Intervention de Jean-Marc Todeschini

Réunion du 6 février 2008 à 15h00
Libertés et responsabilités locales — Adoption des conclusions du rapport d'une commission tendant à ne pas adopter une proposition de loi

Photo de Jean-Marc TodeschiniJean-Marc Todeschini :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'article 89 de la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, modifié par l'article 89 de la loi du 23 avril 2005 d'orientation et de programme pour l'avenir de l'école, rend obligatoire la participation d'une commune au financement des dépenses de fonctionnement d'une école privée d'une autre commune, sous contrat d'association avec l'État, dès lors que cette école privée accueille un enfant d'une famille résidant dans la première commune.

Ces articles ont modifié l'article L. 212-8 du code de l'éducation sur les conditions de participation des municipalités aux frais de financement des écoles privées. Ils ont ouvert la voie à une remise en cause fondamentale des équilibres de financement entre les écoles publiques et les établissements privés d'enseignement. Ils ont pénalisé les communes en leur imposant une charge nouvelle obligatoire à verser aux écoles privées des communes voisines. Ils constituent une remise en cause du principe de laïcité dans la mesure où le principe de parité n'est pas respecté.

Dès la rentrée scolaire 2004-2005, ces modifications ont, logiquement, suscité un mécontentement des maires.

L'interprétation de la nouvelle disposition législative s'est révélée particulièrement difficile, certains considérant que l'obligation de financement incombe à toute commune dont des élèves sont scolarisés dans une école primaire privée hors du territoire communal, d'autres, à l'inverse, faisant valoir le fait que cette obligation ne peut être supérieure à celle qui est imposée aux communes pour les élèves scolarisés dans une école publique.

En dépit de cette difficulté, aucune mesure réglementaire d'application n'est venue préciser le sens de la disposition. Une circulaire interministérielle du 2 décembre 2005 a confirmé l'existence d'une nouvelle obligation à la charge des communes, sans y apporter d'autre précision que la mention du principe de parité, en vertu duquel les avantages accordés aux écoles privées ne peuvent être supérieurs aux avantages dont bénéficient les écoles publiques. Malheureusement, sa formulation très générale laissait la place à des interprétations divergentes du texte de loi.

Pour l'Association des maires de France, l'AMF, la commune est tenue de verser une contribution financière uniquement dans les cas prévus par l'article L. 212-8 du code de l'éducation pour les écoles publiques. Dans la plupart des cas, cette interprétation conduit à n'accorder une compensation financière que lorsque la scolarisation dans une école privée hors du territoire communal intervient en raison de l'absence de capacité d'accueil dans la commune, avec l'accord préalable du maire de la commune de résidence, pour des raisons médicales, en raison des obligations professionnelles des parents ou en raison de l'inscription d'un frère ou d'une soeur dans un établissement de la même commune.

Pour le Secrétariat général de l'enseignement catholique, à l'inverse, le versement d'une participation financière est justifié dès lors qu'un élève est scolarisé dans une école privée hors de sa commune de résidence.

Face à de telles divergences, il aurait été nécessaire, conformément aux souhaits exprimés par l'AMF, d'adopter un texte réglementaire d'application. Dans son rapport d'information sur la mise en application de la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, M. Alain Gest, député UMP, estimait également qu'il aurait « été préférable de détailler les cas dans lesquels la commune de résidence doit participer aux frais de fonctionnement d'une école privée située dans une autre commune, le cas échéant par décret, plutôt que de se limiter à énoncer les principes généraux de parité entre l'enseignement public et l'enseignement privé ».

Toutefois, les recours en annulation de la circulaire déposés au mois de février 2006 devant le Conseil d'État laissaient espérer que ce dernier se prononcerait sur l'interprétation de la disposition législative. Tel n'a pas été le cas : le Conseil d'État a annulé le 4 juin 2007 la circulaire du 2 décembre 2005 pour des motifs de forme tenant à ses signataires.

Considérant que cette décision d'annulation ne remettait « nullement en cause le fond de la circulaire attaquée », le ministère de l'éducation nationale et le ministère de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales ont repris les termes de la circulaire du 2 décembre 2005 dans une nouvelle circulaire du 27 août 2007, afin qu'elle soit « appliquée dans les meilleures conditions » dès la rentrée 2007-2008.

