Je traiterai les questions relatives à la régulation. Que souhaitons-nous réguler ? La gestion du trafic spatial renvoie à l'émergence des méga-constellations. Vous n'avez pas cité le projet chinois StarNet : la Chine a déposé un dossier auprès de l'UIT pour 13 000 satellites de télécommunications. Tous ces satellites étant placés sur une orbite basse, nous assistons à une densification voire à une congestion.
Plusieurs forums d'échanges coexistent. Le comité des utilisations pacifiques de l'espace extra-atmosphérique, au niveau des Nations Unies, cherche à établir des mesures de développement durable des activités spatiales (Long-Term Sustainability ou LTS). Les pays se sont accordés sur quelques grands principes, mais butent sur les détails. Les Nations unies sont un forum nécessaire, pour universaliser les discussions, mais non suffisant, car les discussions dans le détail se font ailleurs, dans différents cadres.
La gestion du trafic spatial porte sur les débris, sur l'organisation de « rendez-vous », consistant à rapprocher un satellite d'un autre et éventuellement à y intervenir, ainsi que sur les interférences entre les systèmes. Ces différents sujets sont traités dans des instances distinctes. L'UIT est aujourd'hui une chambre d'enregistrement de projets nationaux. L'UIT s'assure simplement que le système présenté n'empêchera pas explicitement un autre système de fonctionner. Or aujourd'hui, les méga-constellations ne sont pas vues comme empêchant explicitement d'autres systèmes de fonctionner. Néanmoins, la multiplication de ces différents systèmes évoluant sur des orbites et fréquences voisines rendra de plus en plus difficile le bon fonctionnement des infrastructures terrestres qui en dépendent. Concernant les débris, un gentleman's agreement, dans le cadre de la Commission inter-agences de gestion des débris (IADC) prévoit, par exemple, la destruction dans l'atmosphère d'un satellite en orbite basse dans un délai de 25 ans après sa fin de vie. Un satellite géostationnaire doit être neutralisé dans une orbite « cimetière ». Il ne s'agit toutefois que de recommandations.
Le STM (Space traffic management) est ainsi devenu un objet possible de confrontation des intérêts. Les règles exigeront un certain niveau de performance, créant des distorsions de compétitivité. L'Europe se saisit du sujet, en lançant différents projets d'études. La Fondation pour la recherche stratégique coordonne, dans ce cadre, un projet d'étude des régulations, comportant un volet technologique, ainsi que des volets juridiques, politiques et une analyse des conséquences économiques associées. La réflexion sur l'internationalisation des règles prend également de l'importance aux Etats-Unis.
Concernant la place des acteurs privés à l'avenir, il nous manque une gestion internationale raisonnable du développement de ces acteurs. Vous avez évoqué un vide juridique. Effectivement, aujourd'hui, un pays, en fonction de la loi spatiale qu'il s'impose à lui-même, peut donner le droit à une entreprise de conduire son activité industrielle dans l'espace. En novembre 2015, les Etats-Unis ont d'ailleurs voté une loi autorisant les entreprises privées à exploiter des ressources extra-terrestres. Ce vote a été très discuté au niveau international, au regard du traité de 1967 qui consacre le principe de non-appropriation de l'espace extra-atmosphérique comme un principe cardinal du droit international. Un certain nombre de juristes considèrent que « l'exploitation » n'est pas « l'appropriation ». Les grandes puissances spatiales, notamment les Etats-Unis, font pression pour faire évoluer la réflexion juridique. En Europe, nous sommes à la croisée des chemins et nous devons avant tout prendre conscience collectivement de la nécessité de faire valoir nos compétences et nos intérêts.