Intervention de Marie-Christine Chauvin

Réunion du 26 mai 2021 à 15h00
Élevage éthique juste socialement et soucieux du bien-être animal — Rejet d'une proposition de loi

Photo de Marie-Christine ChauvinMarie-Christine Chauvin :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je veux tout d’abord remercier le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires d’avoir inscrit cette proposition de loi à l’ordre du jour du Sénat, nous permettant d’avoir un débat de société sur le thème du bien-être animal.

Je crois que tous les parlementaires ici – je dis bien « tous » – partagent vos préoccupations. Les bonnes pratiques en matière d’élevage, de transport et d’abattage sont un souci de tous les jours, qui prendra une place de plus en plus importante dans les années à venir. La société et les filières le veulent, et c’est bien normal.

Tous les parlementaires, comme toutes les filières, veulent tendre vers plus d’élevages alternatifs à la cage ou au bâtiment. Nous voulons tous améliorer les conditions de transport des animaux : c’est un sujet consensuel, ce que montre d’ailleurs l’adoption très large et transpartisane de résolutions du Parlement européen sur le sujet. Enfin, il faut bien entendu trouver une solution viable au broyage massif de poussins.

C’est justement la raison pour laquelle la commission partage pleinement vos objectifs, mais en contestant fermement les moyens retenus et, surtout, les effets de bord importants induits par la rédaction de la proposition de loi.

Avant d’analyser la proposition de loi dans le détail, je souhaite commencer mon propos en ayant une pensée pour les éleveurs. En effet, s’il faut être sensible au bien-être animal, il faut aussi et surtout être attentif au bien-être des éleveurs. Les deux sujets sont d’ailleurs souvent étroitement liés.

Se lever tous les matins pour perdre de l’argent, personne ne peut le supporter. C’est ce qui explique que la décapitalisation du cheptel se poursuive dans certaines filières. Si la situation perdure, notre souveraineté alimentaire en élevage est menacée, d’autant que les importations sont déjà très présentes : elles représentent 45 % de notre consommation de poulet, 25 % pour le porc, 55 % pour les ovins et un tiers de nos produits laitiers.

Si rien n’est fait, nous perdrons les externalités positives de notre élevage en matière d’aménagement du territoire, de stockage de carbone, de réduction de la vulnérabilité aux aléas naturels et de biodiversité des races cultivées…

Ce contexte devait être rappelé pour garder à l’esprit qu’il faut être à l’écoute de nos éleveurs. Lors de nos auditions, tous nous ont affirmé ne pas comprendre pourquoi ils sont toujours voués aux gémonies, sans que leurs efforts soient valorisés.

Par ailleurs, il faut le répéter, le bien-être animal est une préoccupation de tous les jours dans l’agriculture. S’il existe bien entendu quelques situations anormales et des abus – je ne nie pas que l’on en trouve des exemples –, ce n’est pas plus vrai que dans les autres professions.

Prenons l’exemple des poules pondeuses : l’élevage alternatif à la cage est désormais majoritaire, alors qu’il ne représentait que 20 % de l’élevage voilà dix ans. Des élevages expérimentaux se développent pour éviter l’élevage de lapins en cage.

Rappelons aussi que 94 % des vaches laitières et 67 % des vaches allaitantes ont accès à l’extérieur. La France est le premier pays d’Europe pour les volailles élevées en plein air, avec un taux de 20 %, le deuxième pays européen étant seulement à 5 %.

Toutes les filières interprofessionnelles se sont engagées dans un plan en faveur du bien-être animal et développent des outils de diagnostic sur les exploitations, afin de mieux mesurer les progrès à réaliser.

Cette situation doit être dans tous nos esprits à l’heure d’examiner des propositions pour interdire certaines pratiques d’élevage, de transport ou d’abattage.

Ces rappels étaient d’autant plus nécessaires que l’intitulé de la proposition de loi ignore cette réalité : en plaidant « pour un élevage éthique, juste socialement et soucieux du bien-être animal », il est sous-entendu qu’il n’existe pas d’élevage éthique et soucieux du bien-être animal aujourd’hui en France. Je veux le dire clairement : cela ne correspond pas à la réalité du terrain agricole.

La proposition de loi pose également des difficultés pratiques.

En ce qui concerne l’élevage en plein air, par exemple, l’article 1er entend interdire toute construction de nouveaux bâtiments d’élevage ne prévoyant pas un accès à l’extérieur des animaux à compter de 2026 et interdire tout élevage qui ne soit pas en plein air à horizon de 2040.

Soit ! Mais les instituts techniques des filières rappellent que cette généralisation pose des difficultés en matière de bien-être animal pour certaines espèces, ainsi que des interrogations en matière de biosécurité. On l’a vu récemment avec l’influenza aviaire : le tout plein air expose à davantage de risques épidémiques. Notre résilience et notre souveraineté se jouent dans la complémentarité de nos élevages, non dans leur opposition.

