Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi avant tout d’excuser l’absence de Julien Denormandie, retenu à Bruxelles par la négociation finale de la PAC, une échéance majeure pour tous nos agriculteurs.
Chacun sait ici que le bien-être animal et le respect de l’environnement sont des sujets essentiels pour nos concitoyens.
Sur ces questions, les débats pointent trop souvent du doigt les éleveurs français, alors qu’ils sont les premiers à souhaiter plus de bien-être animal.
En faisant le pari de la modernisation des infrastructures d’élevage et d’abattage, le Gouvernement agit avec méthode et pragmatisme, aux côtés de nos éleveurs, pour leur donner les moyens de répondre aux attentes sociétales. Ces sujets de long terme nécessitent une politique d’accompagnement, et non des bouleversements radicaux.
Nous débattons aujourd’hui de la transition de l’élevage, que nos concitoyens attendent. Je sais que les membres de cet hémicycle n’aborderont pas cette question sous le seul prisme de l’émotion.
Madame la sénatrice Esther Benbassa, soyez en assurée, le Gouvernement partage votre ambition d’améliorer les conditions d’élevage, de transport ou d’abattage au sein de la grande ferme France. Il aborde ces enjeux de transition avec raison et pragmatisme.
Nous devons répondre aux impératifs biologiques des espèces et définir collectivement les modalités les plus adaptées pour répondre au bien-être des animaux, lutter contre la maltraitance animale et garantir des produits alimentaires sains et de qualité, car, in fine, ne l’oublions pas, l’élevage est là pour nous nourrir.
Si l’on peut comprendre le souhait de nombreux citoyens de permettre aux animaux d’élevage de vivre en plein air, les débats, trop souvent passionnés sur la question animale, doivent tenir compte des enjeux sanitaires et économiques, du foncier, de la reconversion et de la souveraineté nationale.
En premier lieu, je souhaite rappeler que les élevages français sont à taille humaine, bien loin des élevages industriels qui existent ailleurs dans le monde.
Ensuite, l’élevage français est l’un des plus durables au monde. Les filières mettent tout en œuvre pour assurer la transition agroécologique. Les plans de filière mis en place à partir de 2017 ont déjà prouvé leur efficacité.
Sur le plan sanitaire, prenons l’exemple de la lutte contre l’antibiorésistance : le plan porté par le ministère de l’agriculture et de l’alimentation a porté ses fruits, avec une réduction de 37 % des utilisations d’antibiotiques en cinq ans. L’exposition des animaux aux antibiotiques, en France, est inférieure à la moyenne européenne.
Assurer un minimum d’accès au plein air à tous les animaux d’élevage dès 2040 n’est pas raisonnable. Prenons quelques exemples factuels. Le plein air représente aujourd’hui 5 % de la production. Aujourd’hui, ce sont 82 % de la production de poulets de chair qu’il faudrait repenser.
En France, il n’y a pas un modèle unique d’élevage ; c’est d’ailleurs là notre richesse. Nous pouvons et nous devons tous soutenir l’ambition de montée en gamme portée au travers de la présente proposition de loi, car elle permettra une plus juste rémunération des producteurs. Cependant, laisser croire que, dans vingt ans, nous n’aurons plus aucun poulet ni porc standard dans nos fermes est faux et contreproductif si cette ambition n’est pas réfléchie à l’échelle du marché unique et des relations commerciales internationales.
Le temps de l’agriculture est long. Il faut assurer des transitions adaptées au marché, sans quoi nous serons rapidement confrontés à une augmentation de produits importés à moindre coût venant de pays qui ne respectent pas nos pratiques, notamment de viandes provenant d’élevages très intensifs.
Le débat sur le transport des animaux vivants doit également s’inscrire dans cette réflexion, laquelle doit avoir lieu à l’échelle au moins européenne, pour éviter tout effet de concurrence déloyale au détriment des opérateurs qui travaillent exclusivement sur le territoire national.
C’est d’ailleurs ainsi que la présidence actuelle de l’Union européenne l’envisage et que la stratégie Farm to Fork l’affirme. Nous allons par ailleurs améliorer, comme nous nous y sommes engagés au début de l’année 2020, les dispositions relatives au transport par voie maritime dans le courant de 2021, sans qu’une modification législative soit nécessaire.
J’ajoute que le plan de relance et son volet relatif à la modernisation des abattoirs favoriseront aussi des filières locales et auront donc un effet indirect bénéfique sur le transport des animaux vivants.
En ce qui concerne les transitions et l’amélioration du bien-être animal, la fin du broyage des poussins est un exemple concret des enjeux auxquels nous devons répondre. La filière œufs et les couvoirs, principaux impactés par cette transition, ont bien intégré l’objectif et l’attente des citoyens en la matière.
La question de la formalisation de l’interdiction est finalement secondaire aujourd’hui, car des méthodes opérationnelles existent. L’enjeu est de savoir qui paie le coût de cette transition. L’État, au travers du plan de relance, peut engager des changements en finançant une partie des investissements, mais un modèle pérenne ne peut pas reposer exclusivement sur lui. Le coût de la transition implique également des changements de pratiques au quotidien. La filière travaille sur une feuille de route opérationnelle.
