Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi que je présente au nom du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires comprend une mesure immédiate de lutte contre l’aggravation de la pauvreté résultant de la crise sanitaire, ainsi que son financement solidaire.
Le constat social est sans appel et s’aggrave de jour en jour : selon les associations nationales de solidarité du collectif Alerte, un million de personnes, qui s’ajoutent aux plus de 9 millions de personnes recensées avant la crise sanitaire, auraient basculé dans la pauvreté en 2020, et des centaines de milliers dans la grande pauvreté.
Bien avant que les statistiques de l’Insee ne mesurent le recul du niveau de vie des plus précaires, ces acteurs, au plus près du terrain, alertaient sur la dégradation de la situation sociale au travers d’indicateurs probants : explosion du recours à l’aide alimentaire et arrivée massive de nouveaux publics, dont des jeunes, des étudiants et des indépendants.
Quant aux départements, ils enregistraient une augmentation rapide des demandes d’allocation du revenu de solidarité active, le RSA, et des aides personnelles au logement, les APL.
C’est à ce contexte plus qu’alarmant que nous souhaitons apporter une première réponse.
Le retour du creusement des inégalités a certes précédé la crise et trouve sa source dans les mesures fiscales ou de dérégulation que nous avons dénoncées en leur temps et auxquelles nous continuerons d’apporter des réponses structurelles dans de prochaines propositions de loi, afin de renouer avec le progrès social. Mais, pour les plus vulnérables, le surcroît de difficultés dans ce contexte de pandémie est dû à l’insuffisance des mesures d’accompagnement gouvernementales.
Privés d’actions publiques fortes de soutien, ces ménages sont passés en quelques mois d’une situation plus que fragile à une situation dans laquelle ils ne parvenaient plus du tout à faire face à leurs besoins fondamentaux, voire vitaux.
C’est ce constat partagé par les acteurs de la lutte contre la pauvreté et contre l’exclusion qui nous invite à adopter sans attendre des mesures d’urgence propres à la situation de crise et qui nous conduit à formuler cette proposition d’une aide forfaitaire mensuelle, ciblée sur le public le plus défavorisé, rapidement opérationnelle et automatisable.
Nous avons alors délimité le périmètre le plus pertinent d’application de la mesure.
La capacité à faire face à la situation de crise, notamment de confinement, s’est révélée dans le mouvement de croissance du patrimoine financier net dû à l’épargne supplémentaire, c’est-à-dire le surcroît d’épargne par rapport à la trajectoire normale en 2020 et à celle qui était prévue en 2021.
Les ménages situés en bas de l’échelle de distribution des revenus ont été les plus frappés par la baisse des revenus, en raison notamment de leur situation de précarité.
Sans grande surprise, sur près de 200 milliards d’euros d’épargne supplémentaire, la Banque de France et différents organismes d’analyse convergent pour estimer que les 20 % de ménages aux revenus les plus faibles ont désépargné ou se sont endettés à hauteur de 2 milliards d’euros pour la seule première période de confinement. Inversement, quelque 70 % de l’épargne supplémentaire étaient concentrés chez les 20 % de ménages aux plus hauts revenus.
Par ailleurs, la Fondation Abbé Pierre, qui a analysé les arbitrages de dépenses des ménages pauvres lors de la crise financière de 2008, nous enseigne que, en cas de baisse de ressources, comme aujourd’hui, ces ménages privilégient le paiement du loyer, ce qui augmente le taux d’effort. Face à la baisse du reste à vivre, réduit à une poignée d’euros par jour et par personne – on parle de 9 euros –, ils rationnent les autres dépenses, alimentaires et de soins notamment. Les impayés de loyer surviennent plus tard, quand la baisse des ressources perdure et que l’épargne est épuisée.
Dès lors, pour définir le périmètre le plus pertinent et le plus prioritaire, nous avons retenu le public allocataire des APL, dont 40 % vivent sous le seuil de pauvreté, la mesure prenant la forme d’un complément forfaitaire aux APL facilement mobilisable.
En effet, autre constat, 50 % des allocataires des APL appartiennent aux 20 % des ménages au niveau de vie le plus bas, et 90 % de ces allocataires aux 30 % de ménages les plus pauvres : ce sont bien ces ménages que nous visons en priorité avec cette mesure.
De plus, rappelons que ces allocations ont diminué depuis 2017, ce qui a contribué à faire baisser le pouvoir d’achat : baisse forfaitaire de 5 euros, désindexation et contemporanéisation. La moitié des économies budgétaires induites par ces réformes ayant été réalisée sur le dos des 20 % les plus pauvres, la moitié de notre aide d’urgence ira également vers la même population et le reste sur les déciles proches.
Enfin, de toutes les prestations, ce sont les APL qui ont le plus fort impact social et l’effet redistributif le plus puissant : elles réduisent de près de 8 points l’intensité de la pauvreté.
Si les APL sont le support, c’est parce qu’elles délimitent le public prioritaire dans le cadre d’une mesure d’urgence de soutien au pouvoir d’achat à destination des plus touchés par la crise. Nous vous proposons donc de voter l’article 1er, qui prévoit une aide exceptionnelle de solidarité de 100 euros par mois à compter de la promulgation de la loi et jusqu’à trois mois après la fin de l’état d’urgence.
Concernant la compensation financière de cette dépense étatique, nous proposons de décaler d’un an, comme cela s’est déjà produit, le dispositif de la deuxième tranche d’exonération de la taxe d’habitation des 20 % de ménages les plus aisés, ce qui permet à l’État de conserver 2, 62 milliards d’euros de ressources en 2022.
Tout comme les aides, la ressource qui les finance présente un caractère ponctuel. Mais l’idée est bien de décaler une réforme aux effets antiredistributifs massifs et inopportuns, puisque cette dernière alloue un gain de pouvoir d’achat aux ménages les plus aisés, dans un contexte où ceux-ci ont constitué des niveaux inégalés d’épargne en un temps très court.
Notons en effet que le gain attendu de pouvoir d’achat à terme de cette réforme de la taxe d’habitation, soit près de 18 milliards d’euros, sera concentré pour 45 % au profit des 20 % des ménages les plus favorisés, les 80 % déjà exonérés – soit quatre fois plus – se partageant les 55 % restants.
Ce cadeau fiscal, qui a le même effet qu’une dépense sur l’équilibre budgétaire de l’État et qui a été justifié au nom d’un principe d’égalité désincarné, se révèle de fait particulièrement inéquitable.
Il ne s’agit cependant pas de revenir sur cette baisse initialement pensée pour les classes moyennes, dès à présent exonérées, mais de la décaler d’un an, dans le contexte exceptionnel de la crise, afin de préserver des marges de manœuvre financières à l’État pour assurer plus fortement son rôle de protection des plus vulnérables. C’est l’objet de l’article 2.
Mes chers collègues, l’accroissement des inégalités de revenus et de patrimoine, démultipliées en période de crise, reste, quel que soit le contexte économique, incompatible avec la lutte contre la pauvreté et contre le recul du niveau de vie des plus précaires.
L’urgence sociale nous invite à des mesures immédiates, justes et solidaires. Je vous demande d’adopter l’une d’elles en votant cette proposition de loi.