Intervention de Xavier Iacovelli

Réunion du 27 mai 2021 à 14h30
Accès à certaines professions des personnes atteintes de maladies chroniques — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Xavier IacovelliXavier Iacovelli :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, « Comment imaginer, en 2021, que je représente un risque en étant cuisinier dans l’armée ? Comment accepter que je ne puisse pas être médecin dans la police, alors que j’ai des amis médecins diabétiques qui travaillent dans les hôpitaux ?

« Comment accepter que je ne puisse pas être moniteur d’équitation, linguiste, secrétaire, brancardier, agent de restauration, géographe, mécanicien, maître-chien, magasinier ou contrôleur de train ?

« Qui est cet expert fou qui a pu imaginer que la couleur d’un uniforme pouvait augmenter les risques liés à nos pathologies ? »

Ces mots sont ceux du jeune Hakaroa Vallée, 16 ans, lors de son audition par la commission des affaires sociales, le 11 mai dernier. Ce jeune homme, diabétique de type 1, a mené un combat formidable contre les discriminations à l’embauche depuis près de trois ans. À 13 ans, il a traversé la France à vélo et à pied et s’apprête, le 24 juin prochain, à réitérer cet exploit pour prouver que ces discriminations sont aujourd’hui absurdes et nécessitent que notre droit évolue.

Il est aujourd’hui parmi nous, en tribune, accompagné de ses parents, et je souhaite lui rendre hommage au nom de notre assemblée, car c’est en grande partie grâce à lui que nous examinons ce texte.

Hakaroa n’est pas le seul à subir ces discriminations. Ils sont en réalité 20 millions à les subir. Ils sont 20 millions de Français à ne pas pouvoir accéder à tous les métiers, à subir une double peine, et dont les rêves ne peuvent être réalisés.

Rappelons, à cet égard, qu’en l’Irlande, au Canada, au Royaume-Uni et aux États-Unis, les malades atteints de diabète peuvent être pilotes de ligne. Chez nos voisins espagnols, le diabète a même été supprimé de la liste des maladies empêchant de postuler à un emploi public.

La proposition de loi que nous examinons porte sur l’accès à certaines professions de personnes atteintes de maladies chroniques. Elle a été étudiée par l’Assemblée nationale et transmise au Sénat en janvier 2020. Je remercie mon groupe, le Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants, d’avoir demandé son inscription à l’ordre du jour et de permettre de débattre aujourd’hui de ce texte.

Comme de nombreux collègues le mentionneront certainement, nous sommes nombreux, élus locaux et sénateurs, à être sollicités par des habitants de nos territoires, ou plus souvent encore par des associations, sur des discriminations fondées sur l’état de santé. Nous ne pouvons ignorer ces cas qui sonnent comme autant d’injustices et d’espoirs professionnels qui ne peuvent se concrétiser.

Notre expérience collective de terrain est confirmée par les nombreuses saisines de la Défenseure des droits. En 2020, près de 11 000 saisines étaient motivées par une discrimination fondée sur l’état de santé. Parmi ces nombreuses situations, reviennent souvent les restrictions constatées dans l’accès à certains emplois et certaines formations pour les personnes atteintes de maladies chroniques.

Un rapport du Conseil économique, social et environnemental (CESE) estimait, en 2019, que 25 % de la population sera atteinte d’une maladie chronique à l’horizon de 2025. L’inclusion des personnes atteintes de maladies chroniques n’est donc pas un sujet marginal, mais bien un enjeu incontournable du monde du travail dans notre pays.

Or l’accès à certains emplois est subordonné à la satisfaction de critères de santé particuliers qui, de fait, excluent nombre de personnes atteintes de pathologies chroniques. Ces restrictions sont constatées dans certains secteurs d’activité, comme les transports avec des conditions particulières d’aptitude dans l’aviation ou la sûreté ferroviaire.

Elles sont aussi présentes dans certains emplois publics, comme la police nationale, et particulièrement signalées dans les armées. Ces conditions requises sont liées à des impératifs particuliers de sécurité et de santé, mais force est de constater que celles-ci ne sont pas toujours justifiées.

Les associations se battent pour que l’accès à ces emplois soit plus ouvert, en tenant compte de l’état réel de la personne et des traitements possibles pour compenser les éventuelles conséquences des pathologies chroniques. Je pense, par exemple, aux pompes à insuline de nouvelle génération qui permettent d’anticiper les crises d’hypoglycémie, et donc d’éviter les malaises.