En outre, inscrire une mesure d’interdiction dans la loi ne permettrait pas d’accompagner financièrement les filières, ce que nous pouvons par ailleurs d’ores et déjà faire sur le plan réglementaire, au travers d’un décret.
Même si je sais que beaucoup ici en ont conscience, je tiens à rappeler que, au cours des dernières années, nous avons imposé énormément de nouvelles contraintes aux éleveurs français pour répondre aux attentes légitimes de nos concitoyens.
Restons sur l’exemple criant de la filière poules pondeuses : en 2012, les éleveurs ont investi massivement pour se mettre aux normes, et certains d’entre eux n’ont pas fini de payer les traites de leurs emprunts. La loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, ou loi Égalim, ainsi que les plans de filière qui en découlent ont interdit la mise en production de tout bâtiment d’élevage en cage, et plus de 53 % des poules pondeuses sont déjà élevées en système alternatif à la cage.
Les transitions que nous imposons à l’agriculture ont toujours des coûts, que les éleveurs ne peuvent assumer seuls. Il faut les accompagner, pour ne pas mettre des éleveurs en grande difficulté sur les plans économique et psychologique.
La clé réside dans la montée en gamme, car elle seule permet de répondre aux attentes sociétales tout en offrant une meilleure rémunération aux éleveurs. C’est tout le sens de notre action.
Les États généraux de l’alimentation ont permis d’améliorer la structuration des filières, avec des exigences accrues en termes de respect de l’environnement et du bien-être animal, reposant sur des signes de qualité. Je tiens ici à saluer la responsabilisation des professionnels, qui se sont organisés autour de plans de filière et de chartes de bonnes pratiques, pour répondre aux attentes sociétales. Une véritable transition est en marche.
Toute transition a un coût et nécessite un accompagnement réfléchi. Le plan France Relance consacre ainsi près de 300 millions d’euros à la modernisation de nos élevages et de nos abattoirs et à la structuration des filières, afin d’accélérer cette transformation.
Toutefois, cette montée en gamme ne peut pas uniquement reposer sur la responsabilisation des professionnels et l’accompagnement du Gouvernement.
Les injonctions des citoyens doivent se traduire dans leurs actes d’achats. C’est tout le sens de la loi Égalim, dont l’objectif est d’aboutir à une meilleure rémunération des agriculteurs. Nous devons sortir de la guerre des prix bas. Il n’est pas possible de demander toujours plus aux éleveurs sans leur en donner les moyens.
C’est l’esprit qui anime les travaux de Serge Papin sur la contractualisation et la pluriannualité, ainsi que de la proposition de loi modifiant la loi Égalim, présentée par Grégory Besson-Moreau. C’est seulement en accompagnant nos éleveurs que ces derniers pourront créer de la valeur et faire face aux grands enjeux de société. Comme toute transition, celle-ci n’aura pas lieu sans un changement profond des mentalités, c’est-à-dire tant que les éleveurs seront forcés de produire toujours moins cher.
Le Gouvernement est mobilisé aux côtés des professionnels. À ce titre, je veux répondre à certaines critiques et à certaines interpellations concernant l’inscription à l’ordre du jour de la proposition de loi visant à renforcer la lutte contre la maltraitance animale, adoptée à l’Assemblée nationale.
Je tiens à vous rassurer, mesdames, messieurs les sénateurs : même si l’agenda du Sénat est particulièrement chargé – vous le savez mieux que moi –, je vous confirme l’intention du Gouvernement de voir ce texte inscrit à l’ordre du jour de vos travaux avant la fin de l’année.
Le Gouvernement est mobilisé et souhaite préserver notre modèle d’élevage équilibré, qui se distingue par des exigences parmi les plus fortes au monde. Mais là où certains mènent une campagne de dénonciation et de stigmatisation généralisant trop souvent des cas isolés, nous revendiquons une politique de mesures concrètes, en agissant sans trembler quand cela s’impose, mais sans jamais jeter injustement l’opprobre sur tout un secteur ou toute une filière.
À cet égard, le Gouvernement tient à saluer le travail mené par Henri Cabanel et Françoise Férat sur l’accompagnement de la détresse, longtemps ignorée, des agriculteurs.
Mesdames, messieurs les sénateurs, nous devons rejeter la radicalité qui mettrait fin à l’élevage français par excès d’exigence. Je le répète, nous partageons la volonté de poursuivre l’amélioration des bonnes pratiques, mais je vous invite à faire preuve de raison et de bon sens.
La question de l’avenir de l’élevage suppose beaucoup d’ambition et de pragmatisme, mais aussi et surtout de confiance en nos éleveurs, qui sont indiscutablement les premiers à souhaiter agir pour le bien-être des animaux et pour l’environnement.
Ils travaillent chaque jour pour nous fournir la meilleure alimentation possible. Ce n’est pas en les stigmatisant que nous aboutirons à un élevage plus durable, mais en leur donnant les clés pour mener des transitions ambitieuses.
C’est seulement en mettant la question de la rémunération des éleveurs au centre des discussions que nous pourrons accélérer le changement durable que nous appelons de tous nos vœux. Refuser cet état de fait, c’est condamner nos éleveurs.