Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la pandémie de la covid-19 a provoqué une multitude de mutations économiques, sociales et financières, dont un accroissement des inégalités. Face à ce constat, la présente proposition de loi vise – cela a été indiqué – à apporter une réponse solidaire et juste face à la crise.
Si l’objectif affiché repose sur un constat partagé, les différentes dispositions du texte ne semblent pourtant en adéquation ni avec la volonté politique originelle ni avec le contexte socioéconomique actuel.
L’article 1er de la proposition de loi prévoit le versement d’un complément de 100 euros par mois aux bénéficiaires des aides personnelles au logement jusqu’à trois mois après la fin de l’état d’urgence sanitaire. Cette disposition présente plusieurs limites.
Tout d’abord, le caractère universel de cette augmentation ne permettrait pas de cibler les populations les plus fragiles financièrement ; la mesure ne prévoit aucune prise en compte de la diversité des situations. Des critères objectifs tels que le taux d’effort permettraient, par exemple, de mieux épouser les réalités individuelles. Il existera alors un réel effet de seuil : une légère différence de revenus suffira pour qu’un ménage bénéficie, ou non, de l’intégralité de l’aide de 100 euros.
Ensuite, cette augmentation généralisée des aides personnelles au logement tendrait à renforcer les inégalités inhérentes au calcul de ces dernières. Dans son rapport annuel d’activité pour l’année 2019, la Cour des comptes insiste sur le caractère inégalitaire des APL, en raison d’un mode de calcul toujours plus complexe. En ce sens, la disposition prévue à l’article 1er contribuerait à renforcer une dynamique déjà inégalitaire, au lieu de la corriger.
Par ailleurs, le fait d’accroître le montant des APL se traduirait également par un coût non négligeable pour les finances publiques. La mesure représenterait une dépense de l’ordre de 660 millions d’euros par mois, soit de près de 2 milliards d’euros pour trois mois.
Pour rappel, le montant total des aides personnelles au logement s’est élevé à 17 milliards d’euros en 2020. Étant donné les effets limités de cette disposition, cela ne justifie pas un tel effort financier de la part de l’État et, indirectement, de la part des contribuables français.
En outre, l’article 1er de la présente proposition de loi prévoit une aide générale et automatique ne reposant sur aucune équité sociale. Cette mesure se révèle déconnectée de la diversité des situations et coûteuse pour les finances de l’État.
Quant à l’article 2 du texte, il a pour objet de modifier le calendrier d’entrée en vigueur de la réforme de la taxe d’habitation. Cela a été précisé, alors que la suppression de cette taxe sera effective pour les 20 % des ménages les plus aisés à l’horizon de 2023, le texte que nous examinons aujourd’hui reporterait d’une année cette suppression.
Plusieurs points de vigilance doivent être soulignés.
Premièrement, la mesure susciterait une recette supplémentaire, pour l’État, de l’ordre de 2, 6 milliards d’euros en 2022, afin de financer le coût des aides prévues à l’article 1er. Le raisonnement que je vous ai exposé en défaveur de cet article rend naturellement le maintien de l’article 2 totalement incohérent.
Deuxièmement, cet article s’attaque à une réforme déjà engagée. Il me paraît peu pertinent de raviver les débats autour de cette réforme structurelle, en y appliquant une modification substantielle de calendrier, modification qui aurait un effet direct sur la prévisibilité de loi fiscale et sur la pression fiscale d’une partie des contribuables.
Troisièmement, l’argument politique consistant à mettre à contribution les 20 % des revenus les plus aisés – les « plus privilégiés », pour citer l’exposé des motifs de la proposition de loi –, en maintenant la taxe d’habitation pour ces derniers, ne semble pas se traduire dans le texte présenté.
Par exemple, un couple sans enfant figure parmi les 20 % de ménages aisés dès lors que le revenu mensuel de chacun des conjoints excède 1 749 euros après impôts ; l’existence de revenus dits « aisés » ne suffit pas à caractériser la richesse d’un ménage. Il s’agit donc non d’un moyen de favoriser la justice sociale, mais du report d’un allègement fiscal pour une partie des classes moyennes.
Enfin, dans la mesure où la reprise économique reste nécessaire, après la période de la covid, le fait de maintenir cette taxe représenterait un frein pour la consommation. Cela réduirait le pouvoir d’achat d’une partie des ménages, qui s’attend à bénéficier de la suppression de cette taxe ; cela pourrait donc nuire à la demande et, par extension, à l’efficacité du plan de relance économique, dont nous débattons depuis des mois.
En définitive, les dispositions prévues dans le texte supposent le déploiement d’importants moyens financiers pour des effets très limités. Ainsi, pour reprendre les mots du rapporteur général, lors de l’examen en commission, « cette proposition de loi apporte une réponse inadaptée, inappropriée, à une question parfaitement légitime. »
Vous l’aurez compris, le groupe Union Centriste votera contre l’adoption de cette proposition de loi.