J’ajoute que le plein air impliquerait la mise en place d’un parcours pour les animaux qui est fortement consommateur de foncier. Rien que pour le porc, le passage au tout plein air en 2040 représente une consommation foncière équivalente à un département français. Pour les poules pondeuses, il faudrait trouver l’équivalent de la surface de la ville de Paris. Quand on connaît les difficultés liées à l’artificialisation des sols, je crois que ces chiffres parlent d’eux-mêmes !

Il en va de même de la proposition visant à plafonner les temps de transport. C’est une fausse solution à un vrai problème : celui de l’insuffisance du maillage territorial des abattoirs de proximité.

J’ajoute que la proposition d’article 2, conformément au droit européen, ne réglemente les durées de transport que sur le territoire national.

Dès lors, si un camion traverse une frontière, la réglementation française ne lui sera plus applicable et il bénéficiera d’une réglementation européenne moins-disante. Il sera donc pertinent économiquement pour lui de s’approvisionner auprès d’abattoirs étrangers, faisant faire plus de route aux animaux. Il me semble que c’est le contraire de l’objectif de la loi !

De même, les bassins de production sont parfois très éloignés des abattoirs ou des couvoirs. En limitant, par exemple, la durée des transports à quatre heures pour la volaille et le lapin, dont les abattoirs et les couvoirs sont presque exclusivement à l’ouest de notre pays, on s’interdirait tout élevage ailleurs que dans cette région en France : est-ce ainsi que nous favoriserons les circuits courts et la diversification de notre agriculture ?

De plus, la commission des affaires économiques a estimé que l’échelle d’action n’était pas la bonne, car la question doit, dans son ensemble, être portée au niveau européen.

À défaut, on alourdirait encore les contraintes sur nos agriculteurs français, tout en exportant les pratiques que la loi condamnera chez nos voisins, ce qui se traduirait par davantage d’importations de denrées. Cela ne ferait aucun gagnant en matière de bien-être animal, réduirait notre souveraineté alimentaire et dégraderait le bilan environnemental de notre alimentation.

J’en veux pour preuve la délicate question du broyage et du gazage des poussins mâles et des canetons femelles. Les techniques de recherche de sexage dans l’œuf ont considérablement évolué et permettent effectivement d’envisager de tourner la page du broyage à court terme. Oui, il faut s’en féliciter, mais imposer une interdiction intégrale dans huit mois, c’est condamner des petits couvoirs et c’est surtout renchérir le coût des ovoproduits issus d’élevages français, qui représentent 40 % de la production totale.

Or, pour ces produits, l’aspect prix est essentiel : à aller trop loin, nous renforcerions la compétitivité des ovoproduits polonais, qui inonderaient notre marché, alors que les poussins continueraient, en Pologne, à être broyés.

Pour le broyage des poussins, je crois qu’il faut faire confiance aux accouveurs. Le marché est prêt, la recherche évolue et se perfectionne. Je suis sûre que nous y parviendrons dans un laps de temps bref. Les filières ont d’ailleurs renouvelé leurs engagements sur l’œuf coquille à très court terme. Faisons-leur confiance.

L’Union européenne doit nous faire évoluer collectivement pour limiter les distorsions de concurrence et pour que ces mesures soient réellement efficaces. Monsieur le ministre, je vous interroge : quels engagements le Gouvernement est-il prêt à porter au niveau européen, pour que nous améliorions, ensemble, la situation ?

Enfin, j’entends, bien sûr, les critiques de certains qui trouvent, au contraire, que la loi est équilibrée, dans la mesure où elle prévoit une compensation par un fonds pour les pertes induites par la présente proposition de loi. Je tenais à leur dire que j’ai moi-même d’abord eu ce sentiment. Je soutiendrai toujours les mécanismes incitatifs d’accompagnement, préférables à des mécanismes d’interdiction sans aide.

Toutefois, l’analyse a démontré que la création de ce fonds était irréaliste, car les chiffres des surcoûts induits par la proposition de loi sont colossaux : rien que pour le porc, le surcoût du plein air est estimé à 13 milliards d’euros. Pour les seules poules pondeuses, le surcoût du broyage s’élève à 64 millions d’euros, soit 4 % du chiffre d’affaires de la filière.

Quand on sait que l’agriculture a été dotée, au total, de 1, 2 milliard d’euros dans le plan de relance, je m’interroge sur la faisabilité d’un tel fonds, le risque étant que les compensations soient bien inférieures, ce qui pénaliserait alors considérablement le revenu de nos agriculteurs.

Pour toutes ces raisons, la commission vous propose, mes chers collègues, de rejeter cette proposition de loi.

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