Intervention de Olivia Grégoire

Réunion du 26 mai 2021 à 15h00
Solidarité dans la crise — Discussion et retrait d'une proposition de loi

Olivia Grégoire :

Madame la présidente, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de loi qui nous réunit ce jour repose sur différents constats et tend à apporter une réponse juste et solidaire à la crise que nous traversons.

Avant de savoir si nous sommes d’accord sur les solutions, il faut tout d’abord nous assurer que nous nous entendons sur le constat et les problèmes.

En premier lieu, nous partageons évidemment le constat que vous avez dressé, madame la sénatrice : la crise sanitaire a incontestablement aggravé les inégalités.

Par de nombreux aspects, la crise du covid affecte plus durement les ménages en bas de l’échelle de revenus, pour différentes raisons.

Ces ménages sont plus nombreux à travailler dans des secteurs particulièrement pénalisés par la crise, comme la restauration ou les transports. Ils bénéficient moins souvent que les autres de contrats de travail à durée indéterminée. Ils occupent des postes qui peuvent moins facilement être exercés en télétravail. Ils ont dû faire face, enfin, à des dépenses supplémentaires : je pense, par exemple, aux dépenses alimentaires lors de la fermeture des cantines scolaires.

Ce constat est évident, mais, fort heureusement, le Gouvernement n’a pas attendu mai 2021 pour le dresser.

Pour mémoire, comme je le déclarais tout à l’heure lors des questions d’actualité au Gouvernement – pardonnez-moi cette redondance ! –, une étude du Trésor de fin 2020 montrait que les deux tiers des bénéficiaires des aides débloquées pour les ménages afin de faire face à la crise figuraient parmi les 20 % des Français les moins riches. Cela ne signifie certainement pas que la question est réglée, mais on peut au moins dire que la réponse a été rapide, juste et solidaire.

En l’état, la bonne nouvelle est que nous faisons le même constat et que nous faisons mieux que partager la solution : nous l’appliquons. Pour autant, si d’autres moyens peuvent être fort légitimement envisagés pour amplifier l’aide à nos concitoyens les plus modestes, nous divergeons clairement sur la nature de ces moyens.

L’article 1er de la proposition de loi prévoit le versement d’une aide de 100 euros par mois aux bénéficiaires des aides au logement, à compter de la promulgation de la loi et jusqu’à trois mois après la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire, prévue le 1er juin prochain.

Cette proposition présente plusieurs limites, déjà évoquées par M. le rapporteur.

En premier lieu, le montant prévu n’est pas nécessairement proportionné ou adapté aux besoins des foyers ; en particulier, il ne dépend pas de la configuration familiale.

En second lieu, la cible du dispositif est discutable, car elle n’englobe pas les bénéficiaires du RSA, qui ne perçoivent pas, vous le savez, d’aides au logement. En outre, le versement d’une aide exceptionnelle ciblée vers les bénéficiaires d’une prestation suscite ou renforce des effets de seuil importants, qui, s’ils peuvent être raisonnables dans le cas d’un versement ponctuel, seraient amplifiés dans le cas de versements répétés.

En troisième lieu, et enfin, cette mesure représenterait un coût que je soumets à votre appréciation : 610 millions d’euros par mois de versement, soit plus de 1, 8 milliard d’euros pour trois mois…

M. le rapporteur Guené l’a clairement expliqué, il est proposé, au travers de l’article 2, de décaler, de 2022 à 2023, l’entrée en vigueur de la mesure portant de 30 % à 65 % l’exonération de la taxe d’habitation pour les 20 % des ménages les plus aisés et, de 2023 à 2024, la suppression de cette taxe pour ces ménages.

Pour rappel, l’article 16 de la loi de finances pour 2020 prévoit la suppression totale et définitive, par étapes et de façon bornée dans le temps – de 2020 à 2023 –, de la taxe d’habitation sur l’habitation principale.

Or – ce n’est pas à vous que je le rappellerai – c’est un principe constitutionnel qui a incité le Gouvernement à amplifier cet engagement du Président de la République, dont la proposition initiale ne visait pas, c’est vrai, les 20 % des ménages les plus aisés.

