pour faire face aux besoins qui peuvent varier fortement.

La politique est-elle l'ennemie de la prospective ? Ce qu'on peut dire, c'est qu'il est plus difficile de faire de la prospective en temps de démocratie médiatique et que la pression de l'instantané est telle qu'il est bon que des instances indépendantes rappellent certains faits et tâchent de définir des stratégies à plus long terme.

Madame Vermeillet, y a-t-il des menaces repérables à partir de déséquilibres internationaux ? Oui, le fait que la Chine risque de perdre la moitié de sa population dans les années qui viennent est un prisme de déséquilibre. Et ce n'est pas l'explosion démographique continue dans le grand croissant Afghanistan/Moyen-Orient/Afrique qui va arranger la situation. Pendant ce temps, la population des régions développées s'effondre : l'Allemagne et l'Italie pourraient perdre d'ici à quelques dizaines d'années la moitié de leur population. L'Europe représentera 5 % de la population mondiale, et la France 0,6 %. Cette situation entraînera des tensions qu'il sera très difficile de maîtriser, à moins de réaliser des investissements militaires très importants. Or l'essentiel des crises réside dans les déséquilibres. C'est la raison pour laquelle la France doit absolument se fixer comme objectif de maintenir un dynamisme démographique suffisant.

De plus, l'Occident doit impérativement se doter d'une stratégie en matière de développement des régions marquées par la pauvreté, afin d'aider ces dernières à avoir leurs propres outils de production et leur part du commerce mondial. Sinon, nous subirons des vagues migratoires, avec des bébés qui meurent dans l'eau... Et les problèmes se résoudront non pas seulement par des crédits, mais par une conception différente de l'équilibre des facteurs de production. Au lieu de donner du poisson, apprenons à pêcher. Tous les pays développés sont d'une légèreté condamnable sur ce sujet en laissant les facteurs de production et la main d'oeuvre se déplacer. Il est impératif de conduire cette révolution stratégique pour parvenir à un nouvel équilibre mondial.

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