L'espace a été pour l'Europe un vecteur d'identité commune, misant sur l'excellence et sur un projet positif de découverte de l'espace. A ce titre, avec l'Agence spatiale européenne ou les flagship programs tels que Copernicus ou Galileo, les résultats restent, malgré tout, remarquables au regard des investissements relativement modestes réalisés. ArianeGroup ou d'autres fabricants dans le domaine des satellites tiennent en effet le haut du pavé international au plan technologique.
Le départ de la Grande-Bretagne est un élément important s'il s'agit de mettre en place une politique volontariste, même si la Grande-Bretagne a toujours été prudente dans le domaine spatial, et même si ses contributions sont réduites dans le secteur du lancement. Je pense que la Grande-Bretagne s'engagera désormais dans des coopérations, en les recentrant éventuellement sur les Etats-Unis, voire d'autres acteurs.
La monopolisation de l'espace par les entreprises privées constitue effectivement une réalité. Les Etats restent néanmoins globalement responsables des activités qui se déroulent dans l'espace, avec la notion de responsabilité de l'Etat de lancement. Le droit qui s'applique à l'espace reste ainsi un droit public international impliquant la responsabilité étatique. Les flux d'argent sont, en outre, d'abord des flux d'argent public. Cette suractivité de SpaceX tient au fait que les Etats-Unis dépensent beaucoup plus que d'autres pays dans le domaine spatial. Rien ne sert en effet de réutiliser un lanceur si vous avez peu de charges à lancer. Le marché du lancement est constitué d'environ 110 lancements par an. La plupart sont des lancements gouvernementaux, souvent dévolus à des lanceurs nationaux. L'Europe n'a pas ce volume institutionnel de satellites à lancer. La question de la réutilisation des lanceurs se pose donc différemment pour elle.
SpaceX a mis la barre très haut en termes de compétitivité avec Falcon 9. Si la filière spatiale européenne se positionne sur des missions moins nombreuses, plus pointue, il faudra diminuer les coûts unitaires de lancement, grâce à des travaux d'optimisation, de fabrication 3D etc. In fine, ce qui nous manque en Europe, c'est une vision de ce que l'on souhaite faire en 2040 dans l'espace. Quelle est notre position dans le domaine de l'exploration habitée ? Aujourd'hui, les Européens se positionnent comme les « anges gardiens » de la Terre, avec Copernicus et l'idée d'un espace « utile ».
L'occupation de l'espace acquiert une dimension industrielle, avec les méga-constellations et l'importance croissante de l'espace Terre-Lune. Le programme Artemis est moins important pour ce qui est de la Lune que pour ce qui concerne l'espace Terre-Lune. Les industriels américains l'ont bien compris et s'inscrivent dans le sillage de la NASA qui achète des prestations de services, par exemple le ravitaillement de fret pour la station circumlunaire. Ce sont ainsi des logisticiens qui sont en train d'investir l'espace, aussi bien pour les infrastructures satellitaires que pour ces infrastructures de services.
Dans ce contexte, les Européens doivent se positionner. Nous pouvons choisir l'espace « utile » mais pourquoi ne pas exploiter bien davantage ce choix au niveau politique ? C'est une orientation majeure. L'administration Biden vient d'ailleurs d'accorder des crédits à la NASA pour qu'elle reprenne pied dans le domaine du suivi de l'environnement terrestre.
Les Européens doivent déterminer ce qu'ils souhaitent faire dans le milieu spatial. Souhaitons-nous participer à la grande architecture américaine ? Nos choix seront structurants pour l'industrie. Un débat public européen est indispensable. Que veut-on être dans l'espace ?
L'environnement lui-même sera teinté par le type d'activités que l'on va mener et par le rapport public-privé. Sur ce point, il faut éviter d'opposer public et privé. Le développement de l'activité privée ne s'accompagne pas d'un retrait du secteur public. Il s'agit, en réalité, de nouvelles modalités d'occupation de l'espace par certains pays qui se mettent en place. La NASA ne conçoit plus les fusées ; elle les achète, mais son rôle reste majeur. Ces mouvements s'inscrivent dans un droit international relativement souple et flou.
Concernant la notion d'arsenalisation, il y a l'idée que nous commençons à habiter l'espace différemment. L'espace Terre-Lune devient un enjeu central. Dès lors, il y aura une volonté de territorialiser, avec notamment l'ambition de signer des accords bilatéraux sur les activités lunaires, l'accord américain comptant du reste déjà 8 ou 9 signataires. Le droit actuel n'interdit que le déploiement d'armes de destruction massive en orbite et la présence de militaires sur la Lune. Les possibilités ouvertes restent, en réalité, considérables.
En matière de régulation, l'organisme ISO est extrêmement actif dans les discussions entre industriels pour établir de nouvelles régulations concernant les matériels déployés dans l'espace. Les industriels y sont évidemment extrêmement attentifs.