En effet, dans sa décision sur le projet de loi de finances pour 2018, le Conseil constitutionnel a clairement rappelé qu’il se réservait la possibilité de réexaminer cette disposition au regard du principe d’égalité devant les charges publiques, en fonction notamment de la façon dont serait traitée la situation des contribuables restant assujettis à la taxe d’habitation.

De même, le Conseil d’État estime qu’un dispositif consistant en un impôt national calculé à partir d’assiettes localement définies et de taux déterminés par les collectivités locales méconnaîtrait, s’il était pérenne, les principes d’égalité devant la loi et les charges publiques, mais pourrait être admis à titre transitoire « pour une durée courte, par exemple d’un ou deux ans ».

Ainsi, le décalage d’un an de l’échéancier de suppression de la taxe d’habitation pourrait être perçu comme un renoncement à la réforme, ce que nous ne souhaitons pas, et présenterait en outre un fort risque d’inconstitutionnalité, ce que nous ne souhaitons pas davantage.

Au regard de ces deux difficultés réelles, le Gouvernement ne peut soutenir, vous le comprendrez, cette proposition de loi en l’état.

Toutefois, je puis vous le garantir, il a bien l’intention de continuer à soutenir, par d’autres moyens, l’objectif d’une réponse juste et solidaire à la crise que nous traversons. La diminution de la pauvreté demeure pour nous une boussole, et c’est avec cette boussole que nous avons déterminé le chemin que nous suivons depuis le début de la crise.

Rappelons tout d’abord le formidable amortisseur de la baisse des revenus du travail qu’ont représenté la mise en place de l’activité partielle, celle du fonds de solidarité et l’extension des indemnités journalières.

Ensuite, à ces aides générales, nous avons ajouté des aides exceptionnelles en faveur des plus fragiles.

Tout d’abord, en mai 2020, une aide exceptionnelle de solidarité de 150 euros a été versée aux bénéficiaires du RSA, complétée par une aide de 100 euros par enfant, laquelle a été étendue également aux familles bénéficiaires des aides au logement, ce qui représente près de 4, 1 millions de bénéficiaires. Par ailleurs, les étudiants en difficulté et les jeunes précaires de moins de 25 ans ont reçu une aide de 200 euros en juin 2020 ; cela a concerné environ 800 000 bénéficiaires.

Ensuite, l’allocation de rentrée scolaire a été exceptionnellement majorée de 100 euros supplémentaires au titre de la rentrée de 2020 ; quelque 3 millions de familles et plus de 5 millions d’enfants scolarisés ont été concernés.

Enfin, l’aide exceptionnelle aux bénéficiaires du RSA et des aides au logement a été renouvelée en novembre 2020 et une aide de 150 euros a également été versée aux étudiants boursiers et aux jeunes non étudiants percevant les allocations logement.

Par ailleurs, n’oublions pas la relance, dont l’investissement dans la cohésion sociale est un pilier majeur ; je le sais d’autant mieux que cela entre dans le cadre de mon périmètre, l’économie sociale, solidaire et responsable. Chaque jour, je suis en contact avec les associations de lutte contre la pauvreté.

Ainsi, le mois dernier – vous vous en souvenez, c’était un engagement du Gouvernement, dans le cadre du plan de relance –, quelque 100 millions d’euros ont été déployés en une seule fois et non en deux décaissements de 50 millions d’euros, pour aller plus vite, en faveur des associations de lutte contre la pauvreté : 33 projets d’échelle nationale et 576 projets d’envergure régionale pourront ainsi passer à l’échelle être financés. C’est bien légitime, compte tenu de l’engagement de ces associations durant la crise pour faire face aux besoins des personnes qui sont le plus en difficulté.

En un mot, mesdames, messieurs les sénateurs, cette mobilisation est exceptionnelle, mais elle est normale et légitime ; nous entendons bien la poursuivre. Je ne doute pas que vous partagiez ce constat et bientôt, je l’espère, cette direction.

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