Je répondrai en premier lieu à la question de M. Gattolin. Effectivement, des noms différents sont donnés aux voyageurs de l'espace, mais nous imposons à tous la racine grecque « naute ». Les Chinois ont ainsi deux noms, « taïkonaute » (« taïk » étant le milieu) et « yuhángyuán » (navigateur de l'espace), mais ils ont choisi d'adopter le modèle international avec le terme de « taïkonaute ». Les Indiens ont également leur propre nom. Il n'y a en revanche pas de nom japonais ni de nom européen. Les Européens, à l'initiative de la France, ont tenté de lancer le vocable « spationaute » au milieu des années 1980. L'ESA a toutefois des « astronautes » et, à une époque, Jean-Pierre Haigneré, qui a volé à bord de vaisseaux russes, s'appelait lui-même « cosmonaute ». Ceci témoigne sans doute du fait que ni l'Europe ni le Japon ne se sont dotés de moyens autonomes. Le nom qui sera donné aux touristes de l'espace reste à définir.
Les diplomaties spatiales de la Russie et de la Chine sont parfois en concurrence, par exemple en Égypte. Russie et Chine constituent, en effet, des alternatives aux yeux d'un certain nombre de pays, que ce soit en Amérique latine ou au Moyen-Orient.
La coopération entre la Russie et la Chine est très ancienne. Depuis la fin de l'Union soviétique, la Chine a fait partie des pays qui se sont intéressés à la récupération des capacités soviétiques. Le programme spatial habité chinois vient directement de la coopération initiée en 1991, même si la Chine a eu à coeur de le développer par elle-même, ayant mis plus de 10 ans, entre 1991 et 2003, pour construire son propre vaisseau avec son propre lanceur et son propre module. Les liens sont anciens. Il y a, par exemple, une seule agence Roscosmos à l'étranger, à Pékin, et la grande université technologique chinoise située à Harbin a longtemps intégré de nombreux enseignants d'origine russe. Les acteurs du spatial chinois de plus de 50 ans connaissent d'ailleurs souvent la langue russe.
Les Russes et les Chinois ont aussi en commun de se sentir à l'écart du monde occidental. La politique des sanctions pénalise la Russie, notamment dans le domaine spatial, car elle ne dispose pas, contrairement à la Chine, d'une autonomie dans le domaine des composants électroniques ou de l'innovation. Les deux acteurs ont ainsi un intérêt mutuel bien compris à nouer leurs compétences. L'avance technologique des Russes dans le domaine du spatial militaire reste nette, par exemple en matière d'alerte avancée, c'est-à-dire la capacité d'un satellite à détecter des tirs de missiles. Aujourd'hui, la Russie a signé un accord de coopération avec la Chine sur ce sujet.
Jusqu'où la Russie sera-t-elle prête à céder ses dernières briques d'avance technologique à la Chine ? La réponse n'est pas évidente, d'autant plus que du côté chinois, il y a toujours une volonté d'émancipation. La déclaration au sujet du projet de station lunaire russo-chinoise a d'abord été effectuée par les Russes. Les Chinois n'ont en effet pas nécessairement besoin des Russes pour maintenir leur programme, alors que les Russes ont besoin de trouver un allié. Or l'allié traditionnel qu'étaient les États-Unis est désormais moins attractif, car la Russie serait traitée en junior partner alors qu'elle était au coeur du projet d'ISS. La Russie cherche ainsi à coopérer avec d'autres acteurs, tandis que la Chine crédibilise son image d'alternative en s'adossant à la Russie. Cela nous pose, à nous Européens, un problème réel. D'autres puissances s'agrégeront-elles à ce noyau ? Si l'Inde et la Chine ne sont pas toujours dans de bons termes diplomatiques, l'Inde pourrait toutefois chercher à se positionner là où elle retirera le plus d'avantages, d'autant plus que sa coopération avec la Russie est ancienne.
La Russie et la Chine sont aujourd'hui toutes deux bénéficiaires de la coopération, mais pour combien de temps ? Leur projet est-il en mesure de prendre de l'ampleur, d'être autre chose qu'une alternative en creux au modèle américain ? La Turquie, qui annonce également vouloir développer un programme lunaire, pourrait par exemple être intéressée par les propositions de la Chine et de la Russie.
Ainsi, la Russie dispose de briques technologiques dont ne dispose pas la Chine, en particulier dans le domaine militaire. Mais la Chine s'inscrit dans une évolution plus dynamique.