Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis très heureux d’être aujourd’hui parmi vous pour débattre du coût de la crise pour les collectivités territoriales. À mon tour de saluer leur réactivité face à la crise ! Cette question est au cœur de vos préoccupations, puisque vous êtes la chambre des territoires. Il s’agit également d’une préoccupation majeure du Gouvernement.
J’ai conservé de mes anciennes fonctions, de maire tout d’abord, puis de rapporteur général du budget à l’Assemblée nationale, un attachement tout particulier à ce que le suivi des finances locales, loin de faire l’objet d’une attention seulement épisodique, au gré de l’actualité, soit mené en permanence et en toute transparence avec le Parlement. Le débat de ce jour me semble donc bienvenu, d’autant que nous disposons maintenant d’un état des lieux quasi définitif des effets de la crise sur les budgets locaux en 2020, ainsi que des premiers éléments concernant 2021. Il est intéressant, donc, que nous puissions les partager.
Je voudrais commencer par vous confirmer que l’année 2020, certes difficile, n’a pas été l’annus horribilis annoncée. Les collectivités dans leur ensemble ont mieux résisté à la crise que ce que nous imaginions voilà un an. Si je reprends les notes de conjoncture dont nous disposions au milieu de l’année dernière, tout indiquait que l’impact financier de la crise serait massif. Ainsi le rapport de Jean-René Cazeneuve évaluait-il les conséquences pour 2020 à 5 milliards d’euros en recettes et à 2, 2 milliards d’euros en dépenses, soit une diminution de l’épargne brute des collectivités de 7, 2 milliards d’euros en raison de la crise.
Ces hypothèses étaient fondées sur des projections pessimistes concernant un grand nombre d’impôts locaux, à commencer par les droits de mutation à titre onéreux (DMTO), dont on pensait alors que les recettes diminueraient de 25 % par rapport à 2019. En y ajoutant la dynamique des dépenses ordinaires, l’épargne brute des collectivités aurait dû diminuer de 26 % entre 2019 et 2020 ; en réalité, l’exécution au 30 avril 2021 nous montre que ladite épargne brute diminuerait de 3, 9 milliards d’euros, soit un repli de 11, 4 % entre deux exercices. C’est peu ou prou deux fois mieux que ce que nous escomptions ; nous devons tous nous en réjouir.
Bien entendu, on observe des différences entre les diverses catégories de collectivités locales. Le bloc communal est celui qui a le mieux résisté : son épargne brute est en recul de 6, 5 %. Cette tendance est bien marquée pour les intercommunalités, dont la capacité d’autofinancement n’enregistre qu’une diminution de 4, 1 %, ainsi que pour les petites communes, celles de moins de 3 500 habitants, qui voient même globalement leur épargne augmenter de 2, 4 %. Ce phénomène s’explique par des économies de fonctionnement et par le fait que les recettes de ces communes sont largement composées de fiscalité locale et de dotations complètement imperméables à la crise.
Les départements essuient pour leur part une dégradation plus nette de leur épargne brute, de 14 %, sous l’effet d’un alourdissement des charges sociales. En revanche, leurs recettes continuent de progresser en 2020, en large partie parce que les DMTO n’ont pas diminué autant que prévu – la baisse se limite en définitive à 1, 6 %.
Quant aux régions, elles perdent 21, 6 % d’épargne brute du fait d’une progression significative de leurs dépenses d’intervention, alors que leurs recettes ont été relativement bien préservées grâce aux garanties de l’État.
Ces résultats bien meilleurs qu’escomptés ont pu être obtenus grâce à des mesures inédites que nous avons prises et qui ont protégé les budgets locaux en traitant leurs points de fragilité.
Dès le mois de juin 2020, en projet de loi de finances rectificative et à la suite des premières recommandations émises par Jean-René Cazeneuve dans le cadre de la mission qui lui avait été confiée, nous avons mis en place la clause de sauvegarde des recettes fiscales et domaniales, garantissant à chaque commune, à chaque intercommunalité et à chaque syndicat de transport ou de loisirs de pouvoir percevoir une aide si le montant de ses recettes fiscales en 2020 tombe en deçà de la moyenne 2017-2019.