Je souhaite saluer ici l’engagement des associations de malades, notamment la Fédération française des diabétiques, qui agissent au quotidien sur ce sujet et remercier notre collègue députée Agnès Firmin Le Bodo, dont je connais l’engagement, d’avoir pris l’initiative de déposer cette proposition de loi.

En tant que rapporteur de la commission des affaires sociales, j’ai souhaité renforcer la portée normative de ce texte, pour augmenter son impact. Il s’agit de faire avancer le droit là où cela est possible et de contraindre les employeurs publics et privés à se poser régulièrement la question de la pertinence et de la justification des restrictions éventuelles.

Concernant l’article 1er, qui crée un comité d’évaluation des textes réglementant l’accès à certaines professions, la commission a émis des réserves, car une telle disposition ne relève pas du domaine de la loi. J’estime néanmoins que ce comité pourra produire un travail utile de recensement des textes applicables et d’évaluation de leur pertinence au regard des fonctions exercées et traitements possibles.

La commission a adopté cinq amendements. Elle a notamment voulu limiter l’action de ce comité à trois ans pour le contraindre à agir rapidement et efficacement : le comité doit pouvoir formuler des recommandations et évaluer les suites qui y seront données dans les meilleurs délais.

Nous avons également, suivant la doctrine du Sénat en matière de présence des parlementaires dans des comités extra-parlementaires, supprimé leur présence au sein de ce comité.

L’article 2 est le cœur de la proposition de loi. La rédaction transmise comprenait un I qui portait un principe de non-discrimination repris du code du travail, appliqué aux maladies chroniques et un I bis concédant immédiatement la possibilité de restrictions.

La conjugaison des deux donnait un schéma peu opérant se bornant, selon moi, au droit existant. La commission a ainsi choisi de récrire cet article. La nouvelle rédaction permet de mieux encadrer les restrictions éventuellement admises en rappelant le principe de proportionnalité consacré par la jurisprudence.

Elle insiste surtout sur le fondement que ces restrictions doivent nécessairement satisfaire : les conditions de santé particulières exigées doivent être justifiées par la santé et la sécurité de la personne ou des tiers. Il s’agit d’apprécier les fonctions accessibles et les sujétions éventuellement liées aux postes.

Nous avons également choisi de retenir la notion de « conditions de santé particulières requises » et non de viser les maladies chroniques, juridiquement insuffisamment définies.

Enfin, nous avons souhaité inscrire la prise en compte des traitements possibles et les moyens de compensation du handicap dans l’appréciation de l’état de la personne.

Concernant les textes réglementaires, plutôt qu’une grande révision d’ici à deux ans, la commission a préféré inscrire un principe d’actualisations régulières selon l’évolution de la science et des réalités opérationnelles des emplois. Cette nouvelle rédaction me semble de nature à satisfaire l’intention des auteurs de ce texte, tout en rendant cet article opérationnel et juridiquement plus sûr.

Tenant compte de la rédaction nouvelle de l’article 1er, la commission a supprimé la demande de rapport au Gouvernement à l’article 3.

Enfin, la commission a choisi de ne pas adopter l’article 4 prévoyant une campagne d’information. Je n’étais personnellement pas favorable à cette suppression, mais je sais que nous y reviendrons au cours de ce débat.

Le Gouvernement est mobilisé sur ce sujet qui touche près de 20 millions de nos concitoyens. Ainsi, une mission de l’inspection générale des affaires sociales, sous la double tutelle du ministère de la santé et du ministère du travail a été lancée en avril dernier. Des engagements clairs doivent être pris et l’examen de cette proposition de loi en est l’occasion.

Elle permettra, je l’espère, d’accélérer le processus qui est aujourd’hui mis en œuvre, afin de combattre efficacement les discriminations qui pèsent sur nos concitoyens en raison de leur état de santé.

C’est de notre pacte social, chers collègues, qu’il est aujourd’hui question. Il nous revient d’envoyer un message fort à nos concitoyens victimes de ces discriminations, aux associations qui œuvrent chaque jour à leurs côtés, aux jeunes qui, comme Hakaroa, rêvent de pouvoir choisir leur futur métier sans limite inopportune.

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