Hakaroa Vallée m’a exposé cette réalité concrète, que j’ignorais, à vrai dire, parce que je n’y avais pas été confrontée : il existe en France, de nos jours, des listes de pathologies sur lesquelles des recruteurs peuvent s’appuyer pour refuser l’accès de certaines personnes à des professions considérées comme sensibles, principalement dans la fonction publique. Or ces listes, déjà discutables sur le principe, ne sont pas réactualisées en fonction des progrès thérapeutiques ni de l’évolution des conditions de travail, si bien que, à force de précautions, l’État, qui est le principal recruteur à pratiquer cette forme de sélection, crée des situations d’injustice, voire des incohérences notoires.
Face à ce jeune homme à l’argumentaire parfaitement maîtrisé, je me suis sentie très gênée, mes chers collègues. Il faut l’électrochoc provoqué par son culot insensé pour ouvrir un œil sur une réalité d’un autre âge, tellement décalée qu’elle en est presque ridicule.
N’y a-t-il donc jamais eu, quelque part, dans un ministère, un voyant qui s’est allumé sur ce sujet ? Est-ce à un lycéen de venir cogner à notre porte ? Il n’y a pas là de quoi être fiers…
Pour un jeune en devenir, comment accepter qu’un projet de vie soit passé au crible d’une liste qui semble gravée dans le marbre ? Je comprends la colère d’Haka, qui nous demande de faire reculer une injustice. À l’heure où l’on exhorte les jeunes à briser le « plafond de verre », où l’on engage des moyens importants au service de leur parcours professionnel et de leur réussite, on ne peut pas conserver de telles œillères.
De fait, les traitements évoluent. Les pompes à insuline, par exemple, font désormais partie du quotidien. Parallèlement, de nouvelles pathologies apparaissent : burn-out et covid long ne figurent sans doute pas dans la liste d’antan !
Chaque patient doit pouvoir trouver la clé de l’insertion dans la vie professionnelle, qui est un champ immense de compétences variées et de sollicitations plus ou moins physiques. En effet, un être humain porteur d’une maladie chronique n’est pas une maladie chronique : il est un être humain. Ici comme ailleurs, la moulinette du tri et du classement, comme tous les systèmes qui rangent les individus dans des cases, est injuste et inadaptée, sauf si elle parvient à faire preuve de souplesse et d’agilité.
Bref, comme nous l’avons tous affirmé, le référentiel doit être revu et adapté. C’est un gamin qui est venu nous le rappeler !
Faut-il une loi pour cela ? Disons que oui… Aussi, le groupe Union Centriste dira « oui » au texte sagement aménagé par le rapporteur de la commission. Nous dirons « oui », parce qu’il n’est pas possible de dire « non », mais ce « oui » est déclaratif plus que législatif.
La loi dira d’adapter le référentiel, de rendre des rapports, de faire de la communication. Elle ne fera pas l’indispensable travail de mise à jour. La loi dira de faire, mais la loi ne fera pas.
C’est au Gouvernement de s’emparer de ces fameuses listes, de les adapter aux outils thérapeutiques et contextes nouveaux, et, éventuellement, aux pathologies nouvelles.
Cependant, il faut revoir le référentiel sans en faire, comme c’est désormais la mode, un « gigaparapluie » qui permette de se cacher : sans s’interdire de protéger, il convient d’éviter le principe de l’ultraprécaution, qui est pourtant « très tendance ». Comme le dit Haka : « Ce n’est pas parce qu’il y a eu le docteur Petiot qu’il faut interdire tous les médecins dans la fonction publique. » Et, comme le dit le Petit Prince – nous avons les mêmes sources, mon cher collègue – : « C’est une folie de haïr toutes les roses parce qu’une épine vous a piqué. »
Bien au-delà du diabète, qui ne doit pas cristalliser les débats, tous les malades chroniques, toutes les « différences de santé », y compris les pathologies rares et orphelines, doivent pouvoir être compatibles avec une insertion professionnelle logique et adaptée. Personne ne doit jamais être confronté à ce qui est ressenti comme un rejet a priori, sans examen de sa situation particulière. Comme le proposera M. le rapporteur, on ne peut tolérer aucun rejet au motif d’un « état de santé ».
C’est d’autant plus vrai que, par définition, ceux qui se savent malades, au contraire des malades qui s’ignorent, se surveillent tous les jours, ce qui permet d’écarter bien des risques.
En poussant à l’extrême la logique de précaution, il faudrait une étude complète, approfondie, caryotypique, psychologique et médicale de tous les fonctionnaires. On découvrirait alors probablement des zones de risques pour certains ! Finalement, nous nous retrouvons tous « coincés » par les incohérences qui surgissent entre les capacités réelles des individus et une théorie dépassée.
Pour terminer, je vous invite à faire attention aux immenses espoirs qui vont naître aujourd’hui, monsieur le secrétaire d’État. Il faudra que les choses bougent très vite désormais et, quand elles auront bougé, qu’elles bougent encore, régulièrement. Sinon, dans dix ou quinze ans, un autre gamin génial viendra nous chatouiller et nous demander pourquoi un champion du monde de karaté ne peut pas être gardien de la paix !