Nous avons également mis en place des avances aux départements sur le produit des DMTO, comme l’avait demandé l’Assemblée des départements de France (ADF). Nous avons ouvert 1 milliard d’euros de DSIL en cours d’exercice pour permettre aux nouvelles équipes municipales de lancer des projets d’investissement dès leur installation sans attendre 2021. Parallèlement, nous avons offert aux collectivités des facilités comptables leur permettant d’étaler des charges liées à la crise sur cinq budgets.
J’ajoute que la loi de finances pour 2021 a fait la part belle aux collectivités locales, notamment grâce aux accords trouvés dans le cadre du débat parlementaire. Nous avons reconduit le filet de sécurité et garanti les fonds départementaux de péréquation des DMTO pour les petites communes.
Pour ce qui est des départements, nous avons ouvert un fonds de stabilisation de 200 millions d’euros, lesquels s’ajoutent aux 115 millions d’euros de 2020. Nous prévoyons également de garantir leur fonds de péréquation à son niveau habituel.
Concernant les régions, nous avons fait d’une pierre deux coups en supprimant leur CVAE (cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises), afin d’épauler les entreprises, et en la remplaçant par une fraction de TVA, ce qui permet aux régions d’être protégées de la baisse de CVAE attendue en 2021. Enfin, nous avons ouvert 1, 5 milliard d’euros de dotations d’investissement de relance supplémentaires, ces dotations s’ajoutant à d’autres aides spécifiques.
Bien entendu, nous ne sommes pas au bout de la crise ; nos efforts doivent se poursuivre. Ces efforts doivent être guidés par quatre principes.
Premier principe : il faut suivre en continu – vous avez eu tout à fait raison de le préciser – la situation financière des collectivités locales et en rendre compte devant le Parlement. C’est un travail sur lequel les services que je dirige avec Jacqueline Gourault ainsi que ceux d’Olivier Dussopt sont en permanence mobilisés. Un groupe de travail spécifique a été constitué avec les associations représentant le bloc communal pour partager les données au fur et à mesure. Il se réunit toutes les six semaines environ, et les comptes rendus de réunions sont transmis aux commissions des finances des deux assemblées.
Deuxième principe : il faut rassurer, car les perspectives pour 2021 sont loin d’être sombres. Selon les premières estimations, les recettes des collectivités devraient augmenter en 2021. À notre connaissance, les seuls produits fiscaux qui devraient diminuer sont ceux de la CVAE, de la taxe d’aménagement et de la taxe sur les remontées mécaniques. Ce n’est pas rien, mais c’est aussi très rassurant : cela signifie que l’immense majorité des recettes sont à l’abri. Rassurantes, au demeurant, sont les premières données pour 2021 : la CVAE ne devrait diminuer que de 1, 1 %, le versement mobilité a progressé de 3, 8 % sur le premier trimestre et les DMTO encaissés sur la même période augmentent de 10 % par rapport au premier trimestre de 2020.
Troisième principe : ne pas hésiter à proposer des aides supplémentaires quand la situation l’exige. C’est ce que nous allons faire dès demain en ouvrant, dans le cadre du projet de loi de finances rectificative, un fonds de 200 millions d’euros pour aider les collectivités confrontées à des pertes de recettes tarifaires ayant entraîné des difficultés budgétaires. Cette aide – c’est important – concernera aussi bien les services publics industriels et commerciaux que les services publics administratifs, afin de couvrir un large panel de situations.
Quatrième principe : il faut rester vigilant quant à l’exécution de France Relance. Nous avons dressé un premier état des lieux début mai, date à laquelle 80 % des dotations d’investissement ouvertes dans le plan de relance étaient programmées ou notifiées par les préfets. Nous vous rendrons compte en temps réel de l’actualisation de ce chiffre.
Mesdames, messieurs les sénateurs, comme vous pouvez le constater, le Gouvernement est pleinement mobilisé pour que le coût de la crise reste soutenable pour les finances locales et laisse aux collectivités la possibilité d’investir pour l’avenir du pays.