Seule une modification a été apportée à l'annexe de la circulaire, en ce qui concerne la liste des dépenses de fonctionnement à prendre en compte.

L'adoption de cette nouvelle circulaire est d'autant plus surprenante que M. Brice Hortefeux, alors ministre délégué aux collectivités territoriales, répondant à une question orale, avait reconnu qu'il convenait « de prendre acte de la divergence d'interprétation et de considérer qu'elle doit être tranchée, dans la mesure du possible, dans un cadre national, par le Conseil d'État ».

Cette nouvelle circulaire confirme l'obligation faite à une commune de participer aux dépenses de fonctionnement d'une école privée d'une commune voisine où sont inscrits un ou plusieurs enfants de familles résidant sur son propre territoire. La commune doit donc bien financer les écoles privées des autres communes, même si elle dispose d'une école publique.

À l'automne 2007, le Comité national d'action laïque et l'Association des maires ruraux de France ont réintroduit devant le Conseil d'État un recours en annulation contre la nouvelle circulaire, en souhaitant que la juridiction administrative se prononce sur le fond.

La première démarche n'ayant pas abouti, puisque le Conseil d'État ne s'est pas prononcé sur le fond, sans attendre une nouvelle décision, qui annulerait sans doute la circulaire, une intervention du législateur est justifiée. Elle est d'autant plus urgente que les associations de maires ne peuvent se satisfaire de la situation actuelle.

L'Association des maires ruraux de France a appelé les maires ruraux à « ne pas régler les factures qui leur seront adressées [au titre des dépenses des élèves scolarisés dans le privé hors de leur commune de résidence] sauf accords locaux préalables », et à maintenir leur position jusqu'au contentieux, si nécessaire.

En effet, l'application de l'article 89 est lourde de conséquences, notamment dans les petites communes rurales où les élus se voient contraints à financer l'école privée d'une autre commune alors qu'ils luttent pour maintenir l'existence de l'école publique sur leur territoire.

Défavorable à l'enseignement public, cette situation a rompu le caractère égalitaire et harmonieux du régime établi depuis la loi Debré, qui avait organisé le financement de l'enseignement privé et permis ainsi le maintien de ce dernier d'une manière relativement satisfaisante.

De façon globale, pour l'ensemble des communes concernées, le coût annuel engendré par la mise en oeuvre du dispositif de l'article 89 est évalué à 60 millions d'euros par l'AMF, et à beaucoup plus par d'autres.

Permettez-moi de développer ce point. L'article 89 de la loi du 13 août 2004 a contribué à augmenter le nombre d'enfants scolarisés dans les écoles primaires privées sous contrat d'association bénéficiaires d'un forfait communal. Le forfait communal appliqué aux élèves scolarisés dans l'enseignement primaire privé sous contrat d'association est très variable selon les communes et selon les départements. Il semble s'établir, en moyenne, autour de 400 à 500 euros par an et par élève. Les élèves scolarisés dans une classe élémentaire d'une école privée sous contrat d'association située hors de leur commune de résidence représenteraient, par ailleurs, environ 35 % de l'ensemble des élèves scolarisés dans ces classes, soit plus de 120 000 élèves. C'est ainsi que l'on peut estimer à plus de 60 millions d'euros le coût de l'article 89 de la loi du 13 août 2004 pour les communes.

Cette disposition, coûteuse pour les finances communales, intervient alors que la loi de finances de 2008 a remis en cause le contrat de croissance et de solidarité qui assurait une progression annuelle supérieure à l'inflation des dotations de l'État aux collectivités territoriales. Des efforts supplémentaires sont ainsi demandés aux communes, alors même que leurs marges financières se réduisent.

D'autre part, la comparaison des obligations nouvelles de financement pour les élèves scolarisés dans le privé hors du territoire communal et de celles qui incombent aux départements et aux régions, respectivement pour les élèves des collèges privés et les élèves des lycées privés scolarisés hors de leur circonscription de résidence, illustre le fait que les contraintes financières imposées aux communes en matière de financement de l'enseignement privé sont plus lourdes que celles qui sont imposées aux départements ou aux régions.

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